Les bourgeois

Alors qu’il n’avait pas son mot à dire sur les grandes alliances politiques intercommunales, le bourgeois ordinaire occupait une place importante dans le courrier de Nuremberg comme de Rothenbourg. Une grande majorité des lettres échangées entre villes se consacrait à des affaires touchant des particuliers. En un siècle où le maniement de l’écrit par les simples citoyens était encore très rare, chaque conseil exprimait la voix de ses bourgeois ou de ses sujets. Cette représentation était d’autant plus forte que les serments prêtés pour entrer en bourgeoisie, voire toute la rhétorique municipale, visaient à créer une solidarité d’intérêts entre le gouvernement et le reste de la population.

Les conversations entretenues par les villes sur les faits et gestes de leurs bourgeois ou sujets respectifs traduisent l’intensité plus ou moins forte des ponts jetés par la population d’une cité à l’autre, tant au travers de liens familiaux que de contacts professionnels. Parfois, entre Nuremberg et sa correspondante, ces hommes étaient le seul sujet de conversation, le seul élément de liaison. Il en est ainsi avec la plupart des villes qui ne sont contactées que de façon très sporadique à raison d’une lettre tous les 5 ans, si ce n’est plus. Les deux gouvernements échangeaient alors quelques courriers le temps de régler le différend qui opposait leurs bourgeois, puis cessaient de s’écrire. On atteint ici un seuil minimal de l’intercommunalité, qui ne consiste qu’en arrangements occasionnels.

Pour ses bourgeois, et surtout ses artisans, le conseil de Nuremberg n’hésitait pas à émettre des lettres de recommandation ou des certificats de bonnes mœurs à l’attention d’une ville correspondante. Elles devaient faciliter l’entrée en bourgeoisie d’un candidat au départ. En janvier 1406, la ville d’Olmütz reçut par exemple une lettre de recommandation venue de la cité impériale franconienne. Hans Prewnig, pelletier à Nuremberg, envisageait de s’installer à Olmütz et de s’y marier. Plusieurs bourgeois et le conseil lui-même témoignaient pour cela en sa faveur 1453 . Une recommandation similaire s’adressa en 1405 à Bresslau. Hans Güntzel, compagnon coutelier, avait pris femme à Bresslau. Afin d’accélérer son acception comme bourgeois, une lettre municipale nurembergeoise attestait de sa naissance à Nuremberg et de sa bonne conduite dans son métier 1454 .

Mais l’essentiel des lettres entre villes afférent à des particuliers visait à l’aplanissement de litiges. En cela, ces prises de contact entre conseils s’inscrivaient bel et bien dans l’intercommunalité. Il s’agissait de part et d’autre de contribuer au maintien de la paix entre cités.

Ensemble, dans la limite de leurs intérêts particuliers et de ceux de leurs bourgeois, les gouvernements urbains régulaient les conflits quotidiens existant entre les populations de leurs cités respectives. Toutes ces lettres échangées évitaient l’escalade du différend. Elles prévenaient la naissance de Fehde, d’abord entre particuliers, et en second ressort entre cités.

Les occasions de griefs entre les bourgeois de deux localités ne manquaient pas, les lettres municipales n’en dévoilent au reste pas systématiquement la teneur. Les litiges commerciaux, les conflits entre artisans d’un même métier, les rivalités pour un bien ou un droit, les questions de mœurs, d’outrages ou d’insultes, les vols y apparaissent, avec la primauté pour les problèmes de dettes, les impayés et les héritages.

Quand les procédures et privilèges judiciaires étaient respectés, l’accusateur s’en allait poursuivre l’accusé devant le tribunal municipal dont relevait ce dernier. Il était souvent précédé d’une lettre de ses propres dirigeants, invitant leurs homologues à faire faveur et aide au plaignant dans sa quête de justice, comme s’il s’était agi de l’un des leurs.

