I - 3 Les Limites

Cette dernière remarque amène à aborder une particularité du système vietnamien. Il est ici question des limites territoriales, mais plusieurs observations (d’auteurs317 ou personnelles) permettent de généraliser et de caractériser une certaine approche des territoires.

Pierre Lucien Lamant318 relève l’absence de ligne frontière à l’arrivée des Français, alors qu’à l’intérieur d’une large zone, les circonscriptions relevaient soit de la cour de Phnom Penh, soit de celle de Huê, soit des deux. Cette situation était issue du processus de colonisation d’un territoire par les Vietnamiens319. Ces derniers s’établissaient sans grandes batailles, mais petit à petit, par tache : les premières colonies320 s’agrandissaient, essaimaient et installaient un peu plus loin de nouvelles colonies, là où le territoire, là où la pression des populations présentes en laissaient la possibilité, transformant le paysage social.

Le Viêt Nam actuel est organisé et administré à travers une structure hiérarchique pyramidale très précise. Chaque échelon possède des structures de l’armée et de la police qui assurent la sécurité du territoire. Mais tout fonctionne comme si, une fois cette organisation rigide établie, il était possible de la contourner. Ce qui est entre autre le rôle - très officiel - des comités de gestion321.

La rigueur du cadre, dont les limites du possible sont reconnues, provoque, et tolère tout à la fois, des projets externes à condition qu’ils aient une institution administrative officielle de rattachement. L’organisation générale établie, chacun, chaque action trouve ou se crée un cadre qui lui corresponde et agit à l’intérieur de celui-ci.

De manière pragmatique, François Tainturier322 relatait l’organisation du concours organisé autour du marché Bên Thanh à Hô Chi Minh Ville. Trois équipes ont été retenues, il leur a été demandé un projet et des budgets très précis, mais aucun territoire n’avait été délimité. Au vue de la disparité des réponses, il était impossible de comparer, donc de prononcer un jugement. Le concours (international) a été annulé, puis relancé quelques mois plus tard, sur un secteur défini.

A la même époque, les différents plans de planification (detailed master plan) de tous les districts et arrondissements de Hô Chi Minh Ville édités en fascicules avaient une seule légende en commun : les limites des quartiers (ph message URL ubarre.gif message URL obarreaccent2.gif ng) et arrondissements ou districts (qu message URL apointaccent.gifn, huy message URL epointaccent.gifn).

Certes, des techniques comme les concours d’architecture sont très nouvelles au Viêt Nam, mais les autres exemples cités permettent de penser que ce n’est pas la principale raison de cet état de fait. Au Viêt Nam, il n’est pas habituel d’établir des limites autres qu’administratives, qui alors concrétisent une appartenance. Car au Viêt Nam, tout l’art de la conquête, de la négociation s’est établi sur des secteurs-limites qui ne sont pas, ne doivent pas, être des lignes-frontières.

Notes
317.
Par exemple, dans leur ouvrage collectif, J. C. Pomonti et H. Tertrais [1994], soulèvent les continuités et les chevauchement des organisations et des personnes. En février 1930, Hô Chi Minh organise un parti communiste unique : le P.C.V., devenu le P.C.I. (Parti Communiste Indochinois) en octobre 1930, il est interdit en septembre 1939. En mai 1941, les dirigeants communistes fondent autour de Hô Chi Minh le Vi message URL epointaccent.gift minh (abréviation de Vi message URL epointaccent.gift Nam Đ message URL opointaccent.gifc L message URL apointaccent.gifp Đ message URL odeuxaccent2.gifng Minh : la ligue pour l’indépendance du Viêt Nam). En novembre 1945, le P.C.I. (qui aurait donc continué à exister ?) proclame sa dissolution (soit trois mois après la prise de pouvoir par ses dirigeants réunis dans le Vi message URL epointaccent.gift minh). En 1951, le Vi message URL epointaccent.gift minh disparaît au profit du Liên Vi message URL epointaccent.gift. Dans le même temps apparaît le Lao Đ message URL opointaccent.gifng ’Parti des travailleurs du Viêt Nam’, avec pour secrétaire général Truong Chinh qui était lui même le dernier secrétaire général du P.C.I. Le Lao Đ message URL opointaccent.gifng reprendra le nom d’origine du Parti : le Parti Communiste des Vietnamiens, en décembre 1976, lors du premier congrès du Viêt Nam réunifié.
318.

P. L. Lamant - 1989 - pp. 156-181.

319.

Cet état de fait à l’arrivée des Français à la fin du siècle dernier explique les revendications du Cambodge actuel sur certains territoires frontaliers et les troubles qui s’ensuivent.

320.
Au sujet des đ message URL odeuxaccent2.gifn đi message URL edeuxaccent3.gifn, ou colonies militaires, voir M.E. Deschaseaux - 1889.
321.

Se reporter à la conclusion du chapitre précédent.

322.

Assistant d’étude auprès de l’Architecte en chef (1996-1997) en tant que coopérant pour le service national à l’Agence d’urbanisme de la communauté urbaine de Lyon, dans le cadre de la coopération internationale entre ces deux institutions.