Les relations symboliques entre villes

Les missives formaient en elles-mêmes la trame d’échanges symboliques entre les cités. On l’a vu, la réciprocité était entre villes l’un des principes maintes fois énoncés et la réponse aux lettres envoyées constituait l’un des premiers devoirs de l’amitié. Cependant, les lettres, par leur teneur, ne sont pas les meilleurs témoins des gestes et des relations symboliques accomplis entre les conseils urbains. La dimension symbolique se manifestait davantage dans les démarches diplomatiques et les rencontres de visu.

Au travers des douanes recognitives et des cadeaux échangés chaque année entre les partenaires d’accords douaniers, qu’il s’agisse d’une livre de poivre ou de gants blancs, nous avons déjà pu saisir l’attachement des cités au maintien du lien symbolique. L’attribution de cadeaux à l’occasion des visites de diplomates et de représentants urbains s’inscrit dans la même logique. Elle n’était pas seulement un élément de decorum, mais re-présentait les liens et les re-créait.

Toutes les villes tenaient dans leurs comptes un suivi des dépenses somptuaires prodiguées lors de la venue d’hôtes de marques ou lors d’événements marquants de la vie urbaine. On en trouve trace jusque dans les chroniques qui réutilisent souvent ces données en narrant l’entrée du souverain dans les murs de la cité.

L’administration nurembergeoise a ceci en propre qu’elle est allée jusqu’à consigner, dès la fin du XIVe siècle, dans des ouvrages particuliers 1478 les cadeaux consentis aux visiteurs lors des événements diplomatiques et festifs, à commencer par les assemblées impériales puisque, par coutume, Nuremberg devait être le cadre de la première réunion tenue par un roi nouvellement nommé. L’usage des dons, le plus souvent sous forme de vin, était prescrit par des ordonnances 1479 et consigné dans les Schenkbücher.

« Notandum Hie ynnen stet geschriben waz man fursten, herren, rittern, knechten und steten geschenkt hat und anhub feria IIIIta post Egidii anno LXXXXIII » 1480 .’

A l’intérieur de ces ouvrages, année par année et Frage par Frage, étaient répertoriées les dépenses honorifiques, leur nature et leurs bénéficiaires. A défaut d’une étude systématique de ces volumes, qui cernerait la part relative des cadeaux pour chacune des catégories énumérées (princes, barons, chevaliers, écuyers et villes) et prendrait en compte l’ensemble des cités répertoriées, quelques constatations sont possibles sur la base des dépenses éditées dans les Reichstagsakten. Les dons laissent entrevoir une hiérarchie très complexe des offrandes, fondée à la fois sur la qualité du vin 1481 et la quantité, exprimée en quartiers. Le cadeau dépendait ensuite du nombre de personnes concernées et de la distinction que le conseil souhaitait exprimer. Dans le cas des cadeaux offerts aux délégations urbaines, il n’est pas toujours facile d’en juger à défaut de connaître à chaque fois le nombre d’hôtes concernés et la qualité même du représentant envoyé par les cités. De grandes précautions s’imposent donc dans les conclusions portées sur ces cadeaux en vin.

En 1438, parmi les dons effectués entre le 9 juillet et le 6 août, « ceux de Windsheim » et de Wissembourg reçurent la même quantité et au même tarif : 4 quartiers de vin au prix de 14 schilling heller. Un don de quantité et de qualité identiques est à nouveau offert à ceux de Windsheim en août-septembre au prix de 13 schilling 4 heller.

Si les prix variaient au fil du temps avec les cours du vin, les quantités offertes répondaient à des habitudes anciennes et permettent de constater que le niveau d’offrande pour Windsheim n’avait guère varié en l’espace de 50 ans. Dès 1381, dans le premier livre de compte conservé par Nuremberg, le conseil offrait déjà aux diplomates de Windsheim 4 quartiers de vin au prix de 9 schilling à l’occasion d’une assemblée impériale dans la ville 1482 .

Les offrandes consenties à Schweinfurt et Rothenbourg lors des assemblées de 1438 présentent quant à elles quelques variations. Deux personnes du conseil de Schweinfurt reçoivent en juillet-août 6 quartiers pour 1 livre 1 schilling et « ceux de Rothenbourg » 4 quartiers pour 14 schilling. Mais en août-septembre, le don à ceux de Rothenbourg se porte à 6 quartiers, soit deux de plus que ceux de Windsheim à la même date.

