II - 1.1 L’URBANISME INTERNATIONNAL : Fonctions et Besoins

Lors des premiers débats autour de l’urbanisme, le premier, Tony Garnier préconise la séparation des fonctions, à travers ses plans pour une cité industrielle (1904). La cité comporte trois éléments326 principaux : l’usine, la ville et les établissements pour malades. Ils sont répartis sur le territoire en fonction de ses caractéristiques géographiques. A sa suite, ceux qui se qualifient de modernes adoptent une démarche qui se veut rationnelle ; ils prônent une ville fonctionnelle à travers la séparation des fonctions et une construction rationnelle. Fondé sur une critique de la ville industrielle, issue de la rupture imposée par le machinisme et inadapté à lui, l’urbanisme progressiste entend travailler avec les produits industriels et intègre une notion ’d’esthétique’327 à travers l’utilisation de matériaux industriels et d’éléments standardisés. Il se veut moderne donc, mais à travers la définition de ’besoins types’ ; cette modernité se veut universelle. Ainsi, pour Le Corbusier328 :

‘’Rechercher l’échelle humaine, la fonction humaine, c’est définir les besoins humains. Ils sont peu nombreux ; ils sont très identiques entre tous les hommes, les hommes étant tous faits sur le même moule depuis les époques les plus lointaines que nous connaissions. (...) Ces besoins sont types, c’est-à-dire que nous avons tous les mêmes.’’

Les urbanistes progressistes (presque tous architectes) se rassemblent en 1928 au sein des C.I.A.M. (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) dont la Chartes d’Athènes329 rédigée collectivement en 1933 transcrit son aboutissement. Les fonctions, données dans le point 77 comme les clefs de l’urbanisme, sont devenues : habiter, travailler, se récréer, circuler. Or, les ’notes sur les C.I.A.M.’ indiquent330 en fin d’ouvrages : ‘’Les trois fonctions fondamentales à l’accomplissement desquelles l’urbanisme doit veiller sont : 1° habiter, 2° travailler, 3° se récréer. Ses objectifs sont : a- l’occupation du sol, b- l’organisation de la circulation, c- la législation’’. L’une des incomplétudes du discours apparaît : qu’est-ce qui est ’fonction’ ? Et qu’est-ce qu’une ’fonction’ ? Quel rôle est dévolue à la circulation ? Est-elle un besoin pour aller du lieu d’une fonction à l’autre ? Est-elle partiellement incluse dans la fonction se recréer ? Qu’est-ce qui est moyen ? Qu’est-ce qui est objectif ?

A travers ces questions qui semblent jouer sur les mots, c’est pourtant le sens même de la vie urbaine qui est interrogé. Et comme le soulève Anatole Kopp331 :

‘’cette cité future n’est jamais définie sur le plan social et politique. C’est sur l’inadéquation des techniques nouvelles aux formes du passé que les architectes modernes mettent l’accent. C’est sur l’absurdité de la cité ancienne, sur son retard par rapport aux possibilités de la technique et de la science, sur son coté irrationnel, et sur le gaspillage qu’elle entraîne dans tous les domaines, c’est sur les contradictions entre les aspirations des hommes et leurs conditions de vie dans les grands centres urbains qu’insistaient les partisans d’une architecture nouvelle en Europe occidentale.’’

En Russie, où la révolution se propose de transformer l’homme lui-même à travers la transformation de la société, s’ouvre un débat sur les ’besoins de l’homme nouveau’. Mais, finalement, lorsqu’en 1931 Staline met fin aux prospectives, le contenu social de la ville future est tout aussi vide, alors que le pays construit des villes-nouvelles créées pour et par l’industrie.

Notes
326.

Qui abritent les éléments nécessaires standardisés : habitations, administrations et établissements publics, écoles, établissements sanitaires, station (gare), services publics et usine.

327.

’Le courant progressiste en urbanisme est très lié au mouvement moderne qui traverse l’art et la littérature.’ [P. Merlin - 1993 - p. 44].

328.

Le Corbusier - l’art décoratif d’aujourd’hui - 1925 - pp. 72-76. Cité par F. Choay - 1965- p. 236.

329.

Manifeste rédigé et publié en 1942 par Le Corbusier.

330.

Le Corbusier - 1957 - pp. 120-121.

331.

A. Kopp - 1965 - p. 32.