II - 3 LE COMPARTIMENT

Est nommé ici compartiment tout habitat qui physiquement s’apparente au compartiment chinois, sans en assumer la fonction commerciale ou artisanale. C’est alors le parcellaire étroit et allongé, et la distribution intérieure des pièces, qui en sont les principales caractéristiques. Son impact sur l’espace urbain est toujours la densité de la construction, mais aussi la densité d’accès privés que la voie supporte. L’absence d’activité au rez-de-chaussée est généralement liée au statut de la voie qui alors, du fait du nombre et de la proximité des entrées d’habitations, se privatise.

Contrairement au compartiment chinois implanté systématiquement en bordure de voie, le compartiment suburbain ou en coe ur d’îlot, bien que toujours organisé en continuité, se situe fréquemment en recul de la voie, laissant place à un jardinet ou à une petite cour. Ainsi, du compartiment chinois à son interprétation péri-urbaine159 il existe toute une déclinaison de rapport à l’espace public, principalement fonction de l’époque de la construction et du type de voie sur lequel le compartiment s’ouvre. A ce titre, le terme même de compartiment chinois fait référence à une formalisation spécifique et datée, une formalisation qui s’inscrit dans la période coloniale. Pour les compartiments plus récents, j’emploierais de préférence le terme de compartiment commerçant.

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La différence entre le compartiment incluant une activité et celui qui s’ouvre directement sur la rue est sensible dans le rapport à l’espace public. Dans le cas du compartiment chinois, l’espace de transition est la boutique elle-même, qui généralement déborde sur le trottoir à travers une ouverture occupant toute la largeur de la façade. Et souvent, le commerce ouvert, la limite entre le dehors et le dedans est impalpable. Dans le cas du compartiment, c’est l’espace associé à l’avant qui fait la transition160 entre l’extérieur public de la vie sociale et un intérieur privé qui ne s’ouvre que par une porte et une fenêtre. Lorsque la densification urbaine fait disparaître cet espace, l’espace de transition se partage entre la pièce du rez-de-chaussée, déjà du domaine privé, et la voie, déjà du domaine public.

L’évolution du compartiment, sa densification, mais surtout l’éventualité toujours mise en avant d’ouvrir un commerce, ont minimisé ces différences. De manière systématique, une grille métallique ferme l’ouverture qui occupe toute la façade du rez-de-chaussée des compartiments en maçonneries construits dans les années 1990. La pièce du rez-de-chaussée a finalement pour fonction d’accueillir ce qui vient de l’extérieur : les invités, comme les véhicules pour la nuit. De manière courante il s’agit de l’ensemble des motos des habitants, mais cela peut aussi être une voiture. En fait, l’évolution du compartiment lorsqu’il perd sa fonction commerciale reste aléatoire. Et dans les quartiers résidentiels d’un certain standing161, ces grilles sont juste entrouvertes dans la journée, montrant que dans ce cas là, ce type de construction n’est plus en cohérence avec son utilisation.

Formellement, les modénatures aussi ont évolué. Les compartiments construits dans les années 1960 et au début des années 1970 sont austères. Construits dans la lignée du mouvement moderne, sans autre décor que les claustras en briques ajourés et les gardes corps métalliques, ils sont en ciment. A la reprise de la production du compartiment privé, la fin des années 1980 a produit des façades qui s’appuient toujours sur le graphisme des lignes horizontales et verticales, mais agrémentées de parements. Puis la première moitié des années 1990 a vu fleurir des façades néoclassiques surchargées de décors, frises et colonnades en tous genres. La façade devenait un manifeste : la richesse s’affichait à nouveau. Depuis, même si les frontons ont toujours bonne presse, des lignes plus simples ont réinvesti les façades. Mais celle-ci est restée un décor, ce que l’on montre. Jamais une maison n’est considérée dans son ensemble. Elle n’est pas construite en volume mais comme une succession de plans sur chacun desquels est plaquée une façade (et une seule).