Sous réserve de confirmation, le conseil nurembergeois semble donc établir une distinction par l’honneur entre ses voisines impériales franconiennes, logeant au moins Rothenbourg à meilleure enseigne que Windsheim et Wissembourg. Peut-on se permettre d’y voir le reflet d’une hiérarchie urbaine rejoignant celle des Briefbücher, qui distinguerait les villes selon leur importance ? Il est en tout cas certain que de « grandes » villes comme Francfort ou Cologne reçoivent à la même date beaucoup plus que les 4 quartiers consentis à Windsheim. « Deux du conseil de Francfort » bénéficient ainsi en juillet-août 1438 d’abord de 8 quartiers pour 1 livre 6 schilling 8 heller, puis de 6 quartiers pour une livre 1 schilling. « Deux du conseil de Cologne » obtiennent quant à eux 8 quartiers. L’importance de la ville semblait appeler une augmentation des quantités.

En dehors de ces offrandes symboliques au cours des réunions impériales, des diètes urbaines ou des réunions de paix, les manifestations de sympathie passaient au quotidien par les gratifications faites aux fifres, hérauts, messagers et autre personnel subalterne étranger. Alors que les mariages ou les décès des grands princes voisins 1483 engendraient des cérémonies, des messes et des fêtes jusque dans les villes impériales, les mentions « d’événements » proprement intercommunaux semblent rares dans les villes franconiennes. Les Gesellenstechen nurembergeois, joutes entre jeunes gens de l’élite dirigeante, visaient avant tout à souder un groupe à l’intérieur de la société urbaine locale. Le Carnaval de Nuremberg, le Schembart, attesté à partir de 1397, était l’émanation du métier des bouchers 1484 . Encadré à partir de 1449 par le conseil urbain, il commémorait sans doute les émeutes de 1349 qui avaient opposé dans la ville les groupes sociaux partisans de Charles IV et ceux qui optèrent pour les Wittelsbach. Pour avoir épousé la cause luxembourgeoise finalement victorieuse, les bouchers auraient reçu, au travers d’un privilège de danse et de fête, la récompense de leur loyauté. Le carnaval correspondait donc avant tout dans la capitale franconienne à une fête à usage interne, qui rejouait le rétablissement de l’ordre ancien et manifestait l’importance de la loyauté et de la fidélité envers le pouvoir établi. Il n’est pas question dans tout cela d’interventions, ni de visites des autres villes. Mais peut-être suffirait-il de chercher davantage pour trouver quelques fêtes impliquant plusieurs cités ? 1485 L’ouverture d’un marché annuel à Schweinfurt ou d’une nouvelle foire à Nuremberg donnèrent lieu à des invitations urbaines. A quelles festivités et manifestations assistèrent alors les représentants des villes conviées ? 1486 . Il est notoire que dans l’espace saxon et helvétique existèrent des fêtes destinées à fédérer et générer des ardeurs intercommunales. La « Gralsfest » de Magdebourg, exutoire pour les « kunstabelen », les jeunes gens célibataires de riches familles, n’avait pas pour seule fonction d’affirmer l’identification à un groupe social. Elle était ouverte aux autres villes du Nord de l’Allemagne.

« Qu’est ce qui pouvait bien, vers 1280, avoir conduit et rassemblé des marchands de Goslar, Hildesheim, Brunswick, Quedlinburg, Halberstadt et d’autres villes à une fête avec les Magdebourgeois ? Ce n’est sans doute pas seulement le besoin […] d’exercer la chevalerie. Les efforts déployés pour une attitude cohérente des villes saxonnes dans la question du commerce avec les Flandres devaient être en arrière-plan. Wilhelm Störmer a déjà remarqué que les villes représentées nommément sont celles qui, comme Magdebourg elle-même, appartinrent plus tard à la Hanse […]. Ainsi à partir de la chronologie, il est tout à fait concevable que le ‘Magdeburger Gral’ fêté par les marchands de l’espace saxon devait renforcer par la fête la politique commerciale commune des villes qui y étaient représentées » 1487 . ’

A défaut de fêtes aussi ouvertement intercommunales, les villes franconiennes étaient le cadre de concours, de jeux d’adresse ou de loteries ouvertes aux citadins venus de l’extérieur. L’organisation en revenait dans de tels cas aux conseils, qui établissaient le règlement, la liste des invités et puisaient sur les finances publiques le prix des lots, souvent de grande valeur. Le concours dont parlent les chroniques nurembergeoises pour le 3 novembre 1460 semble avoir été réservé aux membres des compagnies d’arbalétriers nurembergeoises :

« Wer schiessen wolt legt einen reinischen gulden, man liess auch keinen schiessen er wer denn purger, und der rat legt allen zeug vergebens » 1488