Si le différend avait été porté par l’accusateur ailleurs que de droit, si les privilèges de de non evocando s’en trouvaient atteints, la querelle prenait une dimension supérieure et impliquait la ville tout entière. C’était désormais face au gouvernement urbain lésé que le plaignant devait en répondre. Le conseil dont il relevait avait quant à lui la charge de faire renoncer son bourgeois à sa plainte et de le pousser, au besoin par des menaces, à respecter les procédures judiciaires. En contrepartie, une justice équitable devait lui être assurée dans la ville des accusés. Ces cas de figure étaient si fréquents entre villes d’empire franconiennes que souvent les Briefbücher ne prenaient plus la peine d’en répéter intégralement les formules :

Lettre à Wissembourg

« Hans von Castell, le veilleur (der Schütz), notre bourgeois nous a dit comment Cunz Lehner votre concitoyen l’a cité pour une affaire temporelle devant le tribunal ecclésiastique de Bamberg et l’a soumis à une peine. Cela nous semble illégitime de la part de votre concitoyen, car nous n’avons jamais refusé justice à ce même concitoyen face à notre susdit bourgeois. Nous vous demandons de bien vouloir dire à votre concitoyen en notre nom de défaire sa plainte en justice ecclésiastique […] Et si votre susdit concitoyen voulait porter réclamation de cela face à notre susdit bourgeois, nous voulons lui faire faveur à lui ou son représentant etc comme dans la lettre-formulaire » 1455 .’

Lettre à Wissembourg

« Seitz Noll, votre concitoyen et conseiller nous a dernièrement fait part en votre nom de la plainte que Burkhart Sebach, notre bourgeois a entreprise contre l’exécuteur testamentaire (Vormund) de Steffan Camrer, votre concitoyen défunt devant le Landgericht ici, et nous avons demandé à notre susdit bourgeois selon votre volonté qu’il renonce à sa plainte et qu’il prenne et réclame son droit devant vous vis-à-vis de ce même exécuteur testamentaire. Notre bourgeois susdit nous a précisé qu’il pense se rendre maintenant auprès de votre sagesse et veut présenter les lettres qu’il a ici sous le sceau du tribunal et il pense sur cette base faire réclamation et prendre justice devant vous vis-à-vis de votre concitoyen. Nous demandons ardemment à votre honorabilité de bien vouloir lui témoigner votre aide bienveillante et lui faire faveur en notre nom. De telle sorte que ce à quoi il a droit lui revienne sans empêchements et sans retards. Etc » 1456

Parmi les questions susceptibles d’attiser les griefs entre villes, figurait aussi la gestion des rentes. Il arrivait qu’un conseil ait à défendre les intérêts financiers de ses ressortissants face à un gouvernement voisin. Ces affaires de rentes fournissent une bonne illustration des efforts de prévention et de résolution des conflits menés par les gouvernements urbains.

Rien n’empêchait la population urbaine d’investir et de placer son argent hors de sa cité d’origine, là où elle possédait quelque bien immobilier, des attaches familiales ou des intérêts commerciaux. Les villes franconiennes donnèrent de plus en plus l’occasion aux bourgeois d’acheter des rentes municipales dès la fin du XIVe siècle. Pour financer le renforcement de leurs murailles contre les Hussites, entreprendre des travaux édilitaires (pavement, hôtel-de-ville), surmonter le coût des guerres, voire rembourser des emprunts, des cités comme Rothenbourg ou Wissembourg usèrent d’un recours accru à l’emprunt. Elles émirent pour ce faire de nouvelles rentes viagères 1457 et perpétuelles 1458 qui les conduisirent parfois au bord de l’endettement. Même le conseil de Nuremberg qui répugna toujours à recourir aux rentes perpétuelles dut se résoudre à en émettre au cours du XVe siècle quand les recettes courantes ne pouvaient satisfaire les dépenses engagées 1459 . Au lendemain des guerres contre les Hussites, sollicité pour un prêt par le burgrave de Prague, Meinhard von Neuenhausen, le gouvernement nurembergeois évoque ces émissions répétées de rentes :

« …Votre noblesse voudra bien noter que nous, pauvres chrétiens, pieux et croyants, nous avons investis, de même que les nôtres, durement nos corps et nos biens pour le renforcement de la sainte chrétienté et l’honneur du Saint Empire et nous avons dépensé de grands biens et sommes d’argent. Pour cela et pour d’autres constructions et affaires, nous avons dû vendre beaucoup de rentes viagères et perpétuelles et nous sommes obligés d’en servir les intérêts annuels de telle sorte que nous ne pouvons pas vous prêter de l’argent ou des biens, quand bien même nous aurions donné notre accord à votre grâce plutôt qu’à un autre. ..».’

Ces émissions de rentes eurent du succès auprès des populations citadines. Les mises de fonds initiales pouvaient être minimes, de telle sorte que les souscripteurs n’hésitaient pas à acquérir quelque rente pour l’entretien futur de leurs enfants, les filles surtout. En 1440, Nuremberg se trouvait ainsi liée par contrats de rentes à 347 rentiers en viagers, dont 40% de sexe féminin.

