I - 1.3 LES HOMMES ET LA VILLE OFFICIELLE

Une fois ces expériences anonymes amorcées, je souhaitais avoir des rencontres plus personnelles, et rencontrer les ’responsables’ de la ville, les acteurs décisionnels. J’espérais une présentation plus contextualisée, en fonction des responsabilités de chacun, voire dans l’idéal, une discussion plus ouverte. Le résultat est clair : cette année-là, je n’en ai approché aucun. Pour être exact, si, j’en ai rencontré un, avec un ami vietnamien qui me l’avait présenté comme vice-architecte en chef. Il s’agissait en fait d’un directeur de l’un des bureaux d’études dépendants du Département de la construction52. Puisque j’étais doctorante, j’étais étudiante, puisque j’étais architecte, il fallait que je rencontre des étudiants de l’université d’architecture53. Une fois ceci dit, très civilement bien sûr, mon ami et ce directeur ont discuté un petit peu avant de terminer l’entretien. Lorsque j’ai souhaité rencontrer l’Architecte en chef (auquel j’avais rapidement été présentée lors d’un colloque deux mois plus tôt), je possédais trois lettres de présentation de différents directeurs ou responsables. En réponse, le service m’a donné un rendez vous avec l’un de ses assistants, et le jour-dit, j’ai rencontré un jeune architecte, technicien dans le service de l’assistant. Ceci dit, ce technicien (que j’ai retrouvé plus tard à un autre poste) m’a été d’une aide réelle et importante dans la compréhension de l’institution, puis au sujet de quelques quartiers dont des enjeux m’échappaient. Mais ce n’était alors pas l’objet de ce rendez vous demandé, et que j’avais préparé dans une toute autre optique.

Si je détaille ces deux exemples, c’est parce qu’ils sont symptomatiques des contacts que j’ai eus avec l’administration vietnamienne. Ils m’ont permis de comprendre que la pyramide hiérarchique devait être respectée. Oui, j’avais une invitation officielle, oui après deux mois de retard que nous ne comprenions pas en France, j’avais obtenu un visa, mais pour diverses raisons, c’était finalement monsieur Chu Pham Ngoc Son, Directeur du centre d’analyse et chimiste qui avait été chargé de mon invitation. Lorsque je me suis présentée à son bureau dès mon arrivée, après un accueil aimable, il m’a dit : ’‘Oui, je peux vous faire une lettre d’introduction, mais pas officielle, je n’ai pas mon papier à en-tête’.’ (nous étions dans son bureau). Ainsi fut fait, et très gentiment une de ses assistantes m’a accompagnée à l’université d’architecture, où il m’a été demandé de faire un courrier expliquant mon sujet et les questions auxquelles je souhaitais des réponses. Je n’ai jamais eu de suite à ce courrier.

J’ai compris de ces rencontres, qu’ici la hiérarchie ne s’arrête pas à l’organisation des institutions entre elles, mais existe bien également entre les individus, Ensuite, si je voulais rencontrer des acteurs institutionnels, je devais trouver une porte d’entrée pour exister dans le système. Et cela n’était possible qu’à l’intérieur d’un service où une étudiante-chercheur travaillant sur la ville pouvait réglementairement exister. Une rencontre avec Do Thi Loan lors d’un séminaire m’en donnera l’opportunité. Docteur elle-même, elle est chercheur à l’Institut de recherches économiques, dans le département études urbaines. Sous sa responsabilité, son service m’a accueillie pour la deuxième année.

Notes
52.

Nous verrons dans le chapitre IV, que le Cabinet de l’Architecte en chef est une émanation du Département de la construction.

53.

C’est très fréquemment que je ferai ce constat du rejet de l’étudiant : sa place assignée est à l’université, non dans les secteurs professionnels, et certainement pas décisionnels. A lire Laurence Nguyên [1999 - p.46], je n’ai pas été la première à faire ce constat : ’Cependant il s’est avéré difficile de rencontrer les responsables de l’Institut d’urbanisme de Hanoi, dans la mesure où celui-ci terminait de façon officielle une coopération avec l’IAURIF. Il semble que les acteurs vietnamiens aient du mal à nous identifier en tant que chercheur universitaire.’ (L. Nguyên travaillait pour sa thèse).