Expertises judiciaires ou juridiques pour des villes seigneuriales

Dans le domaine de la prise de conseils juridiques, les villes burgraviales semblent à l’évidence n’avoir guère suivi les vœux de leur seigneur et prince. Malgré les ordres de recours aux instances judiciaires territoriales, plusieurs d’entre elles persistèrent à interroger la ville d’où provenait leur droit, Nuremberg.

La ville de Hof, acquise par les burgraves de Nuremberg en 1373 avec le reste du Regnitzland, consigna dans un livre d’office du XVe siècle diverses références à des jugements pris à Nuremberg. Entre 1449 et 1457, sur les 9 lettres en provenance de Hof, Nuremberg reçut pour consultation 6 lettres de jugement auxquelles elle apporta sa jurisprudence 1391 .

Bayreuth, aux mains des burgraves de Nuremberg dès les années 1260, continua elle aussi de demander conseil à la ville impériale franconienne tout au long du XVe siècle. Le Stadtbuch (1431-1464) révèle une expertise juridique nurembergeoise dans une affaire épineuse qui opposait deux conseillers de Bayreuth. L’essentiel des envois épistolaires de Bayreuth à Nuremberg (1449-1457) se constituait en outre de demandes d’expertises judiciaires 1392 . Les remarques, très brèves, ne permettent généralement pas d’en apprendre la nature exacte. Dans les seuls cas connus, Bayreuth demanda conseil sur une affaire de vol et au sujet d’un homme mort pendant son incarcération.

Dans une moindre mesure, Kulmbach procéda au même genre de consultations auprès du conseil de Nuremberg 1393 .

Nous l’avons vu en évoquant les familles de droit, les cités du Haut-Palatinat avaient une étroite parenté avec le droit nurembergeois, que ce soit directement ou par le biais de Neumarkt, Amberg ou Sulzbach. En gardèrent-elles pour autant au XVe siècle des habitudes de recours à l’avis juridique du conseil nurembergeois ?

Les protocoles du gouvernement nurembergeois répondent par l’affirmative en évoquant 8 localités palatines qui recoururent à ses services entre 1452 et la fin du siècle 1394  :

Neumarkt (12-15/10/1471) : « Item dans l’affaire judiciaire (Fall) de ceux de Neumarkt, donner conseil (rat haben). Mertein Beheim, Endres Geuder et leur rapporter » 1395

Sulzbach (29 juillet 1471) : « Item Gabriel Nützel et Nicolas Groland donner conseil dans l’affaire de ceux de Sulzbach, à rapporter demain » 1396

Weiden (1491)

Les missives reçues permettent encore de compléter le tableau des échanges juridiques et judiciaires entre Nuremberg et des cités seigneuriales. Chose rare à l’égard d’une ville seigneuriale, Nuremberg prêta en 1452 deux de ses conseillers afin de seconder les gens d’Amberg dans un de leur litige 1397 . Les échanges des deux villes portèrent aussi en 1455-1456 sur des règlements de métiers. Un agent d’Amberg vint s’informer directement à Nuremberg « à propos de certains règlements de leurs métiers » tandis qu’une lettre évoquait les « Tuchscherer » d’Amberg en 1456 1398 .

Les domaines de consultation de Nuremberg par Neumarkt recoupent en tous points les démarches d’Amberg. On retrouve dans les lettres en provenance de Neumarkt tant des jugements 1399 que des échanges portant sur les métiers.

De Weiden arrivèrent, entre 1449 et 1457, 5 missives communiquant des jugements du conseil local 1400 . Weiden, qui conféra elle-même son droit à d’autres localités palatines 1401 , servait parfois d’intermédiaire entre Nuremberg et un lieu désireux de jurisprudence : « une lettre du conseil de Weiden, contenant 5 jugements avec une lettre de la bourgade (Markt) de Lue » (n° 6962)

Localité seigneuriale requérant par missives les conseils juridiques de la ville de Nuremberg (famille de droit) en 1449-1457 1402 Nombre de jugements communiqués Nombre de consultations relatives aux métiers, aux mesures…
Amberg (Haut-Palatinat 1 (prêt de conseillers nurembergeois) 2 consultations
Hilpoltstein (Haut-Palatinat) 1 jugement 1403  
Freystadt (Haut-Palatinat 2 jugements 1404  
Neustadt/Aisch (Brandebourg) 3 jugements  
Neuenhof (N.-O.de Lauf) 4 jugements 1405  
Pleystein (Haut-Palatinat) 5 jugements 1406  
Hof (Brandebourg) 6 jugements  
Neumarkt (Haut-Palatinat) 8 jugements 2 consultations
Ebermannstadt (évêché de Bamberg) 9 jugements 2 demandes relatives aux mesures nurembergeoises 1407
Weiden (Haut-Palatinat) 10 jugements  
Bayreuth (Brandebourg) 13 jugements  

