I L’émergence des Tissus Structurants de la Ville
Deux Implantations Exogènes pour une Métropole Vietnamienne

Si au cours des dix premiers siècles de notre ère le Viêt Nam s’est battu pour son indépendance, durant les dix suivants son histoire72 est inscrite au sein de son expansion vers le Sud. Elle porte un nom, c’est le nam ti message URL edeuxaccent.gifn : la marche vers le Sud.
A partir du delta du Fleuve Rouge, berceau de la culture vietnamienne dont Ha Nôi est le centre, les Vietnamiens sont descendus le long des côtes de la mer de Chine. De cols en plaines côtières, les représentants de la cour de Hué franchissent le dernier éperon rocheux au début du 17ème siècle et entament la descente sur le delta du Mékong. Ils s’installent dans la région en trois étapes. Les Nguyên73 obtiennent tout d’abord du roi Khmer le droit d’établir un poste d’octroi et de perception de taxes sur le négoce (1623) à l’emplacement de ce qui deviendra Saigon, puis la libre circulation et occupation du sol dans la région pour ses ressortissants (1653). Enfin, en 169874 ils organisent une structure administrative sur le ph message URL uaccent.gif Gia Dinh.
La fin du 18ème siècle a été marquée au Viêt Nam par la révolte des Tay Son75. C’est ainsi qu’en 1778, les Chinois de Bien Hoa76, menacés, viennent trouver refuge à proximité de la rivière de Saigon et s’installent le long d’un arroyo affluent77 en liaison avec le delta du Mékong. Ils recommencent à commercer, créant78 l’agglomération dynamique79 que les Vietnamiens nommeront Ch message URL oqueuepoint.gif L message URL oqueueaccent.gifn : le grand marché.
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La dynastie des Nguyên chassée de Hue se replie sur le chef lieu de la province de Gia Dinh80. Après plusieurs victoires et défaites, en 1788 Nguyên Anh, le dernier descendant de l’ancienne dynastie, y installe sa capitale et y édifie, avec l’aide d’ingénieurs Français81, une citadelle de type ’Vauban’82. C’est de là qu’il reconquiert tout le Viêt Nam, puis réintègre Hue où il se sacre empereur sous le nom de Gia Long en 180683.

Mais l’autonomie revendiquée par le gouverneur général de Gia Dinh, Lê Van Duyêt, dérange la cour de Hue et à sa mort Minh Mang (successeur de Gia Long) tente de restaurer sa pleine autorité. Cette initiative provoque une rébellion de la population84 et de la citadelle Bat Quai qui résistera deux ans. A la fin du siège, Minh Mang ordonne sa destruction et en fait reconstruire une plus petite dans l’angle Nord. C’est de celle-ci que les Français s’emparent en 1859. Ces nouveaux arrivants s’installent sur ce qu’ils nomment ’le plateau’, relief en bordure de la Rivière de Saigon où était implantée la première citadelle, et d’où ils contrôlent et développent le port.

Si le site était initialement occupé par les Khmers, et devait avoir une certaine importance, au moins à la fin de leur présence puisqu’un vice-roi y a été installé, peu de témoignages remontent au delà de l’établissement des Vietnamiens, et tous les historiens acceptent l’idée que la région était peu peuplée.

Ce sont donc les 17ème et 18ème siècles qui ont vu la naissance de deux agglomérations, éloignées de cinq kilomètres, et auxquelles l’histoire même de leur émergence a conféré des caractéristiques particulières. A Saigon, si l’établissement de la ville coloniale a été de pair avec la création d’un port marchand maritime, Cholon, sa jumelle prospérait le long d’un port fluvial en relation avec le delta du Mékong et l’industrie commerciale naissante autour du riz.

Notes
72.

Se reporter, entre autres, à Lê Thanh Khôi - 1992.

73.

Dynastie de Hue, le Nord était alors administrés par les Trinh pour les Ly.

74.

Profitant de la vacance du siège de la deuxième résidence royale cambodgienne, sise à Prei Nokor.

75.

Mouvement insurrectionnel parti du village de Tay Son près de Qui Nhon, où trois frères organisèrent à partir de 1771 un mouvement populaire contre l’autorité des deux maisons dynastiques, les Trinh à Ha Nôi et les Nguyên à Hue qui, depuis plus d’un siècle, se disputaient le contrôle du pays, qu’ils s’étaient de fait répartis. Les Tay Son parvinrent à le réunifier, mais ne restèrent au pouvoir que sur une courte période. Le prince Nguyên Anh, dernier représentant de la dynastie des Nguyên finit par l’emporter.

76.