Mais la manifestation atteignait parfois une plus grande ampleur. On trouve en Franconie, comme dans la Confédération helvétique, des Schützenfeste et des concours de tirs auxquels étaient conviés les hommes des autres villes 1489 . En 1457, aux dires des annales de Nuremberg (Jahrbücher des 15. Jahrhunderts), ceux de Nuremberg envoyèrent à Augsbourg et à « beaucoup d’autres villes » en Bavière et Souabe une lettre de la teneur suivante :

« Aux prudents, honorables et sages bourgmestres et conseillers et à l’ensemble des compagnons arquebusiers de la ville d’Augsbourg, nos chers sires et bons amis, nous, maîtres arquebusiers et artilleurs de la ville de Nuremberg, présentons notre salut serviable et fidèle et nous faisons savoir à votre digne sagesse que les prudents, honorables et sages, nos chers sires du conseil de Nuremberg, ont mis en jeu les lots et jeux d’aventure (cleinet und abentewer) suivants et veulent pour cela organiser des tirs le lundi avant la Saint Veit prochaine (12/06/1458), de sorte à être là le samedi précédent de nuit et à commencer ces tirs le même lundi, avec pour récompense deux timbales (Köpf) en argent dorées à l’or fin pour 50 florins, une coupe en argent dorée (scheurn) pour 45 florins, un cheval équipé pour 35 florins, un autre cheval équipé pour 25 florins, un autre cheval équipé pour 20 florins, item une ceinture en argent pour 18 florins, item un tour du cou en argent pour 16 florins, item un gobelet en argent pour 15 florins un autre gobelet (becher) en argent pour 14 florins, item une coupe dorée pour 13 florins, item un couteau frappé d’argent pour 12 florins, item un bœuf attelé pour 11 florins, un autre bœuf attelé pour 10 florins, un autre bœuf attelé pour 9 florins, item un gobelet en argent pour 8 florins, un autre gobelet en argent pour 7 florins, item une coupe en argent pour 6 florins, un autre coupe en argent pour 5 florins, item une armure pour 4 florins, une autre armure pour 3 florins, item un tors (Winde) en argent [pour une arbalète ?] pour 2 florins, item un anneau en or pour 1 florin , item pour la ville la plus éloignée dont une personne provient, un anneau en or pour deux florins ; […] Item on commencera ces tirs le susdit lundi et le même jour on fera le concours de tir, autant qu’on pourra en faire selon le conseil des compagnies de tir, et tous les jours qui suivent on commencera quand l’horloge sonne trois et on arrêtera quand l’horloge sonne 11 [donc de 7 heure le matin à 4 heures l’après-midi]. Item chaque compagnie d’arbalétriers (armbrustschütz) placera un florin rhénan dans la caisse (Toppel 1490 ). Item l’emplacement de ce jeu d’aventure et caisse sera de 140 pas et ces pas et mesures seront faits par un homme de la ville la plus lointaine avec un homme de Nuremberg. On tirera aussi dans un cercle de la largeur décrite dans la lettre. […] Et nos sires de Nuremberg délégueront un conseiller auprès de notre viseur juré vers la cible pour être juste et équitable envers tous et donner à chacun le droit qui lui revient et pour faire en sorte que l’affaire se tienne d’autant plus louablement et justement ; de sorte que si une affaire ou un différend devait éclater, on doit en venir et en rester à un arbitrage auprès de l’ensemble des compagnons arquebusiers ou à la majorité d’entre eux. C’est pourquoi nous demandons à votre honorable sagesse avec insistance de prier, au nom des sires de Nuremberg et en notre nom, vos susdits compagnons de tir de venir à notre concours pour fréquenter nos autres bons amis des alentours (umbsessen und gut freunde), de venir avec eux à ce divertissement et « aventure » (kurzweil und abentewer) et de tirer amicalement avec eux. Ceux-ci et chaque personne qui viendra ainsi à notre divertissement et « aventure », doivent avoir sécurité, paix et conduit le temps du concours de tir, aussi longtemps qu’il durera, de la part de nos susdits sires, pour aller et venir chez nous en sécurité et s’en retourner […] en dehors des bannis et de ceux auxquels la ville de Nuremberg a été interdite. Lettre scellée au nom de nous tous du sceau de l’honnête Leupolt Schürstab, bourgeois de Nuremberg, maître arbalétrier en chef (obersten Schützenmeister) … » 1491 (12/12/1457).’

