La question de la maîtrise du développement urbain était alors cruciale et la première hypothèse posée, que démentait pourtant une évidente cohérence dans le fonctionnement de la ville, était qu’il existait deux types d’interventions : d’une part les projets institutionnels, normés et maîtrisés, et d’autre part un développement désordonné et hors de tout circuit de contrôle. Cette hypothèse s’appuyait sur la dualité de la ville que met en évidence tous les auteurs : la ville régulière et les quartiers informels dont la variété possible d’appellations23 image leurs différentes réalités. La première est toujours abordée par des logiques économiques, la prise en compte de la seconde par des approches sociologiques.
Finalement, ce n’est pas tant que les villes actuelles ne soient ainsi caricaturales, que les sujets de recherches retenus s’attachent à deux aspects de la ville : la métropole en devenir et les agglomérations d’habitat qui ne peuvent devenir. Il est vrai que ces deux morceaux de villes sont engendrées par la métropolisation dont l’émergence en Asie du Sud-Est contemporaine a été immédiate après la période de conflits et guerres de décolonisations issus de la deuxième guerre mondiale, qui ont organisés cette région du monde suivant la fracture Est-Ouest. ’Nulle part ailleurs, dans le monde contemporain, le fait urbain n’a été aussi étroitement associé aux formes de la croissance économique’24. Ainsi, pendant qu’au Cambodge, la désurbanisation voulue par les Khmers Rouges brisait Phnom Penh et que les positions anti-marchandes du gouvernement vietnamien plongeait Hô Chi Minh Ville dans un immobilisme latent, Bangkok, Jakarta ou Singapour connaissaient un dynamisme urbain lié à l’internationalisation des échanges et provoquant la création de richesses à laquelle répond l’accroissement des poches de pauvreté.
De ces changements profonds, d’une part un secteur spécialisé s’intéressait à la réussite économique des métropoles de cette région du monde, lorsque les autres stagnaient dans la morosité. Et d’autre part les organismes internationaux d’aide au développement s’inquiétaient de l’ampleur que prenait la pauvreté urbaine, mais surtout de l’incapacité des pouvoirs institutionnels à l’appréhender. Sur fond de spéculation foncière il s’agissait d’assurer aux plus défavorisés l’accès au sol25. Mais les enjeux du foncier et son rôle économique comme de stabilisation des nouveaux gouvernements ont, excepté à Singapour, conduit à une première attitude de laisser-faire.
Hô Chi Minh Ville se présente comme un espace général très homogène et organisé en rapport à l’échelle de la voie générée et génératrice, qui ne rend pas compte de l’existence d’anciens villages contrairement à de nombreuses villes du Sud-Est asiatique. De ce fait, elle ne présente pas d’espaces intermédiaires d’intégration pour les nouveaux immigrants ruraux, tels les kampung de Jakarta. Elle est, de la ville chinoise à la ville coloniale, une ville qui s’est constituée dans le processus du développement au capitalisme et se présente d’abord comme un espace économique26 . Mais les dix années d’immobilisme imposées par le gouvernement communiste de Ha Nôi après la réunification l’a tenue hors du courant de la métropolisation des années 1970 qui a transformé les autres métropoles de l’Asie du Sud-Est à une allure vertigineuse.
C. Goldblum - 1996 - p. 169.
A ce sujet, se reporter à Alain Durand-Lasserve - 1986.
Lors du débat [pp. 187-194] qui a précédé la sortie du numéro 2 (1977 - Vol VIII) des cahiers du CeDRASEMI sur l’espace social, les participants ont insistés sur la nécessité d’opérer une distinction entre la ville qui se présente d’abord comme un espace économique et la cité qui ne l’est pas.