En dépit des complications engendrées par des porteurs de titres extérieurs à la cité, les villes laissèrent entrer parmi leurs créanciers des bourgeois étrangers 1460 . Elles le firent même parfois sciemment dans le cadre de montages financiers intercommunaux 1461 . Afin d’aller chercher vite et bien la richesse là où elle s’accumulait, on n’hésita pas à créer des régimes d’exception pour les rentiers étrangers. Ainsi, Nuremberg, qui s’engageait à payer les intérêts ponctuellement sur sa place 1462 , tolérait-elle, si les capitaux étrangers étaient conséquents, des versements d’intérêts en d’autres lieux, comme les foires de Francfort et de Nördlingen 1463 . Ses rentes, imposables quand elles étaient détenues par des bourgeois nurembergeois, ne l’étaient qu’au cas par cas pour les détenteurs de titres étrangers. Cela était alors précisé individuellement dans la lettre de rente émise au moment de la vente. De même, pour de généreux étrangers, la monnaie 1464 ou les termes de paiement 1465 restaient-ils négociables.

Le versement des intérêts annuels obligeait la ville émettrice à rester en contacts avec les détenteurs de titres, quand bien même ils étaient établis dans une cité lointaine et que la lettre de rente était passée en de nouvelles mains. Si les rentiers étrangers formaient, par leur origine, un ensemble suffisamment conséquent, des facteurs municipaux prenaient en charge les transactions ordinaires. Des facteurs d’origine nurembergeoise payaient à Nuremberg les intérêts annuels de rentes rothenbourgeoises. Quelques bourgeois et marchands de Nuremberg qui prenaient régulièrement le chemin des foires de Francfort, comme Anton Baumgartner, acquittaient au nom de leur ville le paiement des intérêts auprès des étrangers les plus éloignés 1466 . Il en était ainsi pour les rentes dues aux bourgeois de la zone rhénane, comme Cologne, Mayence ou Francfort. :

« On est redevable de payer annuellement à quelques hôtes de Cologne, Mayence, Francfort etc leur rente viagère à Francfort dans la ville, la moitié le jour des Rameaux, et l’autre moitié le jour de la Nativité de Marie, comme leurs lettres le disent selon le modèle enregistré dans le livre des rentes viagères etc. On doit veiller à recruter quelqu’un ou à mander quelqu’un, comme Anton Baumgartner l’a fait de très nombreuses fois, qui reçoit cet argent ici et qui le paie sans faute à chaque terme là-bas et qui reçoit en retour quittance de chacun en particulier. On doit alors donner à ce dernier à temps, d’après la chambre du trésor et selon le contenu de ces mêmes fiches, le nom et la somme correspondant à chaque personne pour chaque susdit terme auquel ladite rente viagère doit être payée. Item sur le même document ou fiche doivent aussi être inscrits en particulier certains de Cologne qui ont encore des rentes perpétuelles ici, à payer de la même façon à Francfort ut patet dans le livre de rentes perpétuelles. Tout cela doit alors être inscrit pour chaque terme dans le susdit livre des dépenses pour les rentes perpétuelles et viagères. »’

En dépit des précautions prises au quotidien, il arrivait que cette belle mécanique de paiement se grippe. Les hôtes et leurs rentes font alors irruption dans les Briefbücher. Il y est question de rentiers isolés en proie à un problème dans le versement de leurs intérêts ou de détenteurs de titres, plus nombreux, alliés dans leurs revendications. Les incidents étaient toutefois assez rares. Grâce à l’Obligationsbuch de Rothenbourg 1467 , qui contient des lettres de rentes viagères et perpétuelles émises entre 1407 et 1450, auquel s’ajoutent de nombreuses quittances de rentes viagères établies par les facteurs, on connaît l’origine des rentiers disposant alors de titres rothenbourgeois et le capital qu’ils y avaient investi.