Le concours de tir lancé 6 mois plus tôt eut effectivement lieu à Nuremberg au mois de juin suivant. La chronique en donne les résultats et les principaux participants. Les Augsbourgeois gagnèrent le premier prix, Öding (Otinger ?) en Bavière emporta un lot de 40 florins, de même qu’un cheval ; des prix revinrent également à Eichstätt, Bamberg, Geislingen (vers Ulm), Amberg, Ulm, Munich, Ratisbonne. Le conseil dépensa au total pour ce grand concours de tir 656 livres, 5 schilling et 3 heller.

Un précédent plus modeste par la mise en jeu est attesté en 1433, dans la Chronique du temps de Sigismond 1492 .

« Item cette année-là la ville de Nuremberg mit en jeu 7 lots qui valaient bien 250 florins : un bœuf, un cheval équipé d’un drap rouge, un gobelet en argent, une coupe en argent, une bonne armure et d’autres lots. Là vinrent beaucoup d’arbalétriers (Schützen) des villes et on commença à tirer le mardi après la saint Barthélémy (25 août) : le cheval fut gagné par ceux d’Augsbourg et ceux de Nuremberg gagnèrent les autres meilleurs lots ». ’

Dans un livre de cadeaux 1493 furent consignés les origines des participants. On vint pour ce concours d’Ulm, Rothenbourg et Eichstätt, d’Eschenbach, Amberg et Sulzbach, d’Hemau, Ratisbonne, Munich, Nördlingen, Kitzingen et Iphofen, Schweinfurt, Neustadt/Aisch, Freysing, Gräfenberg, Schwäbisch Hall, Cobourg, Bamberg, Augsbourg, Neumarkt. Ce « grand concours de tir avec les arbalétriers des hôtes (Gäste) et les nôtres, qui dura 5 jours, occasionna une dépense de 65 florins 16 schilling ½ et 49 livres 3 schilling et 4 heller, soit 122 livres 3 schilling 10 heller 1494 . Les meilleurs lots étaient alors un cheval pour 14 florins, une timbale de 9 florins, un bœuf de 6 florins, une armure de 4 florins… » Comme en 1458, un florin hongrois était destiné à la ville la plus lointaine (verrsten). A cela s’ajoutèrent des frais de « vin, pain, fruits et autres choses que l’on donna, et que l’on donna aussi en récompense aux secrétaires, fifres, tambours et autres employés qui étaient présents » 1495 .

Rothenbourg fut elle aussi le théâtre de concours de tirs semblables au début du XVIe siècle. Son conseil lança ainsi le 17 septembre 1502 des invitations à 18 localités de l’espace souabe et franconien, entre Main et Danube : Nuremberg, Nördlingen, Schwäbisch Gmünd, Schwäbisch Hall, Dinkelsbühl, Schweinfurt, Windsheim, Würzbourg, Ochsenfurt, Ansbach, Wertheim, Mergentheim, Neustadt/Aisch, Uffenheim, Kitzingen, Aw (Aub ?), Iphofen et Crailsheim.

« Chers amis, en l’honneur particulier de l’éminent et bien né prince et sire le sire Frédéric Margrave de Brandebourg, notre gracieux sire et pour lui plaire, nous avons décidé d’un tir à l’arbalète de sorte à être chez nous de nuit le dimanche du prochain jour de la Saint Oronisius [ ?], pour commencer le lundi matin. […] Comme sa grâce princière et également le très éminent et bien né prince et sire, le margrave Casimir, le fils de sa grâce, seront présents en personne pour ces tirs […] nous demandons à votre honorable sagesse amicalement avec une insistance particulière de bien vouloir envoyer vos arbalétriers et compagnies de tireurs pour le jour et le délai fixé chez nous ici, afin de d’entreprendre ces tirs et divertissement comme il est écrit plus haut… » 1496 .’

Les arbalétriers de Rothenbourg et Nuremberg ne se contentaient pas de recevoir leurs hôtes et concurrents. Ils s’en allaient concourir à leur tour dans des compétitions et festivités organisés hors de Franconie. En 1433, les arbalétriers de Nuremberg partirent disputer un lot à Ratisbonne. On voit aussi le conseil de Rothenbourg réclamer pour deux de ses ressortissants un lot qu’ils auraient honnêtement gagné à un concours de tir à Stuttgart 1497 .

