Hô Chi Minh Ville est issue de la fusion de deux agglomérations, Cholon le comptoir Chinois et Saigon la ville coloniale française, développées sous l’influence de deux communautés exogènes de tradition urbaine. Contrairement à ses consoe urs d’Asie du Sud-Est, Hô Chi Minh Ville ne possède pas, imbriqués au maillage de la ville à compartiment, de ’villages urbains’ ou ’pseudo-villages’, ces quartiers issus de l’organisation des agglomérations rurales ou de la tradition urbaine des ’villes-végétales’ sud-est asiatiques (en référence au kampung malais ou indonésien), ’‘qui ont servi de principale structure d’accueil des populations issues des campagnes, leur permettant de reconduire en ville certaines formes de solidarité et de subsistance propres aux sociétés villageoises’’146.
Or, les autres villes de la région, y compris Ha Nôi et Phnom Penh au Cambodge, présentent des quartiers aux caractéristiques d’anciennes organisations villageoises. S’il est possible de lire dans le plan de Hô Chi Minh Ville l’existence d’anciens villages, tel le centre de l’actuel arrondissement de Phu Nhuan, ceux-ci étaient des agglomérations commerçantes organisées autour de marchés et n’ont pas eu ce rôle d’enclave dans l’organisation de la ville, d’autant que leur organisation territoriale en bordure de voie était la même que celle de la ville chinoise ou de la ville coloniale.
Mais d’une part en Insulinde, ces quartiers étaient liés aux partitions ethniques, les quartiers développés par les communautés marchandes chinoises ne correspondant pas du tout aux habitations des populations nationales. Et d’autre part, Saigon a émergé au milieu d’un territoire en train d’être colonisé par les Vietnamiens, ceux-ci ne s’étant de ce fait pas encore établis dans le Sud, en une société structurée et reconnue telle. Ensuite, contrairement aux aires métropolitaines comme celles de Bangkok ou Jakarta qui s’étalent sur le territoire, à Hô Chi Minh Ville, la structure viaire, la densité de l’agglomération et les modes de vies n’ont pas encore provoqué la création de quartiers résidentiels loin du centre, desservis par d’anciens réseaux de voies rurales.
Ville récente, comme les autres métropoles d’Asie du Sud-Est, sa circonscription administrative a tout juste 300 ans, contrairement à Ha Nôi, dont la stabilité dans le temps est exemplaire. Hô Chi Minh Ville est aujourd’hui une métropole dont l’agglomération concentre plus de 5 millions147 de citoyens. Elle est la ville la plus peuplée du pays, mais n’en est pas la capitale politique, administrative ou culturelle, et lutte en permanence contre Ha Nôi qui centralise148 le pouvoir. Par contre, elle reste contre vents et marées la capitale économique d’un pays à économie planifiée, qui s’ouvre aux investissements sans remettre en cause son idéologie.
L’histoire même de cette ville est centrée sur cette dualité, entre le gain, le commerce et les affaires, au sein d’un pays à dominante rurale (80% de sa population est le chiffre généralement accepté) de tradition confucéenne. Elle fournit aujourd’hui plus de 20% du P.I.B. du pays dont elle représente moins de 10 % de sa population.
Enfin, si les bâtiments construits durant la colonie sont toujours présents, principalement en ce qui concerne les équipements (poste, universités, hôpitaux, écoles ...), à quelques exceptions près (le comité populaire, l’opéra, la cathédrale, le marché Bên Thanh), s’ils ont fédéré un aménagement urbain de proximité, ils n’ordonnent pas la ville. C’est le réseau viaire, rues et boulevards que des alignements de grands arbres soulignent, qui structure la ville et lui a servi d’armature pour son expansion.
Ainsi, alors même qu’aucune planification issue d’une vue globale ne s’est jamais imposée, la spécificité de Saigon est son tissu urbain, ou plus exactement ses tissus urbains qu’organisent et mettent en relation les grandes voies urbaines structurantes. Développé de manières individuelles ou en petits lotissements privés, l’habitat est en totale adéquation avec ces environnements, qu’il conforte ou génère.
L’apparition de l’immeuble collectif a transformé la donne. Faut-il parler de traumatisme ? j’aurais tendance à évoquer le processus de digestion, tant ces derniers peuvent disparaître au sein de la production très organique finalement, à condition que l’échelle de l’intervention le permette. A partir de la création d’ensembles d’immeubles collectifs, de nouveau secteurs apparaissent, avatars de l’urbanisme progressiste149, faut-il les condamner pour autant ?
Ce n’est pas à moi de répondre à cette question, mais l’édification actuelle de projets à grandes échelles pose à nouveau, de manière récurrente celle de la vue globale et de l’intervention ponctuelle.
Avant de s’attacher à l’analyse des outils de la planification urbaine, il me semble indispensable pour appréhender le cadre urbain quotidien, d’établir une rapide typologie de l’habitat dans son rapport à ce cadre.
C.Goldblum - 1996 - p174.
Le chiffre officiel en 1996 est de 4 069 649 [annuaire statistique de H.C.M.V. - 1996, cité par Nguyên Dinh Dau - 1998 - p. 180]. Mais ce nombre ne comprend ni les ’habitants temporaires’ dont nous verrons que la grande majorité est en fait résidente, ni les habitants sans carnet de résidence, puisqu’ ils ne devraient pas être là’. Le chiffre de 6, voire 8, millions est régulièrement avancé par les observateurs occidentaux.
Et pourtant, les itinéraires des grands hommes politiques du pays, comme certaines réglementations, étendues à la nation après avoir été testées à H.C.M.V., montrent à quel point cette métropole est importante.
Françoise Choay, dans son anthologie Urbanisme, utopies et réalité, distingue à travers les textes fondateurs de l’urbanisme deux courants dominants : progressiste et culturaliste, tout en séparant pour chacun les théories de ceux qu’elles nomment les pré-urbanistes et qui correspondent aux penseurs politiques sociaux du 19ème siècle, des urbanistes, qui sont des professionnels dont l’objectif est l’application concrète. Comme toute classification, ces deux courants ne peuvent être totalement opposés, alors que leur pensée ne prend pas une forme toujours aussi rigoureuse.