Tableau 13 : Origine des rentiers détenteurs de rentes perpétuelles et viagères de Rothenbourg entre 1407 et 1450 
Origine Capital rentes viagères (fl.) Capital rentes perpétuelles (fl.) Capital total % de la somme Rang
Nuremberg 27118 44320 71438 35,3% 1
Spire 727 37298 38025 18,8% 2
Rothenbourg 21450 13660 35110 17,3% 3
Augsbourg 7375 21000 28375 14% 4
Schwäbisch Hall 7162   7162 3,5% 5
Windsheim 250 4000 4250 2% 6
Munich   2000 2000 1% 7
Ulm 1687   1687 0,8% 8
Comburg 1625   1625 0,8% 9
Langheim 1125   1125 0,6% 10
Ochsenfurt   1000 1000 0,5% 11
Bruchsal   900 900 0,4% 12
Dinkelsbühl 750   750 0,4% 13
Gunzenhausen 750   750 0,4% 13 ex
Ansbach 625   625 0,3% 14
Herrieden 625   625 0,3% 14ex
Mayence 625   625 0,3% 14ex
Nördlingen 625   625 0,3% 14ex
Schrozberg 625   625 0,3% 14ex
Sulz 551   551 0,3% 15
Heilbronn 500   500 0,2% 16
Wiesenthau 500   500 0,2% 16ex
Würzbourg 400   400 0,2% 17
Heidelberg   300 300 0,1% 18
Virnsberg 250   250 <0,1% 19
Haguenau   200 200 <0,1% 20
Landshut 156   156 <0,1% 21
Gründlach 125   125 <0,1% 22
Neumarkt 125   125 <0,1% 22ex
Steinsfeld 125   125 <0,1% 22ex
Worms 100   100 <0,1% 23
Mulfingen 100   100 <0,1% 23ex
Frauenthal 50   50 <0,1% 24
Origine inconnue 1600   1600 8%  
Somme 77726 124678 Environ 202404    

Parmi les détenteurs de rentes, les Nurembergeois venaient largement en tête, en fournissant ensemble plus de 35% du capital apporté à la ville de Rothenbourg par les rentes. Les intérêts étaient servis à des membres de l’élite nurembergeoise, comme les Holzschuher, Peter Rieter, Michel Beheim, Andres Haller ou Berthold Tucher. Ils correspondaient plus souvent à des rentes perpétuelles qu’à des rentes viagères. Les capitaux nurembergeois s’immiscaient pour longtemps dans la marche financière de la ville voisine et amie.

Un phénomène similaire s’observe dans la ville de Schweinfurt. Les sources disponibles sur les rentes, bien qu’en faible nombre, révèlent là aussi la forte présence de rentiers venus de Nuremberg, aux côtés de Würzbourgeois 1468 .

Tableau 14 : Origine des possesseurs de rentes émises par Schweinfurt
Origine des rentiers Année 1486 Année 1505
  Nbre de rentes viagères Nbre de rentes perpétuelles Nbre de rentes viagères Nbre de rentes perpétuelles
Nuremberg 17 19 7 23
Augsbourg 3   3  
Francfort 1      
Bamberg 8 11 10 13
Würzbourg 7 14 5 26
Gerolzhofen et autres communautés 19 20 15 39
Schweinfurt 6 13 7 18

Les rentes tenues par les Nurembergeois, par leur nombre et leur importance, renvoient à des opérations spéculatives. Elles résultent sans doute très largement des prêts et de financement accordés officieusement par la ville de Nuremberg à ses plus petites voisines. Les liens familiaux, de même que des contacts intercommunaux cordiaux favorisaient ici les investissements. On plaçait l’argent dans une ville de confiance, qui jouissait d’un certain crédit et où l’on avait des connaissances. A une moindre échelle, ces traits se retrouvaient dans les placements faits par les bourgeois de Schwäbisch Hall à Rothenbourg ou par les citoyens de Bamberg à Schweinfurt.

Au regard des sommes et du nombre de rentes nurembergeoises que Rothenbourg devait verser chaque année, les litiges entre la ville émettrice et les souscripteurs nurembergeois étaient rares. Sur 18 années de correspondances entre 1405 et 1448 et 213 lettres adressées par le conseil de Nuremberg à la ville de Rothenbourg, seules deux lettres sont relatives à un problème de rentes, en 1420, soit 1%. Le registre des lettres reçues fait quant à lui état de 163 lettres en provenance de Rothenbourg entre 1449 et 1457, sans qu’aucune ne manifeste un litige pour les rentes. Ce remarquable fonctionnement est sans doute imputable à la présence des facteurs de Rothenbourg sur la place nurembergeoise 1469 .

La proportion de litiges paraît un peu plus forte avec la ville de Schweinfurt. 4 lettres sur 78 (18 années dépouillées entre 1405 et 1448), soit 5%, portent réclamation pour non paiement de rentes par la ville de Schweinfurt. D’après le registre des lettres reçues par Nuremberg, Schweinfurt adressa à Nuremberg 19 missives entre 1449 et 1457 : 4 des notices correspondantes parlaient de problèmes relatifs aux rentes.