Malgré l’appartenance d’Eger à la Bohême après 1322, le Stadtbuch d’Eger en date de 1352 présente lui aussi 5 mentions de « Rechtsbelehrungen », d’enseignements juridiques, qualifiés de « jugements de Nuremberg » (Urteil von Nuerenberg). Encore dans la deuxième moitié du XVIe siècle, 12 propositions venues de Nuremberg sont attestées « dans la mesure où nos recours vont par ancienne coutume devant votre honorable sagesse » (nachdem unsere schub vor alters here fur ewr erbere weizhait gangen sein). Sur 58 missives envoyées par Eger à Nuremberg entre 1449 et 1457, 9 s’avèrent relatives à des jugements 1408 . A intervalles réguliers, Eger soumettait des jugements au gouvernement de Nuremberg en sollicitant son conseil 1409  : « Item une lettre d’Eger pour une information dans un jugement » (n°1565, septembre 1450). Il lui arriva aussi de demander une copie de loi et quelques conseils sur la gestion des métiers :

« Item une lettre d’Eger, à propos de la loi de l’ancienne Russie chez nous, pour la leur donner par écrit etc » 1410 ’ ‘ « Item une lettre d’Eger à propos de leurs métiers, savetiers et chaudronniers, cordonniers » (n°4758, septembre-octobre 1453).’

Ces consultations, constatées sur une dizaine d’années, animèrent selon toute vraisemblance les relations intercommunales d’Eger et Nuremberg pendant tout le XVe siècle. Le 16 juillet 1405, le premier Briefbuch révèle par exemple une consultation dans le domaine commercial. Une première missive barrée permet de prendre l’exacte mesure de l’affaire qui porta Eger à la consultation :

Eger

« Chers amis. Vous nous avez écrit à propos de l’affaire judiciaire (handlung) qui s’est produite entre certains de vos concitoyens qui ont société ensemble, à savoir que l’un de vos susdits concitoyens détenait sur sa bonne parole et volonté un magasin avec les livres de comptes de sa susdite société et un autre détenait les clés de ce même dépôt également sur sa bonne parole et volonté, de telle sorte que ces mêmes magasins sont restés inaltérés et intacts. Mais l’un d’entre eux dans la société est mort et a laissé des fils qui portent des réclamations envers celui qui détient les magasins pour une lettre de dette qu’il détenait et de l’argent qu’il aurait encaissé et celui qui a détenu les magasins s’offre en justice et veut prendre sa justice en la matière et vous nous demandez conseil pour savoir si une semblable affaire et action en justice s’est déroulée ou conclue chez nous, car si celui qui détenait les magasins veut prendre sa justice, on doit le lui accorder et l’y autoriser. »’

Eger

« Chers amis, vous nous avez écrit à propos de l’action en justice qui s’est déroulée entre certains de vos concitoyens qui ont société ensemble. Nous en avons pris bonne note et faisons savoir à votre sagesse que si une telle affaire s’était produite chez nous, il nous semblerait juste que s’il se trouve que celui contre lequel les fils du disparu portent réclamation en justice ne détenait aucune lettre de dette et n’avait encaissé aucun argent, comme les fils du disparu l’en accusent, il n’est pas tenu de leur verser ou donner de l’argent s’il n’est pas tenu responsable envers eux lors de la sentence. […] Votre sagesse saura ainsi comment agir » 1411 . ’

Indéniablement, les familles de droit qui présidèrent au développement urbain des XIIIe-XIVe siècle eurent donc des répercussions sur les relations intercommunales de la fin du Moyen Âge. Elle créèrent des canaux de recours et de prises de conseils durables. Modifications politiques aidant, au gré de la territorialisation, ces familles de droit furent même à la source d’échanges juridiques et judiciaires entre des villes séparées par le statut et l’appartenance politique. Malgré les efforts déployés par les princes pour harmoniser le droit et la justice dans leur pays, les villes seigneuriales gardèrent des habitudes de recours à leurs villes-mères, quand bien même ces dernières étaient des villes impériales. Dans quelques cas, comme Bayreuth ou Ebermannstadt, les contacts juridiques avec Nuremberg constituèrent même l’essentiel des échanges tenus entre conseils par l’intermédiaire des missives.

