IV Conclusion - LES SOUPLESSES D’UN SYSTEME RIGIDE

L’introduction d’une certaine économie de marché a donc été gérée par le gouvernement vietnamien sans remise en cause de son administration, organisée autour d’une hiérarchie rigide et efficace pour faire redescendre les informations et contrôler chaque individu.

Cette hiérarchie très bien définie a dans les faits permis d’inclure une multitude de nouvelles institutions, à condition qu’une des administrations gouvernementales la reconnaisse et s’en porte garante. Par contre, nulle part n’ont été introduits de nouveaux systèmes relationnels entre les administrations existantes qui ont, au contraire, eu tendance à s’autonomiser, suite à la réduction des budgets d’Etat et à la possibilité de profit que l’ouverture aux investissements étrangers permet.

Accepter les nouvelles forces économiques, c’est donner un statut aux agents du secteur privé, c’est définir un acteur, un interlocuteur que le système puisse prendre en compte. Mais au Viêt nam, qu’est-ce que la reconnaissance ?

Si ni le Parti, ni les institutions qui en dépendent idéologiquement n’ont connu d’évolution en direction de la société civile, c’est que ce n’est pas leur rôle. Comme il est plus facile pour un système de contrôler un élément en son sein qu’à l’extérieur, si le Parti ne pouvait s’en charger, c’était à l’Etat de le faire. Ainsi, chacune de ses administrations a créé des comités, des organismes qui à leur niveau et suivant leurs propres besoins dialoguent avec ce nouvel interlocuteur. Est-ce pour autant avoir défini un acteur ? Je ne le pense pas : Il s’agit bien de la reconnaissance d’un interlocuteur, non de celle d’un acteur. Ce dernier ne sera agissant dans le système vietnamien qu’à travers l’organisme locuteur. Laurence Nguyên précise : ’‘Pour le secteur privé, seules les sociétés vietnamiennes - ayant la personnalité morale, agréées et enregistrées auprès des Comité populaires de province, des villes ou des E.P.Z., sous l’autorité directe du gouvernement central - sont habilitées à contracter avec un investisseur étranger’’.300

De même la prise en compte des problèmes urbains est effective à travers la création de comités. Ces comités, qui rassemblent tous les intervenants officiels, présentent une multidisciplinarité indispensable à la gestion du développement de la ville, mais la souplesse de leur statut confine à la précarité. Ainsi, chaque année, à Hô Chi Minh Ville, de nouveaux comités sont créés, remplaçant ou non les anciens et essayant de mettre autour de la table tous les partenaires urbains. Le principal problème rencontré est alors de prendre des décisions pratiques et de les appliquer, dans un cadre contextuel à chaque fois différent et sans existence propre de l’organisme dans la pyramide hiérarchique institutionnelle.

Finalement, les comités populaires sont contrôlés horizontalement par les conseils populaires et verticalement, d’une part directement par l’organisme hiérarchique directement supérieur et d’autre part leurs services exercent sous la tutelle des divers services thématiques identiques créés par l’administration supérieure. Sous le principe du contrôle, l’organisation de cette administration aboutit à un émiettement des responsabilités, des décisions, chacun étant chargé de surveiller l’autre. D’où la lourdeur souvent dénoncée de la bureaucratie.

Alors, chacun s’occupe à contourner cette lourdeur. Tout le monde le sait, mais au bout du compte chacun s’y retrouve, puisque l’Etat lui-même ne peut rémunérer correctement ses fonctionnaires. Un jeu d’ajustement permanent se fait jour, entre les réseaux301 d’influence, le coût de la validation d’un dossier, plus faible par une instance de moindre importance, et la garantie qu’apporterait une institution hiérarchiquement supérieure. Dans les faits, chacun a intérêt à traiter le cas qui arrive plutôt que de le renvoyer à sa place théorique dans le système.

C’est toute la nuance présente à travers tous les modes d’actions relevés : l’officiel et le toléré, le dit et le su, l’efficace et le réglementaire. C’est en ce sens-là que je disais qu’au Viêt Nam, l’ordre et la loi ne sont pas similaires. Tout le monde en est conscient, mais le contraire est dit haut et fort. Car aujourd’hui, les pays riches dits ’développés’ sont des pays de droit. Ce refus, nous le retrouverons identique dans la non reconnaissance du développement endogène. La synthèse reviendra sur ces refus de reconnaissance, alors que j’avance que pour les Vietnamiens, admettre que le Viêt Nam n’est pas tel serait l’empêcher de le devenir, à travers la force suggestive de ce qui est établi, de ce qui devrait être. C’est là pour moi, par exemple, l’une des raisons d’être du master plan de Hô Chi Minh Ville, comme le chapitre IV a à charge de le montrer.

Notes
300.

L. Nguyên - 1998 - p. 220.

301.

Dans les textes consultés c’est très souvent le terme de ’clan’ qui est employé. Je lui préfère celui de réseaux d’influence qui me semble plus juste à travers les possibles qu’il offre. A mon avis, il s’agit bien de ramification possible et non de cercles fermés.