A cela s’ajoutent, dans le corpus étudié, des problèmes de rentes plus sporadiques entre Nuremberg, Nördlingen et Landshut. Le conseil de Würzbourg reçut aussi à plusieurs reprises les plaintes de la capitale franconienne pour le non-paiement de rentes tenues par les Nurembergeois.

Face à des cas isolés, les cités d’origine des rentiers œuvraient pour le paiement des sommes dues à leurs bourgeois, après s’être assurées de leurs droits à y prétendre (détention de la lettre de rente, non décès du 1er souscripteur de la rente viagère). Nuremberg écrit en ce sens à Nördlingen en 1407 : 1470

« Vous nous avez écrit à propos de notre bourgeoise, la femme de Caspar Schopper. C’est pourquoi, selon votre volonté, nous l’avons invitée à parler. Elle nous a répondu qu’elle a cette lettre et document, la lettre d’affaire et aussi la lettre de rente viagère qui avaient aussi été faites à certains de nos amis et leur avaient appartenu. De telle sorte qu’elle dit que vous devez lui payer la rente viagère. Il est aussi connu que Peter Schopper est encore en vie et si cela était nécessaire, elle est prête à vous l’attester par une lettre. C’est pourquoi nous demandons à votre amitié de bien vouloir faire payer cette même rente viagère à notre susdite bourgeoise ». ’

L’intervention devenait plus opiniâtre quand les intérêts de plusieurs rentiers locaux se trouvaient concernés et que les impayés s’accumulaient. La conciliation par lettre faisait alors place aux arbitrages entre villes :

Lettre de Nuremberg à Würzbourg le 13/05/1405

« Chers amis, vous nous avez écrit à propos de nos bourgeois qui ont des rentes viagères venant de vous et d’autres villes en Franconie. Nous en avons pris bonne note et nous faisons savoir à votre sagesse que nous avons convoqué nos bourgeois susdits et les avons interrogés sans délai et ils nous ont répondu qu’ils ont déjà participé avec vous à de nombreuses réunions et arbitrages et qu’il n’y a pas pu avoir d’entente au sujet de ces rentes viagères. Vous nous avez envoyé à ce propos l’agent de notre sire de Würzbourg Conrad Weyboltshauser et lui avez recommandé de parler avec eux, ils ont alors répondu au susdit Weybolthauser et lui ont donné un document écrit qu’il est censé vous remettre, comme vous le constaterez. Il y avait là certains de nos bourgeois qui étaient peu enclins à accepter cela, mais pour faire votre volonté, nous leur avons demandé qu’ils en restent encore aux termes de l’arbitrage et du document qui a été établi quand Weybolthauser était là et ils ne pensent pas les modifier. Votre sagesse comprendra donc bien qu’il ne nous conviendrait pas de léser nos bourgeois dans leurs droits alors qu’ils ont des lettres et des chartes. Nous espérons que pour votre part, vous ne nous en tiendrez pas grief. » 1471

En cas de difficultés de paiement, la ville débitrice prenait souvent les devants et avouait son insolvabilité temporaire à ses correspondantes. Cela lui épargnait des dépenses et des humiliations inutiles. Les statuts nurembergeois montrent en effet des procédures très strictes en cas de non paiement des intérêts aux termes prescrits. Si la rente viagère n’était pas payée dans les huit jours suivant le terme fixé, le détenteur se trouvait en droit de réclamer les intérêts et des réparations payables à nouveau sous huit jours. Au delà de cette limite, les réparations continuaient à courir. Le créancier pouvait aussi demander la saisie sur corps de 4 membres du conseil dans une auberge de la ville au frais de la communauté et lui faire payer tous les frais de recouvrement 1472 .

La conciliation menée par lettres entre les villes s’accompagnait d’une harmonisation de leurs dispositions statutaires sur les rentes. L’instauration de règles plus strictes, l’alignement des termes, des lieux et des monnaies de paiement garantissaient une meilleure administration locale des rentes, mais évitaient aussi que de belles amitiés interurbaines ne se brisent. La rente était due aux détenteurs étrangers envers et contre tout, même en temps de guerre, elle ne pouvait davantage faire l’objet de saisies. Une lettre de rente perpétuelle émise par Rothenbourg 1473 pour des bourgeois de Spire affichait ainsi ses préoccupations intercommunales : rien ne devait empêcher ni troubler le paiement des intérêts « ni la guerre, ni le pillage, ni le vol, ni une saisie ou une retenue, ni aucune guerre ou hostilité que nous pourrions avoir avec la ville de Spire ou eux avec nous, ni aucune autre histoire d’aucune sorte ou aucun déplaisir en aucune sorte ». En cas de non paiement dans les 14 jours prévalait le droit de Spire. La somme due était doublée « selon le droit et la coutume de la ville de Spire ». Au-delà, 6 conseillers rothenbourgeois devaient rester dans une auberge de Spire, tandis que les portes de la ville se fermaient aux Rothenbourgeois.