Au vu de ces événements urbains, se dégagent quelques similitudes. Les lots mis en jeu et les règles du concours elles-mêmes variaient peu d’une cité à une autre. Les conseils œuvraient pour ce faire en concertation avec le métier des arbalétriers qui amenait ses propres codes et normes, laissant au gouvernement urbain le choix des lots et de toute la logistique liée à la venue des concurrents. De ce fait, le prix des récompenses, comme le bon déroulement des opérations, constituaient en soi une publicité pour la cité organisatrice et devait mettre en valeur sa puissance, sa richesse, son sens de l’ordre et de l’équité. S’il était coutumier d’offrir des coupes, des timbales et autres gobelets, ces objets étaient aussi, dans le cas de Nuremberg, un faire-valoir de son savoir-faire industriel, puisque de telles productions, de même que les armures, sortaient en quantité de ses ateliers. La distance sur laquelle la ville organisatrice parvenait à recruter des concurrents formait elle même enjeu, la récompense supplémentaire au citadin le plus éloigné n’était à ce titre pas fortuite. Elle permettait de porter la réputation d’une ville le plus loin possible, sachant qu’il pouvait s’agir d’un critère de classement et de hiérarchisation entre les cités.

L’irrégularité des manifestations conduit à inscrire leur organisation dans un contexte politique ou économique particulier. Manifestement, ces concours de tir ne laissaient rien au hasard. A l’exemple de celui de 1458, ils étaient organisés longtemps à l’avance et les participants recevaient parfois les invitations 6 mois plus tôt. L’actualité est cependant si riche dans les années considérées qu’il est difficile de trancher pour les deux exemples nurembergeois. 1433 fut une année marquée par les guerres contre les Hussites, le couronnement impérial de l’empereur, la tenue du concile de Bâle, mais aussi par la mise en place effective de la nouvelle foire de Nuremberg. Les villes de la ligue souabe prêtaient dans le même temps leur aide à Donauwörth. A quel événement précis relier le concours, quand les citadins présents appartenaient pour les uns aux villes impériales souabes, pour les autres aux villes des ducs de Bavière, des margraves de Brandebourg ou de l’évêque de Bamberg ? N’y avait-il pas aussi parmi les concurrents de nombreux partenaires commerciaux de Nuremberg, tant en Haut-Palatinat qu’en Souabe et Bavière ? La comparaison avec les invitées connues de 1457 montre des constantes. On y retrouve des gens d’Augsbourg, Ulm, Bamberg, Amberg, Munich, Ratisbonne et Eichstätt. Nuremberg semblait donc, pour ses concours de tirs, entretenir des contacts privilégiés vers le Sud et les territoires bavarois. Etait-ce une façon d’approfondir les liens politiques contractés avec les ducs de Bavière et palatins ?

Ces rencontres généraient à la fois la compétition et le partage entre des ressortissants urbains triés sur le volet. On peut remarquer qu’elles servaient aussi une amitié interurbaine qui faisait fi des frontières régionales, de la taille des villes et de leur statut impérial, libre ou seigneurial.

Si les divertissements nurembergeois furent à chaque fois à l’initiative du conseil, il importe de ne pas assimiler systématiquement les concours de tirs à une fête d’origine urbaine, organisée par et pour les villes. Comme les tournois nobiliaires choisissaient pour cadre des cités, les compétitions de tirs pouvaient avoir lieu en ville sur ordre d’un prince extérieur 1498 . Le conseil de Rothenbourg dut en 1502 répondre à la demande du margrave de Brandebourg en organisant un concours dans ses murs. La rencontre réunit des citadins venus de villes seigneuriales et de villes impériales 1499 , mais aussi les princes en personne. A la dimension unitaire de cette manifestation urbaine s’ajoutait dans ce cas la nécessité de paraître et de faire bonne figure devant les princes commanditaires ; les ressortissants des villes devaient par leur présence et leurs jeux honorer plus dignes qu’elles dans la hiérarchie des états. Le lien du concours de tir avec un contexte particulier ne fait pas ici l’ombre d’un doute. Depuis la première moitié du XVe siècle, Rothenbourg entretenait des contrats d’alliance avec les margraves de Rothenbourg, renouvelés régulièrement à partir des années 1450. Ceux-ci ne pouvaient cependant se porter ni contre le souverain, ni contre les villes libres et impériales. Une résurgence des accrochages entre Nuremberg et les margraves de Brandebourg en 1502 1500 conduisit Rothenbourg à suspendre son alliance, pour ne pas trahir ses devoirs avec les villes d’empire « alors que nous sommes l’une d’entre elles » 1501 . La cité sur la Tauber veilla cependant à garder de bons contacts avec son voisin princier. La victoire militaire enregistrée contre Nuremberg par les troupes margraviales en juin 1502 donne au concours de tir de septembre 1502 un retentissement particulier. Les réjouissances furent pour le margrave une manifestation d’autorité et de puissance face à la coalition de villes impériales formée par Nuremberg et ses alliées. La fête marque aussi le début d’une réconciliation et d’une pacification, pour laquelle Rothenbourg était l’intermédiaire toute désignée, grâce à ses liens avec les deux ennemis.

