En 1928125, le problème du logement, indexé à celui de la salubrité, est enfin abordé de manière concrète en Indochine, avec les nouveaux règlements concernant les plans d’aménagement et d’extension des villes, sous l’influence de la loi Cornudet de 1919 et des premiers textes de la métropole concernant les H.B.M.126. A Saigon, un premier programme de quatre ans, concernant 2 000 logements ouvriers, 300 pour secrétaires et petits fonctionnaires indigènes et 100 maisons pour européens, est annoncé127. Mais la récession des années 1930 ne permettra pas l’achèvement de l’intervention.
En 1937-1938, la commission Guernut est chargée d’établir ’les besoins et les aspirations légitimes des populations habitant les colonies, les pays de protectorat et sous mandat’, l’enquête N°2 concerne ’l’habitation des indigènes’128. Mais le deuxième conflit mondial éclate, imposant d’autres priorités. Les résultats de ces enquêtes n’ont jamais été exploités.
A partir de 1949, l’administration coloniale reprend son activité productive129. Mais l’office des habitations populaires n’est créé à Saigon que par l’arrêté du 29-11-1950. Puis, les troubles de la guerre d’Indochine font affluer des zones rurales des migrants qui s’installent en ville. C’est sans doute130 la période où se construit la multitude de ces petits compartiments alignés par des projets de lotissement comme le quartier de Ban Co ou ceux de grandes parcelles d’îlots.
En 1954 la défaite de Diên Biên Phu puis le partage du Viêt Nam en deux états distincts par la conférence de Genève impliquent une nouvelle vague d’immigration des Vietnamiens du Nord désireux de changer de territoire131, mais aussi la fin du ’logement social’ réalisé par l’administration française, intervention très restreinte au total132. Si les citées Nguyên Tri Phuong et Phu Tho, de grande ampleur, sont très visibles sur le plan de la ville, densifiées et reconstruites il est depuis impossible de voir la forme qu’elles pouvaient avoir à l’origine.
Deux types de populations sont intéressés par ces programmes. les fonctionnaires de l’administration coloniale, bien sûr, et les travailleurs-salariés à faibles revenus. La cité Pavie Ducas était destinée aux sinistrés d’un incendie de paillotes mais cette intervention reste exceptionnelle. De manière générale les plus pauvres ne sont pas concernés par l’habitat social133. En fonction des populations intéressées, plusieurs types de logements seront proposés. Les opérations urbaines de petite envergure développent quelques compartiments, alors que les premiers ensembles sont marqués par l’image de la cité jardin. il s’agit généralement de maisons mitoyennes, puis de logements en petits collectifs urbains de 3 à 4 étages.
Le Figaro du 26 décembre 1927, optimiste, annonçait : ’En 1926 on a autorisé à Saigon la construction de 20 maisons à étages (dont 2 à 4 étages) de 39 maison à R. de C., de 2 villas et de 214 compartiments. Cette activité ne s’est pas ralentie en 1927 et la crise du logement ne tardera pas sans doute à disparaître (...) Sur les terrains excentriques on a construit également 72 maisons et 98 compartiments en bois avec leurs dépendances. Au total, les constructions autorisées en 1926 permettent de loger 550 familles.’
Ces chiffres traduisent l’absence de l’intervention de l’administration en matière de logements et la faible production privée, dont un tiers en dehors de l’agglomération.
Habitations Bon Marchés.
Annales coloniales du 5 juin 1928 - Journal de Shanghai du 29-08-1928.
La réalisation de l’enquête confiée aux fonctionnaires de la France a majoritairement été réalisée par les instituteurs des diverses villes et provinces. Au total, les résultats sont très inégaux.
Les réponses se divisent en deux types de documents : d’une part un questionnaire rempli, généralement très minutieusement ; et d’autre part, des relevés (plans, coupes, élévations) ont été effectués, très souvent accompagnés de photos. Lorsque l’enquête a été réalisée consciencieusement, ces documents sont une représentation relativement complète de la maison, de son contenu et de ses occupants pour la période concernée. Mais si le moindre objet est répertorié, aucune indication n’est fournie au sujet de l’utilisation faite de l’espace, tant intérieur (le mode d’habiter) qu’extérieur (la place, le rôle de l’habitation dans un environnement).