Conscients des difficultés qu’avaient les villes à adopter un front commun face aux agissements des particuliers, les bourgeois jouaient eux-mêmes des imperfections de la coopération interurbaine. Les Briefbücher nurembergeois témoignent en proportions croissantes de ces bourgeois, qui insatisfaits d’un jugement rendu dans la ville, ou en litige avec leur conseil, exportaient leurs griefs en d’autres lieux. Même si ces citoyens en rupture de ban recouraient le plus souvent à des tribunaux seigneuriaux, royaux ou ecclésiastiques contre leur ville d’origine, quelques lettres attestent de leur repli dans d’autres cités. Tel fut le cas du conseiller rothenbourgeois Hans Wern qui, dans sa fuite, sollicita successivement le droit de bourgeoisie et donc la défense des villes de Würzbourg, de Nuremberg, puis d’Ansbach. Citons encore Wernher Neumeyer accusé à Nuremberg d’avoir voulu empoisonner sa femme et soutenu dans son exil par des bourgeois de Landshut et de Munich.

Face à toutes ces sources de conflits intercommunaux potentiels, les villes n’avaient d’autre choix que de s’écrire, pour rechercher la conciliation. Au besoin, il leur restait l’arbitrage, tandis que chacune en ses murs cherchait à se préserver du conflit par des moyens statutaires. Cette œuvre de pacification intercommunale commençait dans la législation sur le droit de bourgeoisie. Le nouveau bourgeois devait au dehors ses anciennes guerres. « Und het er deheinen alten krieg, des wer man sin niht schuldig zu helfen, dann als man mit gelimpf und mit bescheidenheit dortzu tun wölt », dit le Statutenbuch rothenbourgeois 1474 . Dans leurs droits de bourgeoisie, des villes comme Nuremberg interdisaient en outre la « double nationalité » 1475 .

« Aucun de nos bourgeois, qu’il soit marié ou célibataire, ne doit être bourgeois dans aucune autre ville, et celui qui rompt cela, ne doit pas continuer à être bourgeois et ne doit plus pouvoir profiter de son droit de bourgeoisie et doit aussi verser le double du Losung suivant sur tous ses biens ; et quel qu’il soit, ce bourgeois passera devant le juge, le Frager (bourgmestre) et devant les échevins, et s’il ne vient pas en ville dans le délai qui lui sera fixé, il ne pourra plus non plus continuer à être bourgeois » 1476

Le nouveau bourgeois devait faire siennes ces prescriptions dans le serment qu’il prononçait. En devenant bourgeois de Nuremberg, on s’engageait à prendre justice devant l’écoutête, le juge et le tribunal du lieu, « et de nulle part ailleurs » et l’on devait s’en contenter. Sur son serment, le bourgeois ne devait avoir aucune autre autorité, aucun autre droit de bourgeoisie, aucune autre protection ni engagement, sans la grâce et la volonté du conseil. De même, confrontées aux allées et venues des hommes et des marchands, les villes commerçantes, où entraient en masse les membres d’autres cités, avaient dû créer la catégorie des hôtes, « un compromis entre l’égoïsme de la communauté bourgeoise et la nécessité de l’échange entre état » 1477 . Mais elles avaient pris soin de supprimer dans ce statut les sources de conflit potentiel entre les hôtes et le gouvernement des villes qui les recevaient. Les hôtes de Nuremberg n’étaient pas propriétaires, ni assujetis aux taxes d’entretien de la ville. Envers hôtes et bourgeois, on évitait soigneusement les situations génératrices de conflits entre villes, comme on le fit par ailleurs pour les Pfahlbürger à l’égard du monde nobiliaire.

Notes
1453.

Voir StAN, BB 1, fol. 86

1454.

Voir StAN, BB 1, fol. 65v

1455.

Cf. StAN, BB 3, fol. 25v

1456.

Cf. StAN, BB 3, fol. 36v (13/01/1410)

1457.