Eu égard à l’intercommunalité, les Schützenfeste portaient en elles une certaine ambiguïté. Manifestations organisées par les conseils municipaux à l’adresse d’autres conseils municipaux, elles associaient étroitement les gouvernants et un corps de métiers. Au final, elles reposaient pour l’essentiel sur la participation de simples bourgeois, membres du corps des arquebusiers et arbalétriers. Ces derniers y prouvaient leur maîtrise du métier et leur adresse, mais défendaient aussi l’honneur de leur cité. Les chroniques de Nuremberg ne manquaient pas de rapporter avec fierté les lots de valeurs emportés par quelque compagnons nurembergeois. Par leur attitude, les Schützen devaient aussi servir la fraternisation et l’émulation entre villes, se comporter les uns envers les autres en « bons amis ». Mais c’est en leur nom propre qu’ils emportaient les prix gagnés grâce à leur habileté. Cet enchevêtrement d’intérêts intercommunaux, personnels et municipaux contribuait peut-être à faire des Schützenfeste l’une des seules fêtes où les gouvernements urbains franconiens laissaient libre cours et développement au sentiment d’intercommunalité du Gemeiner Mann.

Notes
1478.

Cf. StAN, Amts und Standbuch n° 313 (1393-1422), 216 folios ; n° 314 (1401-1451), 41 pages  ; n°315 : Schenkbuch (1422-1445), 215 folios ; n° 316 (1444-1608), 184 pages : n° 317 (1492-1545), 229 p. ; n° 318 (1489-1622)

1479.

Cf. StAN, Amts- und Standbuch n° 312 : ordonnance en 10 folios

1480.

Incipit du Schenkbuch n° 313

1481.

Cette différence de qualité se perçoit à une même date au travers des prix différents donnés à une même quantité de vin. Le conseil distingue par exemple les vins lourds (Swere Weine als von Malmasy, Romenie, Renifal, Glesner, Passawner), les vins franconiens, les vins « welches ».

1482.

Cf. RTA I, p. 329 ; Voir StAN, Rep. 54, Grosse Stadtrechnung 1, fol. 38v ; UB Windsheim n° 371

Les quantités sont doublées en 1382 lors d’une assemblée des villes à Nuremberg. Windsheim reçoit à cette occasion 8 quartiers de vin pour 1lb heller. Cf. StAN, Rep. 54, Grosse Stadtrechnung 1, fol. 63 ; RTA I, p. 358 ; UB Windsheim n° 383. Mais on renoue en 1384 avec 4 quartiers de vin au prix de 11 schilling. Cf. UB Windsheim n°407 ; RTA I, p.459-460.

Voir aussi UB Windsheim n° 473 : 6 quartiers pour ½ lb 8 hl et 4 quartiers pour 15 schilling.

N° 513 (1389) : 4 quartiers de vin pour 14 schilling ; n° 514 (1389) : 4 quartiers de vin pour 12 schilling à l’occasion d’une assemblée urbaine et princière.

N° 524 (1390) : 4 quartiers de vin pour 9 schilling pour une réunion de Landfrieden à Nuremberg ; n° 535 (1390) : 4 quartiers de vin pour chacun des délégués à 13 et 6 schilling Heller.

N° 576 (1392) : 4 quartiers de vin pour 16 schilling

N° 619 (1394) : le conseil de Nuremberg offre aux délégués de Windsheim et de Schweinfurt, qui sont venus préparer à Nuremberg l’assemblée des princes et des villes prévue à Francfort en juillet 1394, 6 quartiers de vin chacun, pour une valeur de 18 schilling.

1483.

