III - 3.3 L’EAU DANS LA VILLE

Le 20ème siècle a domestiqué, canalisé l’eau. Les hygiénistes et le besoin d’espaces de circulation ont relégué les espaces qui lui sont dévolus hors de la ville, aidés par la volonté de maîtriser, de contrôler tous les déplacements385. Dans la région du delta du Mékong comme dans les premières organisations urbaines, les marchés étaient construits entre une voie d’eau et une voie de terre. La volonté de remblayer les petits arroyos est légitime, la sédimentation des espaces habités transforme ce type d’espace de circulation en cloaque : le petit bras d’arroyo qui desservait le marché de Tân Dinh est aujourd’hui une ruelle inondée en cas de pluie. L’arroyo canalisé qui desservait le marché de Cho Lon a été en partie remblayé au début des années 1990 (mais les plans de la ville établis en 2 000 le représentent toujours dans son intégralité). La partie restante, en cul de sac, est toujours utilisée par des embarcations, malgré l’étroitesse de l’espace entre les habitations construites sur son emprise et la petitesse du filet d’eau qui le rend impropre à la navigation à marée basse.

Au-delà de l’évolution des modes de transport, il s’agit de la perméabilité du sol urbain, question technique s’il en est. Cho Lon s’est établie sur un sol bas, au milieu d’un lacis d’arroyos. Depuis, la ville devient imperméable, les canaux urbains386 et les petits bras ont tous été comblés, les anciens marécages ont petit à petit été remblayés et habités387, le drainage de l’eau ne se fait plus. La rapidité et l’ampleur de l’inondation388 suite aux fortes pluies de décembre 1998 montre que le problème est réel et mériterait d’être traité dans son ensemble.

Mais cette question est exclusivement abordée par le biais de l’évacuation de l’eau, par le fait que les eaux de pluies tout comme les eaux vannes et les eaux usées rejoignent le même système d’égouts dont l’ancienneté explique la défaillance et le sous-dimensionnement. Alors le problème est expliqué par le coût nécessaire à la réfection de tout le réseau de récupération des eaux : jamais l’imperméabilisation du sol urbain n’est remise en cause. L’évolution de Ha Nôi où les nombreux lacs sont de plus en plus remblayés alors qu’ils servaient de bassins de rétention montre s’il le faut ce refus de prendre en compte l’environnement autrement que par la maîtrise technique du cadre urbain.

Notes
385.

Lors de mon premier séjour (juillet 1990), deux villes du delta  : Vinh Hung, près de la frontière du Cambodge, et Cân Tho, plus grande ville du delta ; nous avaient accueillis pour nous présenter leurs projets en aménagements urbains, et les raisons de leurs existence. Dans les deux cas, le problème majeur était posé par le marché, dans les deux cas, il se situait entre la voie principale (la digue, la rue commerçante) et une voie d’eau (le canal, le bras du Mékong), et dans les deux cas le projet le réimplantait à l’intérieur des terres. A Vinh Hung, la raison invoquée était la contrebande (réelle), à Cân Tho, la taille trop petite du marché actuel. Mais comment imaginer le marché de la plus grande ville d’un delta, celle qui centralise toute la production rizicole au Sud-Ouest du Mékong ne fonctionner qu’avec un marché exclusivement terrestre ?

386.

J’entends par là les canaux tracés pour drainer l’eau et permettre le développement de la ville, et non pas les arroyos comme le Bên Nghe - Tau Huu ou le Thi Nghe - Nhiêu Lôc.

387.

Les habitants de la ruelle 112 An Binh, dans le K.P.5 P.5 Q.5 rapportent que jusqu’en 1996, où un revêtement en béton a été réalisé, le sol de la ruelle était surélevé à chaque inondation et que celles ci étaient chaque fois un peu plus hautes. Aujourd’hui, certaines maison ont un plancher en dessous du niveau du sol de la ruelle.

388.

1,20 m. en moins de 2 heures à l’intérieur du marché An Dong : marché central et récent de l’arrondissement 5.