I - 4 Hô Chi Minh Ville - Le Débat sur ’une Société Nouvelle’ N’existe plus

A la libération de Saigon, le Viêt Nam est politiquement, administrativement, réunifié avec Ha Nôi pour capitale. Mais l’enjeu majeur du nouveau gouvernement est d’harmoniser deux territoires que l’histoire elle même a façonnés différemment. Différences que 20 ans de division ont exacerbées, partageant durablement le pays en deux réalités issues de voies de développement opposées : un Nord à dominance rurale, organisé par des structures de production et de gestion collectives, un Sud fortement urbanisé marqué par quinze ans de règne du dollar et de la volonté d’établir au pas de course une économie marchande durable.

Au Nord, entre 1950 et 1975, tout l’effort de production du pays a été destiné à la guerre. Les communistes au pouvoir après la chute de la colonie ont, dés la fin des années 1950, mis en oe uvre des plans de répartition de la population que les collectivisations et les constructions de cités d’immeubles de logements collectifs (les K.T.T.) dans la banlieue de Ha Nôi ont concrétisés.

Dans le même temps le centre ville s’est figé dans l’état où l’ont laissé les Français et réclame des interventions urgentes. Pour le nouveau gouvernement, il n’est donc pas à l’ordre du jour de maîtriser l’expansion de Saigon-Cholon qui, agrandit de Gia Dinh et d’autres territoires, est rebaptisée Hô Chi Minh Ville en avril 1976. Mais au contraire de mettre au pas cette ville beaucoup trop libérale, de désengorger Saigon en renvoyant les migrants dans leurs villages ou dans les N.Z.E. (Nouvelles Zones Economiques) qui doivent permettre de répartir la population et de mettre en valeur les territoires non occupés143.

Paradoxalement, les dix ou quinze années de stagnation imposées par Ha Nôi au lendemain de la libération de Saigon ont été bénéfiques à la ville, qui n’a pas eu à subir de manière immédiate et autoritaire une reconstruction liée à une collectivisation ; comme le rappellent les problèmes rencontrés aujourd’hui dans les collectifs de Ha Nôi, dont la reconversion n’est pas aisée.

‘’Les différents programmes prévoyaient tous une utilisation commune par plusieurs foyers de la cuisine et de ses dépendances. Cette conception, qui visait à favoriser la vie collective fut mise en échec dès que l’apparition du pétrole dans la vie domestique permit à chaque famille de préparer ses repas à l’intérieur du logement.’144

Cholon à moins profité de ce répit. Ses habitants traditionnels, en plus d’être originaires de cet encombrant et immense voisin qu’est la Chine, détenaient le commerce et les affaires et ne pouvaient justifier de s’être battu contre les précédents gouvernements. Après la réunification du Viêt Nam, les familles marchandes de l’ex-Saigon, propriétaires de bien capitalistes, se sont petit à petit vues dépossédées de ceux-ci au nom de la collectivisation, puis la minorité chinoise a directement été visée à la suite des affrontements145 avec la Chine dans le Nord du pays. La réponse de la communauté chinoise de Hô Chi Minh Ville a été immédiate : tous ceux qui le pouvaient sont rentrés en Chine avec la bénédiction du gouvernement du Viêt Nam. Mais ils ont emmené avec eux leurs réseaux et leurs biens financiers. Dix ans plus tard, le gouvernement vietnamien a reconnu avoir alors fait une erreur. Parmi les habitants d’origine chinoise ne sont restés que les plus pauvres, formant une minorité silencieuse.

Or, Cholon avait développé un environnement urbain, certes très dense, mais d’une réelle valeur patrimoniale. 30 ans après, sans entretien et non reconnu, il tombe en ruine. Une certaine reconnaissance de ce patrimoine a émergé au cours des dernières années du 20ème siècle, sous l’influence des Occidentaux. Mais pour une part il est trop tard, et pour l’autre, aucune décision opérationnelle n’a été prise. La taudification et les mesures de salubrité par la destruction auront sans doute raison de ce qui reste, mis à part peut-être, quelques exemples éparpillés et donc décontextualisés. Les quelques anciennes photos de Cholon montrent que la ville Chinoise n’est plus. La seule question à l’ordre du jour est donc de savoir s’il faut conserver de manière autoritaire des fragments de patrimoine bâti.

Depuis 1986, la communauté Chinoise renaît doucement par le biais des investisseurs Chinois d’outre mer (Hong Kong, Taiwan, Singapour) qui financent les tours du centre ville. Mais que souhaite chacun ? In fine, la protection du patrimoine est toujours issue de choix politique : quel interlocuteur, quel passé consacrer ?

Aujourd’hui comme hier, l’ancienne agglomération de Cholon ne présente qu’un intérêt annexe pour les responsables de la ville, comparée à l’ancienne agglomération de Saigon, devenue depuis l’hyper-centre de Hô Chi Minh Ville. En fait, graduellement, depuis 1986, 1988, 1990, au gré des textes issus de la đ message URL ocircaccent.gifi m message URL oqueueaccent.gifi, le processus de métropolisation interrompu en 1975 a repris son cours.

Et ce n’est pas la moindre des contradictions de ce gouvernement que de favoriser un centre d’affaires international, au détriment d’actions plus destinées à la population.

Ainsi, si au lendemain de 1975 la discussion sur la ville et son évolution n’était pas à l’ordre de jour, un peu plus de dix ans après, la priorité est donnée au développement économique, sans que pour l’instant ait été ouverte cette discussion sur le devenir de la ville, sa maîtrise, son évolution. Discussion qui nécessite de s’intéresser au passé de la ville, oserais-je dire de l’accepter ?

Certes, en 1993, un premier master plan est enfin validé par le gouvernement, puis des detailed master plan lui sont adjoints. Est-ce que pour autant cette discussion a été ouverte et des choix effectués, ou le tabou l’a-t-il emporté ? Qu’est-ce qui préside à la construction de la ville de demain ?

C’est entre autre l’une des questions posées dans cette recherche.

Notes
143.

Si les premières ont à peu près réussi à se développer, elles étaient peu éloignées de Hô Chi Minh Ville, situées sur des terres non stériles et peuplées par une population qui n’y était pas opposée. Ce n’est pas le cas des dernières, dont un certain nombre de personnes reviennent à Hô Chi Minh Ville gonfler les rangs des habitants illégaux.

144.

L. Halls-French - 1977.

145.

Des incursions chinoises, soldées par un échec, ont été organisées à la frontière sino-vietnamienne en 1979, en réaction à la présence du Viêt Nam au Cambodge : la Chine soutenant le régime des Khmers Rouges auquel le Viêt Nam avait mis fin.