Il faut y ajouter la réconciliation avec les grands princes voisins. En mars 1454, un tournoi dans la ville de Nuremberg vient clore solennellement la guerre margraviale entamée en juin 1449 entre le margrave Albrecht Achilles et Nuremberg. Un traité de paix fut conclu sous l’égide du duc Louis de Bavière-Landshut en avril 1453. En février 1454, le margrave demanda au conseil de Nuremberg l’autorisation de fêter carnaval dans la ville impériale. Après instauration de la sécurité et d’un conduit, 12 hommes en armure appartenant chacun à l’un des partis s’affrontèrent dans un tournoi le 3 mars 1454. Cf. Harry Kühnel, « Spätmittelalterliche Festkultur im Dienste religiöser, politischer und sozialer Ziele », dans Detlef Altenburg (éd.), Feste und Feiern im Mittelalter, Sigmaringen, 1991, p. 71-85 ; Voir aussi Thomas Zotz, « Adel, Bürgertum und Turniere in deustchen Städte vom 13. bis 15. Jahrhundert », dans Josef Fleckenstein (éd.), Das ritterliche Turnier im Mittelalter. Beiträge zu einer vergleichenden Formen- und Verhaltensgeschichte des Rittertums, Göttingen, 1985, p. 450-499, (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte 80) et Harry Kühnel, « Die städtische Fastnacht im 15. Jahrhundert. Das disziplinierte und öffentlich finanzierte Volksfest », dans Peter Dinzelbacher et Hans-Dieter Mück (éd.), Volkskultur des europäischen Spätmittelalters, Stuttgart, 1987

1484.

Cf. Samuel L. Sumberg, The Nuremberg Schembart Carnival, New York, 1941, réimpression 1966 ; Jürgen Küster, Spectaculum Vitiorum. Studien zur Intentionalität und Geschichte des Nürnberger Schembart-Laufes, 1983, (Kulturgschichtliche Forschungen 2) ; Hans-Ulrich Roller, Der Nürnberger Schembartlauf. Studien zum Fest- und Maskenwesen des späten Mittelalters, 1965, (Volksleben 11) ; voir aussi Hans Sachs, Der scheinpart-spruch. Ankunfft und desselben Bedeutung, dans Adelbert von Keller (éd.), Hans Sachs Werke, tome 4, p. 200-208, (Bibliothek des literarischen Vereins 105, 1870)

1485.

Il faut de même envisager les fêtes et commémorations de batailles, les « Schlachtengedenktagen », qui pouvaient être la mise en œuvre d’une mémoire collective intercommunale.

1486.

Les séances d’arbitrage étaient aussi l’occasion pour la ville d’honorer ses hôtes. Quand Nuremberg se trouvait être l’arbitre d’un conflit et réglait le différend dans ses propres murs, ses comptes enregistraient des dépenses correspondant aux collations des parties opposées. Ainsi en 1439, dans un litige entre Dinkelsbühl et le margrave de Brandebourg, la ville dépensa près de 15 livres pour du vin, du pain et des fruits. Voir Paul Sander, Die reichsstädtische Haushaltung Nürnbergs, Leipzig, 1902, p. 637

1487.

Cf. Thomas Zotz, « Die Stadtgesellschaft und ihre Feste », dans Detlef Altenburg (éd.), Feste und Feiern im Mittelalter, Sigmaringen, 1991, p. 201-213 ; sur les villes et la fête, voir, outre ce dernier ouvrage, Paul Hugger (éd.), Stadt und Fest. Zu Geschichte und Gegenwart europäischer Festkultur, Zurich, 1987 ; Jacques Heers, Fêtes des fous et Carnavals, Paris, 1983 ; Jacques Heers, Fêtes, jeux et joutes dans les sociétés d’Occident à la fin du Moyen Âge, Montréal/Paris, 1982 ; Thomas Zotz, « Adel, Bürgertum und Turniere in deustchen Städte vom 13. Bis 15. Jahrhundert », dans Josef Fleckenstein (éd.), Das ritterliche Turnier im Mittelalter. Beiträge zu einer vergleichenden Formen- und Verhaltensgeschichte des Rittertums, Göttingen, 1985, p. 450-499, (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte 80) ; du même, « Le jouteur dans la ville. Un aspect des rapports entre noblesse, ville et bourgeoisie en Allemagne au bas Moyen Âge », dans Le combattant au Moyen Âge. Actes du XVIIIe colloque de la S.H.M.E.S, 1991, p. 161-167 ; Joseph Morsel, « Le tournoi, mode d’éducation politique en Allemagne à la fin du Moyen Âge », Les Cahiers du C.R.I.S.I.M.A. : Education, apprentissages, initiation au Moyen Âge, 1 (novembre 1993), p. 309-331

1488.

Cf. Carl Hegel (éd.), Die Chroniken der fränkischen Städte, Nürnberg, vol. 4, (Die Chroniken der deutschen Städte 4, 1862, réimpression Göttingen, 1961, vol. 10) : Jahrbücher des 15. Jahrhunderts, p. 257

1489.