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Ce type d’habitat ne permet que peu d’évolutions, si ce n’est l’élévation en hauteur, la reproduction d’un même plan d’étage et la construction totale de la parcelle ; c’est à dire un C.O.S.162 égale à un, alors que trois des cotés sont mitoyens et que seul un petit coté de la parcelle ouvre sur la voie. Aucune transformation du modèle n’est possible sans changement du modèle lui même. Ainsi la cour arrière, déjà restreinte, est devenue un puit d’aération au centre de l’escalier qui mène au premier et deuxième étage. Puis, quand le bâtiment s’est élevé plus haut, l’escalier est passé à deux volées avec un toit plus ou moins mobile en haut. A l’origine le rez-de-chaussée était constitué de deux pièces de vies, l’une ouvrant sur la rue, l’autre sur la cour, les activités humides étant organisées autour de la cour. Avec la construction en étage, l’escalier s’est rapproché du centre afin de distribuer dans les étages une pièce avant ouverte sur la rue et une pièce arrière ouverte sur le compartiment mitoyen arrière si ce dernier est plus bas, sinon une pièce aveugle. Suivant la destination de ces pièces, chacune possède une salle d’eau située contre l’escalier ou une seule salle de bain est construite à chaque étage. Cette disposition permet de loger un foyer par étage ou par pièce, or la cuisine est toujours unique et construite en bas, au fond.

D’une part, cette évolution du compartiment, construction individuelle, se transforme en un habitat communautaire de fait, sans pour autant en avoir vraiment le fonctionnement. Car si toutes les familles logées ont un lien de connaissance, cela n’implique pas qu’elles puissent ensemble établir un cadre de vie harmonieux. D’autre part, les contraintes imposées à tous les réseaux techniques sont beaucoup plus fortes, sans que ceux-ci n’aient pu évoluer et sans que ces nouvelles contraintes ne soient prises en compte.

Cette production de compartiments particularise la production de Hô Chi Minh Ville, dans le sens où il n’est pas construit de maison. La parcelle, toujours plus profonde que large, est bâtie sur toute sa surface avec, dans le meilleur des cas, un puit d’aération pour les pièces humides. Le bâtiment est orienté et ouvert sur la rue. Ses trois cotés sont mitoyens et ne s’ouvrent sur l’extérieur que si les constructions voisines sont plus basses. Si d’aventure la parcelle est large (plus de cinq mètres163), elle est simplement redivisée en deux. Soit deux maisons indépendantes seront construites, soit une seule, mais qui s’organisera avec deux travées.

En fin de compte, la production d’habitat individuel est donc très homogène. Elle est issue de l’initiative privée et destinée à être occupée de manière privée.

A Saigon comme à Cholon, quelques promoteurs avaient construit des compartiments individuels en bandes164. Il n’en reste que peu, ou du moins peu qui soient identifiables comme tels. Car depuis, chaque propriétaire a refait sa façade ou construit un nouvel étage, détruisant complètement l’homogénéité ou la composition de l’ensemble. Sans règlement général et appartenant à des propriétaires individuels, leur évolution et leur fonctionnement sont tout à fait assimilables aux compartiments construits séparément. Il en va de même pour ceux construits lors des premières opérations de lotissement et de construction de logements, à la fin des années 1980.

Notes
159.

L’influence rurale se fait sentir dès que la mitoyenneté se perd, interprétant la continuité par un rythme différent. Dans le delta du Mékong, en milieu rural comme en milieu urbain, le compartiment a été adopté et interprété pour devenir également l’habitat type qui se développe le long des canaux. Mais construites en matériaux végétaux, ces maisons sont structurellement indépendantes, ne sont plus physiquement mitoyennes et permettent généralement le passage d’un homme. [A. Burlat - 1996].

160.

cf. photos p. 368 [espaces privatifs et ouverts].

161.

Comme le quartier de la marine. cf. paragraphe V-2 du chapitre V.

162.

Coefficient d’Occupation du Sol.

163.

Ce qui est rare. Mr C. précise en effet que des pénalités sont à acquitter par les propriétaires de ces maisons au moment de l’accord du permis de construire.

164.

Il ne faut pas les confondre avec les premiers logements collectifs, dont le rythme de la façade est identique mais le fonctionnement très différent.