Les chinatowns se caractérisent par une forme urbaine majeure, génératrice de l’espace urbain : le compartiment chinois au shophouse. La formation de cet habitat est issue de la rencontre de populations marchandes originaires du Sud de la Chine et de la présence européenne. En effet, s’il est aujourd’hui indissociable de l’espace urbain des chinatowns, il n’apparaît qu’avec l’arrivée des Hollandais et la planification marchande de leur premier comptoir par la création du foncier. A travers un parallèle entre le plan d’Amsterdam89 approuvé en 1607 et celui mis en place à Batavia en 1619, puis les caractéristiques de l’habitat à Canton, Alain Viaro90 montre comment les différentes logiques marchandes (la rentabilité du partage foncier, l’accès de chacun à la voie et les réseaux marchands des Chinois du Nanyang) se sont rassemblées pour créer le type urbain du compartiment chinois que Singapour institutionnalisera.
Les caractéristiques du foncier sont donc primordiales dans l’émergence du compartiment chinois en tant que modèle-type. Car, fait nouveau pour les cultures de la région, dans la ville coloniale européenne, le terrain est vendu91 par un contrat imposant des règles d’urbanisme. La largeur des parcelles est établie en fonction des possibilités structurelles des poutres, soit environ quatre mètres92.
Lorsque Sir Raffles fonde Singapour dans le but de développer un important comptoir commercial, c’est également les Chinois qui s’imposent comme partenaires. Il définit avec le lieutenant Jackson un découpage parcellaire standard dont les terrains seront mis au enchères et accompagnés d’un règlement précis, nouveau comme la sectorisation des différentes communautés et le five foot way, ou l’obligation comme à Batavia de construire en brique et tuile afin d’éviter les incendies. Car, à la différence de la Chine, l’habitat de l’Asie du Sud-Est se caractérisait par l’emploi de matériaux végétaux, laissant aux bâtiments religieux ou destinés aux personnages importants l’utilisation de la brique et de la tuile. Ainsi, ’A certains égards le compartiment chinois peut être considéré comme la figure première de la ville ’moderne’ en Asie du Sud-Est, en ce sens qu’il intègre la construction en maçonnerie à un usage profane et le réseau viaire’93.
Si les compradores apparaissent dès le 13ème siècle, et participent à l’essor des réseaux marchands avec les Indiens et les Malais, principalement musulmans, ils s’imposent comme partenaires incontournables avec l’essor des colonies et développent un habitat-type au sein des chinatowns, quartiers chinois et commerçants des nouvelles métropoles.
cf. Plan parcellaire d’un îlot à Amsterdam, p. 92 [Compartiments et parcellaire]
A. Viaro - 1992.
Jusque là, la terre était la propriété du peuple ou de son représentant : empereur, sultan, etc.
Françoise Ged signale qu’il n’existe pas dans la langue chinoise d’équivalent du terme foncier, et que même aujourd’hui, elle n’a pas connaissance d’un terme chinois désignant le ’compartiment chinois’ [A. Viaro - 1992 - notes 3,7].
A Singapour, les compartiments peuvent être plus larges. Les terrains autour de Bridge Road sont établis avec une façade de 18 pieds (5,49 m. de large) [A. Viaro - 1992 - note 29].
C. Goldblum - 1987 - p. 14.