Cf. Harry Kühnel, « Spätmittelalterliche Festkultur im Dienste religiöser, politischer und sozialer Ziele », dans Detlef Altenburg (éd.), Feste und Feiern im Mittelalter, Sigmaringen, 1991, p. 71-85 , ici p. 81. L’article mentionne une invitation lancée par Zurich à Strasbourg en 1456. Son but est alors clairement énoncé : « dass solche früntliche beruofung nit allein umb des schiessens, sondern auch anderer früntlicher gespreche halb so diser schwebenden loüf (wegen) vorhanden, auch bescheen sin sollt ». Ces fêtes encourageaient le sentiment d’appartenance commune et le sens de la communauté. Dans l’espace helvétique, elles servaient souvent la réconciliation et étaient en lien avec les événements politiques. « La fête commune des villes suisses fondèrent une identité collective et de cette façon a fait plus pour un sentiment national suisse que le parchemin des lettres d’alliance ». Cf. Kühnel, ouvrage cité plus haut, p. 82

La ville de Strasbourg organisa à son tour un concours de tir et une loterie en 1473 et y invita la lointaine ville de Lübeck, en soulignant la valeur du prix pour le concours de tir (800 florins) et la loterie (392 florins). Voir Georg Steinhausen, Deutsche Privatbriefe des Mittelalters 2, Berlin, 1907, n° 58, p. 171-176.

Plus proche de l’espace franconien, la ville de Schwäbisch Gmünd organisa un « Büchsenschiessen » en 1480 et y mit en jeu des gobelets en argent dorés à l’or fin, 9 gobelets en argent avec un bord doré et de nombreuses coupes en argent. Cf. Hartmut Boockmann, Stauferzeit und spätes Mittelalter. Deutschland 1125-1517, Berlin, 1987, p. 365 ; Sur les Schützenfeste, voir August Edelmann, Schützenwesen und Schützenfeste der deutschen Städte vom 13. bis 18. Jahrhundert, 1890

1490.

Le Toppel est associé aux jeux de dés et de hasard. Il s’agit ici de la « banque », du pot commun que le gagnant peut emporter

1491.

Cf. Carl Hegel (éd.), Die Chroniken der fränkischen Städte, Nürnberg, vol. 4, (Die Chroniken der deutschen Städte 4, 1862, réimpression Göttingen, 1961, vol. 10) ; p. 230 et s. – La lettre correspondante devrait figurer dans le StAN, BB 27 (1456-1458).

1492.

Cf. Carl Hegel (éd.), Die Chroniken der fränkischen Städte, Nürnberg, (Die Chroniken der deutschen Städte), 1862, réimpression Göttingen, 1961, vol. 10), p. 388

1493.

Mentionné d’après Sander, Die reichsstädtische Haushaltung Nürnbergs, Leipzig, 1902.

1494.

Le florin est alors donné à une livre 2 schilling heller.

1495.

Cf. Paul Sander, Die reichsstädtische Haushaltung Nürnbergs, Leipzig, 1902, p. 463.

1496.

Cf. Stadtarchiv Rothenbourg, Missivenbuch 216, fol. 204v (17/09/1502)

1497.

Cf. Stadtarchiv Rothenbourg, Missivenbuch 216, fol. 94v : lettre de Rothenbourg à Stuttgart (23/10/1501)

1498.

Il s’agit donc de nuancer le tableau des Schützenfeste donné par l’ouvrage collectif Feste und Feiern im Mittelalter, sous la direction de Detlef Altenburg, Sigmaringen, 1991

1499.

On y trouve les « voisines » de Rothenbourg, ses alliées coutumières, les cités qui formaient ses débouchés sur le Danube et le Main et quelques villes margraviales dont elle était moins proche à en juger par ses missives

1500.

Les litiges furent d’abord d’origine juridictionnelle (Fraischprozess). De nouveaux heurts intervinrent en 1501 siute au refus margravial d’assurer le passage à des marchands nurembergeois désireux de se rendre à la foire de Francfort et à celle de Leipzig. L’épreuve de force commença au sujet du droit de bénédiction religieuse (Kirchweihschutz) sur le hameau d’Affalterbach, au Sud-Est de la ville. Le jour de la cérémonie, le margrave Casimir revendiqua son droit avec 6000 fantassins et 600 à 700 cavaliers. Les troupes nurembergeoises, en effectifs moindres, durent prendre une fuite peu glorieuse. Cf. Gerhard Pfeiffer (éd.), Nürnberg - Geschichte einer europäischen Stadt, Munich, 1971.

1501.

Cf. lettre d’explications du conseil rothenbourgeois adressée au margrave Casimir le 20/04/1502. Voir Stadtarchiv Rothenbourg, Missivenbuch n°216, fol. 177