En effet, après plusieurs séjours au Viêt Nam, je me rendais compte que je menais la réflexion sur deux plans : le discours à construire et le sensible, le raisonnement cartésien qui est le mien et tous ces non-dits qui sont autant d’informations. Plus ces derniers gagnaient en ampleur, plus il m’était difficile de les intégrer, plus le discours s’enlisait. Et toujours une phrase revenait : comment caractériser sans caricaturer, sans globaliser ? Il me fallait mettre des mots, formuler. Je devais saisir les implications de cette sensibilité, de tout ce qui est sous-entendu dans (sous-tendu par) le raisonnement, ce qui y est inclus à la limite de l’inconscient. Il me fallait appréhender plus en profondeur ce mode de pensée, qui induit le mode d’action, pour pouvoir prétendre aborder les processus et dynamiques en cours dans la construction de la ville, dans l’urbanité d’Ho Chi Minh Ville.
Cette introspection ne sera abordée qu’à la fin cette étude pour deux raisons. D’abord, elle se nourrit de tous les entretiens réalisés, de toutes les informations accumulées. Ensuite, elle est tout à la fois l’un des objectifs et une limite à la recherche menée et donc annonce la conclusion de celle-ci.
Pour aborder ce qui s’imposait de plus en plus à mon analyse, il me fallait trouver des jalons. Le premier a été la rencontre avec Pham Thi Phuong Dung, jeune intervenante au C.F.V.G. (Centre Franco-Vietnamien de Gestion) et la lecture de sa réponse à une réflexion interne sur ’la capacité des étudiants (vietnamiens) à structurer leur pensée et leur argumentation’ : grille de compréhension à travers la forme et le fond 67. J’y ai trouvé tout à la fois, ce que je ne savais, ou n’osais, pas exprimer et un choix de mots français qu’elle employait pour le formuler avec lesquels je ne pouvais être en complet accord. Parce qu’en fait, il s’agit bien de valeurs culturelles, donc entre autre de la charge positive ou négative donnée à certains mots. Mais, Pham Thi Phuong Dung m’a donné la certitude que l’un des intérêts de la recherche était bien là : oser sortir du champ balisé du développement urbain et des pratiques observées pour oser questionner des comportements, mais surtout des non-dits, des actes ou des remarques que j’avais de prime abords classés primaires ou sans intérêts, comme cette conclusion à deux semaines de voyages d’études d’un architecte de l’Institut d’urbanisme de la ville : ’Singapour est indéniablement une réussite, il faut donc regarder Singapour. Par contre, il ne faut surtout pas regarder Bangkok, sinon nous allons lui ressembler.’
C’est alors avec beaucoup d’honnêteté et de prudence que je me suis penchée sur ces questions à travers des écrits français. Car si les premiers questionnements sont du domaine de l’intuitif, l’objectif est de dégager certaines particularités des modes de pensées et d’actions développés en ce qu’elles sont aujourd’hui une réalité tangible inhérentes au fonctionnement du Viêt Nam actuel. J’ai donc souhaité aborder ces caractéristiques en les replaçant dans un cadre (de fait, culturel) beaucoup plus global.
Là encore, ce qui m’intéresse, c’est la mise en relation de tous ces modes d’actions qui ensemble font sens, et non l’analyse des plus caractéristiques. Je me suis donc efforcée de les reconnaître et de les borner afin de les rapporter, pour tendre à construire ces sphères d’actions, ces espaces bornés auxquels je me réfère.
Pham Thi Phuong Dung - 1998.