Comme le montrent les chiffres. Le Bulletin Economique de l’Indochine, dans son numéro de janvier février 1950 fait le point sur les constructions réalisées à Saigon les deux années précédentes : en 1948, 4 800 m² ont été construits par l’administration à mettre en rapport avec les 93 500 m² construits par le secteur privé. En1949, les chiffres sont respectivement de 81 000 m² et de 98 000 m².
L’absence de documents graphiques entre 1942 et 1968, ne permet pas de dater précisément Or, le quartier de Ban Co, mais aussi de multiples petits lotissements dont témoignent les plans cadastraux datent de cette époque et témoignent de projets partiels. Ces aménagements ont certainement été commencé sous l’Indochine, puis complétés et agrandis pendant la période d’urbanisation forcée de la guerre du Viêt Nam. Ce que tend à confirmer, l’implantation des communautés catholiques qui ont migrées après 1954.
Principalement des catholiques qui fuient le régime communiste, mais aussi ceux qui avaient aidés les Français. En retour, la vague des Vietnamiens du Sud, sympathisants communistes, répondant à l’appel de Hô chi Minh de le rejoindre dans sa lutte fut beaucoup plus restreinte.
En juillet 1953, le bilan des logements construits par l’administration à Saigon se résume ainsi :
La cité Lacaze (24 maisons, 124 appartements) est agrandie de 16 maisons et 30 logements, 450 maisons sont en prévisions ;
La cité Nguyen Tri Phuong (1012 logements) s’adjoint 120 logements et en prévoit 108 autres ;
La cité Eyriaud de Vergues devrait avoir 120 logements avant la fin de l’année ;
La cité Pavie Ducas inaugure en été 293 logements ;
La nouvelle cité populaire de Phu Tho entame la construction de 232 habitations.
[C.A.O.M. - fond ministériel - agence française d’outre-mer - carton 236 - dossier 294].
Il faut ajouter à ce rapide bilan les interventions ponctuelles réalisées dans l’urgence de la reconstruction, et destinées exclusivement aux fonctionnaires et composées de petits pavillons et immeubles à quatre étages (cité Larényère, cité des transmissions, cité Audouit, cité Galliéni), ainsi que des groupes de compartiments en alignements de voies sur des terrains encore disponibles. P. Machefaux - ingénieur en chef des T.P. de Cochinchine - travaux N° 184 - février 1950 [C.A.O.M. - fond ministériel - agence française d’outre-mer - carton 223 - dossier 258].
Dans un document de 1939 qui commente les formes de lutte contre les taudis envisagés à Saigon [C.A.O.M. - fond ministériel - agence française d’outre-mer - carton 236 - dossier 294] : La cité Aristide Briand, 125 maisons de 2 logements chacune inaugurées en 1939, a été conçu pour reloger les habitants des paillotes estimés alors à ... 115 354 dans l’agglomération (sur une population ’indigène’ totale de 158 537, soit environ 70 %). (Un article de presse du 15-12-1937 indique que les 64 maisons de la première tranche, tout juste terminée alors, sont destinées aux ouvriers et agents de la ville !).
De plus, l’attitude de l’administration française est très claire dans la conclusion du commentaire sur la lutte contre les taudis : ’Dans un territoire où vit une population de 260 000 habitants (chiffre de 1936 qui devait exploser dès 1937) la présence de taudis est chose inévitable. Le contrôle dont font l’objet les habitations en maçonnerie, s’avère efficace - les aménagements clandestins étant immédiatement repérés - mais il ne peut en être de même pour les maisons en bois et les paillotes ; la population vivant dans ces dernières est représentée par la classe la plus pauvre, à standing de vie extrêmement bas. Elle fournit en outre, la main d’oe uvre indispensable au développement économique de la région et, à ce titre, il est indiqué de lui laisser la possibilité de s’établir à proximité des industries et des commerces qui l’emploient. D’où la nécessité de maintenir et de tolérer des zones spéciales pour ce mode d’habitations que le jeu normal de l’extension des cités doit refouler progressivement vers la périphérie des agglomérations.’