Les rentes viagères (Leipgeding) avaient à l’origine une dimension religieuse et correspondaient alors à des offrandes pour le salut de son âme. La rente viagère fut d’abord un titre strictement personnel, que son propriétaire ne pouvait céder et qui prenait fin à la mort du détenteur. Le capital versé lors de la souscription de la rente n’était pas remboursé. Comme elle était éphémère, la rente viagère était dotée d’un meilleur taux d’intérêt annuel que les rentes perpétuelles. A Rothenbourg au début du XVe siècle, le taux moyen des rentes viagères est d’environ 8%, pour des intérêts servis en moyenne pendant une vingtaine d’années.

1458.

La rente perpétuelle est un titre d’emprunt émis par le conseil municipal quand il désire disposer rapidement de liquidités importantes. La rente perpétuelle est vendue sous une forme nominative, mais elle peut être cédée à une tierce personne par le premier détenteur. Le taux d’intérêt annuel de ce type de rente est à peu près fixe, soit 5% du capital investi par l’acheteur. Les conseils municipaux émetteurs se réservent souvent un droit de rachat de la rente. Ils doivent dans ce cas rembourser le capital versé par le détenteur de la rente. Les rentes perpétuelles étaient généralement une bonne opération pour les investisseurs. Sur 20 ans, ils avaient la garantie de doubler leur capital.

1459.

C’est seulement quand les candidats aux rentes viagères n’étaient plus en nombre suffisant pour se procurer du capital que les conseillers nurembergeois se résignaient à émettre des rentes perpétuelles. D’après les registres annuels de rentes perpétuelles conservées, ils le firent en 1388 pendant la guerre des villes, puis rachetèrent les rentes émises ou négocièrent leur transformation en rentes viagères. Les fortifications construites en 1426 ont fourni une nouvelle occasion d’émission, que l’on chercha à nouveau à résorber par des rachats en masse. En 1441, les trésoriers (Losunger) mettent en vente pour 1 000 florins de rentes perpétuelles au taux de 1/10.

Année d’exercice1431143214331434143514361437143814391440Dépenses pour rentes viagères (lb)739385321031411621124071408815164161441692418025Dépenses rentes perpétuelles (lb)7038781582978272829383128116799077497669Sommes (lb)14431163481861119893207012240023281241352467425694

Dans la deuxième moitié du XVe siècle, les émissions de rentes nurembergeoises diminuent sur les ordres du gouvernement municipal. Sander note qu’en 1486 les dépenses liées au versement des intérêts des rentes sont encore de 17 663 florins. Elles chutent à 7 140 florins en 1500 et ne sont plus que de 911 florins en 1550. Cf. Paul Sander, Die reichstädtische Haushaltung Nürnbergs, Leipzig, 1902

1460.

Cf. StAN, Rep. 52b, Amts-und Standbuch n° 267, fol.66, sous le titre « Ewiggelt Walpurgis und Martini » (rentes perpétuelles du 1er mai et de la Saint Martin)

« Certains hôtes ont également des rentes perpétuelles que l’on paye et doit payer en monnaie-argent. Ces derniers sont également notés jusque-là dans le susdit livre selon les paroisses en particulier dans les postes ‘hospitibus’ »

1461.

Voir § sur les relations financières entre villes.

1462.

A Nuremberg, les intérêts annuels des rentes perpétuelles étaient dus en deux termes, le 1er mai (Walpurgis) et le 11 novembre (St Martin). Ceux des rentes viagères étaient acquittés en 4 termes : Invocavit (24 février), Pentecôte, Ste Croix (14 septembre) et Ste Lucie (13 décembre)

1463.

Pour sa part, outre des versements d’intérêts à Nuremberg, la ville de Rothenbourg consentit au XVe siècle à des paiements de rentes perpétuelles sur la place de Spire pour le jour de la saint Jean pendant les fêtes de Noël.

1464.

Le prix de la rente est exprimé en florins. Le florin territorial sert de monnaie de paiement pour les rentes perpétuelles, le florin hongrois ou le florin de la ville permettent d’acquitter les intérêts des rentes viagères.

1465.

Le conseil de Nuremberg a visiblement accepté des dérogations qui concernent les rentes viagères payables sur la place de Francfort. Leurs termes coïncident avec le jour des rameaux et le jour de la Nativité de Marie.

1466.

Cf. StAN, Rep. 52b, Amts-und Standbuch n° 267, fol. 67, sous le titre « Leipgeding ausgeben » (dépenses au titre des rentes viagères). Rappelons que ce document d’archives correspond à un manuel administratif nurembergeois de 1458 expliquant aux employés des finances la marche à suivre pour gérer au mieux les différents postes de recettes et de dépenses.