En 1679, une flotte chinoise de 60 jonques (abritant 3 000 soldats fidèles à la dynastie Ming, que les Mandchous viennent de renverser, et ne voulant pas servir les nouveaux maîtres de la Chine), se présente au souverain vietnamien pour lui donner allégeance, embarrassé par ces hommes en arme, il profite de ce traité et les envoit dans le Sud, dans la région de Gia Dinh. La flotte reprend la mer, et se sépare aux bouches du Mékong. Une partie entre dans une passe du fleuve, et s’avance jusqu’à My Tho, où elle s’établit. L’autre remonte le Dông Nai et arrive à Biên Hoa. Là, les uns pratiquent le commerce et les autres l’agriculture. Le lieu devient très commerçant et attire des gens du pays, mais aussi des Chinois, des Malais, des Japonais et des Européens [P. Boudet - 1942].

77.
Phillipe Peycam, citant Nguyên Dinh Dau, précise que les Chinois de Biên Hoa sont venus grossir un village existant x message URL atilda.gif Minh H message URL ubarre.gif message URL obarre.gifng. L’ouverture du canal Ruot Ngua (kinh Ru message URL opointaccent.gift Ng message URL ubarrepoint.gifa) en 1772, permettait des relations fluviales entre la rivière de Saigon et le Mékong. [P. Peycam : Saigon, des origines à 1859 - pp. 21-51 - dans  : Saigon 1698-1998 - 1998].

Nguyen Dinh Dau [1962] date également de 1772 la muraille qui part de l’arroyo Lo Gom pour rejoindre l’arroyo Thi Nghe, englobant les agglomération de Bên Nghe et Cholon en un territoire protégé par un périmètre fermé (se reporter à la carte de la citadelle datée de 1815 p. 58).

78.

J. Bouchot - 1928.

79.

En 1820, alors que l’ouverture de l’arroyo de la poste établit définitivement le passage fluvial de Saigon à My Tho, les rapports des voyageurs et les lettres des missionnaires témoignent de l’animation du port, édifié de quais en pierres.

80.
Au sujet des toponymes des différents lieux, le sens original de Saigon a connu plusieurs interprétation. D’une part, au Sud-Ouest, la carte de 1815 et les écrits de l’époque attribue le nom de Sài Côn (Tai Ngon ?) en fait au lieu que les Vietnamiens ont rebaptisé Ch message URL oqueuepoint.gif L message URL oqueuepoint.gifn (le grand marché). C’est cette endroit qui se serait avant appelé du nom Khmer de Prei Nokor (la forêt du royaume) alors que celui de Kas Krobey (argents / buffles) aurait été attribué au futur B message URL edeuxaccent.gifn Nghé (embarcadère aux buffles) où les Vietnamiens ont obtenus en 1623 le droit d’établir un poste d’octroi. Le toponyme de Gia Đ message URL ipoint.gif nh apparaît dans les textes anciens pour désigner la région (ph message URL uaccent.gif Gia Đ message URL ipoint.gif nh) et donc parfois sa ville. [ Nguyên Dinh Dau - 1962].

Le nom de Saigon est donc passé d’une agglomération à l’autre lorsque les Français l’ont utilisé pour désigner leur nouvelle implantation. Celui de Gia Dinh a connu également plusieurs lieux. Aujourd’hui, le nom de Bên Nghe est attribué à la partie la plus à l’Ouest de l’ancien arroyo chinois, celui le long duquel Cholon s’est développé.

81.

Nguyên Anh était parti du Viêt Nam avec le missionnaire Pineau de Béhaine évêque d’Adran à Bangkok, puis à Pondichéry et enfin à Paris pour demander de l’aide aux Français.

82.

cf. carte de 1815 p. 58 la première citadelle de Saigon.

83.

C’est lui qui en 1904, reconnu par la Chine, donne à son empire le nom de Viêt Nam.

84.

Mené par Lê Van Khôi, le fils adoptif de Lê Van Duyêt.

Philippe Peycam [Saigon, des origines à 1859 - pp. 21-51 - dans  : Saigon 1698-1998 - 1998] insiste sur la diversité du peuplement vietnamien de ces territoires du sud en cours de colonisation. Pour lui, l’originalité de la culture de la ville se fonde dans cette société que construisent des éléments hétérogènes en désaccord avec le conservatisme prôné par la cour de Hue et ses mandarins, et venus chercher un peu plus de liberté d’action dans les nouveaux territoires du Sud. Citant l’historien Trân Van Giau, qui décrit les premiers Saigonnais comme des ’gens de condition modeste, à l’esprit pratique mais sans culture classique (...), n’appartenant pas à l’ordre confucéen traditionnel’, il insiste sur l’absence d’une culture littéraire ancienne (primordiale, par le mode d’enseignement même - cf. chapitre VII), alors que les concours n’ont été organisé que de 1796 et 1858.