Notes
1391.

Cf. Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, lettres de Hof à Nuremberg : n°2451, 3004, 5188, 6664, 7315, 7497

1392.

Entre 1449 et 1457, le registre des lettres reçues par Nuremberg témoigne de 13 lettres de jugement sur un nombre total de 18 missives. Cf. Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, n° 2412, 2653, 4274, 4948, 5469, 6008, 6244, 7329, 7343, 7695, 7699, 7700, 7982

1393.

Sur 3 missives reçues par Nuremberg en provenance de Kulmbach entre 1449 et 1457, 1 correspond à un jugement. Cf. Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, n° 3602

1394.

Indication d’après Rudolf Wenisch, « Nürnbergs Bedeutung als Oberhof im Spiegel seiner Ratsverlässe », Mitteilungen des Vereins für Geschichte der Stadt Nürnberg 51 (1962), p. 443-467, et la consultation des Ratsverlässe édités par Martin Schieber : Martin Schieber (éd.), Die Nürnberger Ratsverlässe, Heft 2 (1452-1471), Neustadt am Aisch, 1995

1395.

Cf. Martin Schieber (éd.), Die Nürnberger Ratsverlässe, Heft 2 (1452-1471), Neustadt am Aisch, 1995, p.227

1396.

Cf. Martin Schieber (éd.), Die Nürnberger Ratsverlässe, Heft 2 (1452-1471), Neustadt am Aisch, 1995, p.183

1397.

Cf. Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, n° 3943 : demande de prêt de deux conseillers nurembergeois au profit d’Amberg ; n° 4225 : remerciements adressés à Nuremberg par le comte palatin pour les efforts nurembergeois dans l’affaire de ceux d’Amberg (1453)

1398.

Cf. Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, n° 6622 ; n°7424

1399.

Cf. Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, lettres de jugement : n°1435, 2208, 2886, 3954, 4387, 5658, 6658 ; n°2049 : à propos du métier des cordiers (Seiler) ; n°3635 : demande de prêt du maître des fontaines nurembergeois (Brunnenmeister) pour Neumarkt.

1400.

Le nombre total de lettres reçues en provenance de Weiden est de 9. Certaines des missives consacrées à des jugements en comportaient plusieurs. Voir Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, n° 3162, 4573 (deux jugements), 5756, 6962 (5 jugements), 8089.

1401.

L’étude menée par Rudolf Wenisch sur les Ratsverlässe des XVIe-XVIIe siècles fait état de plusieurs localités relevant de la famille de droit de Weiden : Kaltenbrunn, Pleystein, Waldau, Waldthurn.

1402.

Cette liste ne se prétend pas exhaustive et demanderait à être complétée.

1403.

Cf. Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, n°3578

1404.

Cf. Rübsamen n° 6174, 7586

1405.

Cf. Rübsamen n° 2085, 2901, 5966, 6913

1406.

Cf. Rübsamen n°1718, 5034, 5863, 7386 (2 jugements)

1407.

Cf. Rübsamen, n° 3542 : Item une lettre d’Ebermannstadt, pour leur envoyer nos anciennes mesures (Masse) nurembergeoises afin de contrôler les leurs ; n° 3892 : Item une lettre d’Ebermannstadt à propos d’un Stadteymer.

1408.

Rudolf Wenisch, qui a étudié le rôle de Nuremberg comme Oberhof à partir des Ratsverlässe (1471-1620) n’y a relevé aucun cas de conseils ou d’expertises judiciaires avant le XVIe siècle pour Eger. Cf. Rudolf Wenisch, « Nürnbergs Bedeutung als Oberhof im Spiegel seiner Ratsverlässe », Mitteilungen des Vereins für Geschichte der Stadt Nürnberg 51 (1962), p. 443-467

1409.

Voir Rübsamen Dieter (éd.), Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen : Thorbecke, (Historische Forschungen, 22), 1997, lettres envoyées par Eger à Nuremberg : n°1565, 1990, 4758, 4954, 5298, 5770, 6675, 6896, 7671

1410.

La réponse de Nuremberg figure dans le StAN, BB 24, fol. 213, juin 1454

1411.

Cf. StAN, BB 1, fol. 46 : la première lettre est barrée et comporte plusieurs annotations en marge ; la seconde suit sur la même page.