1467.

Cf. Stadtarchiv Rothenbourg, B 237. Voir aussi J.U. Ohlau, Der Haushalt der Reichsstadt Rothenburg…, Erlangen, 1965

1468.

Cf. Helmut Winter, « Der Rentenkauf in der freien Reichsstadt Schweinfurt », Mainfränkisches Jahrbuch 22 (1970), p. 1 150

1469.

D’autres faits relatifs à des rentes émises par Rothenbourg et tenues par des Nurembergeois apparaissent dans les Missivenbücher de Rothenbourg. Cf. Stadtarchiv Rothenbourg, Mis 216, fol. 96, 97, 144 (1501-1502)

1470.

StAN, BB1, fol. 196. Lettre de Nuremberg à Nördlingen. « Lieben freunde, als (ir) geschrieben habt von Caspar Schopperin unserer burgerin wegen, darumb haben wir dieselben durch ewern willen zu red gesetzt. Di hat uns geantwurt, si hab solch brieff und urkund, geschoftbrief und auch leipgedingbrief dy auch etlich unseren freunden geschah und gehört haben, domit sy bringt, das ir ir das leipgeding schuldig seyt zu betzalen und auch wissen ist, das der Peter Schopper noch lebendig ist und wenn des not geschehe, so wil si auch brief geben. Darumb bitten wir ewr freuntschaft, das ir der egenanten unsern burgerin das selben leibgeding volgen lasset. Das wollen etc. datum feria II post Bonifacii » (06/06/1407)

1471.

StAN, BB 1

1472.

Ce règlement ressort de plusieurs modèles de lettres insérés dans le Briefbücher 1. Cf. StAN, BB1 fol. 250v, 251 (1408). La même chose vaut à Rothenbourg. Cf. lettre formulaire RSTA B237, fol. 88-88v. Voir J.U. Ohlau, Der Haushalt der Reichsstadt Rothenburg…, Würzbourg, 1975, p. 251 et s.

1473.

Cf. RSTA, B237, fol. 2 et s. – Voir Ohlau, p. 258

1474.

Cf. Stadtarchiv Rothenbourg, Statutenbuch, A9, tit. 8, voir Rudolf Walther von Bezold, Die Verfassung und Verwaltung der Reichsstadt Rothenburg ob der Tauber (1172-1803), Nuremberg, 1915, p. 31

1475.

Celui qui n’était ni bourgeois du lieu, ni admis par la ville comme bourgeois des faubourgs (Pfahlbürger) était donc en règle générale un étranger. Voir H. Thieme, « Die Rechsstellung der Fremden in Deutschland vom 11. bis zum 17. Jahrundert », dans Recueils de la Société Jean Bodin, vol. 10, Bruxelles, 1945, p. 202-216 ; G. Dilcher, « Zum Bürgerbegriff im späten Mittelalter. Versuch einer Typologie am Beispiel von Frankfurt am Main », dans J. Fleckenstein/ K. Stackmann (éd.), Über Bürger, Stadt und städtische Literatur im Spätmittelalter, Göttingen, 1980, p. 59-105. En attendant la parution des actes du XXXe Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur, L’étranger au Moyen Âge, Göttingen, 3-6 juin 1999, voir le Bulletin de la MHFA 35 (1999), p. 43 et s. En particulier, Neithard Bulst, « Zur Rechsstellung von Fremden in spätmittelalterlichen deutschen Städten » et Patrick Gilli, « Citoyens et non-citoyens dans la pensée juridique italienne à la fin du Moyen Âge »

1476.

Voir W. Schultheiss, « Das Bürgerrecht der Königs- und Reichsstadt Nürnberg », dans Festschrift für H. Heimpel, vol. 2, Göttingen, 1972, p. 159-194 ; du même, W. Schultheiss, Nürnberg. Die Pergamenten Neubürgerlisten 1302-1448, Nuremberg, 1974

1477.

Voir W. Ebel, « Über die rechsschöpferische Leistung des mittelalterlichen deutschen Bürgertums », dans Untersuchungen zur gesellschaftlichen Struktur der mittelalterlichen Städte in Europa, Constance-Stuttgart, 1966, p. 252 et s. ; A Schulze, « Über Gästerecht und Gastgerichte in den deutschen Städten des Mittelalters », Historische Zeitschrift 101 (1908), p. 473-528. Voir aussi l’article « Gastfreuntschaft » dans HRG 1, 1971, colonnes 1389-1391