Parler de législation au Viêt Nam demande au préalable de se replacer dans ce contexte. De tradition confucianiste, le Viêt Nam a de tout temps favorisé le consensus à la confrontation, comme nous le verrons au fil des exemples cités. Ainsi par exemple, un assistant de l’Architecte en chef explique que si un permis de construire accepté par le Cabinet de l’Architecte en chef390 est refusé par le Comité populaire de l’arrondissement, il y a négociation : après tout, tous sont des représentants du peuple.
Les avocats sont de plus en plus sollicités, par les étrangers, pour débrouiller les blocages et les lenteurs d’un dossier, et des cabinets de conseils administratifs ont fleuri ces dernières années à Hô Chi Minh Ville. De son coté, Laurent Pandolfi391 note une évolution dans les attitudes de la population pour trancher les conflits où les compétences de juristes sont de plus en plus requises au fur et à mesure que le droit vietnamien s’étoffe. Mais malgré tout, le Viêt Nam n’est pas encore un pays où le droit392 (judiciaire) est fondamental. Dans la vie courante, la population n’a que rarement recours aux tribunaux. En cas de conflits, les protagonistes et les témoins-spectateurs s’en réfèrent généralement à l’arbitrage par les organisations socio-politiques du voisinage393.
De plus, comme tout système nouveau394 et en pleine maturation, il est très mal connu et chacun ne sait pas toujours comment l’utiliser.
‘’Les compétences ne sont pas très distinctes entre les tribunaux, ce qui fait que, pour plus de sûreté, les plaignants ont tendance à frapper à plusieurs portes en même temps, auprès des tribunaux et des administrations, quitte à obtenir des jugements et des décisions contradictoires.’395 ’Constitutionnellement, les pouvoirs législatifs et judiciaires sont, comme le pouvoir exécutif, sous la responsabilité de l’Assemblée nationale. Le pouvoir judiciaire est organisé en tribunaux populaires correspondants aux échelons de l’administration (Etat, provinces, districts) qui traitent les délits en fonction de leurs importances396 et non selon les différents champs juridiques. Généralement ces tribunaux sont saisis pour des délits et non des conflits, excepté sur les questions qui ont été légiférées au préalable (mariage et droit des biens immobiliers).
Le code civil, adopté récemment (28-10-95) par l’Assemblée nationale, rappelle et instaure juridiquement les principes fondamentaux du droit vietnamien. Ce code est important car il donne un cadre aux décrets et décisions du Gouvernement397. Il n’existe pas encore de droit de l’urbanisme et les principaux textes en la matière appartiennent au droit foncier, au droit de la construction, au droit fiscal ou au droit des investissements étrangers. Les trois grandes lignes de l’urbanisme au Viêt Nam sont donc :
La maîtrise du sol ;
Le prélèvement de taxes ;
La construction, en temps qu’édifice technique normé.
Comme dans les domaines du patrimoine et de l’environnement, le domaine technique de l’urbanisme est séparé de ses impacts sociologiques, humains, voire bâtis. La résonance des édifices entre eux n’est jamais abordée. Dans le Cabinet de l’Architecte en chef, une section est chargée de l’étude de futurs règlements. Il y est question de skyline, non de mitoyenneté. Les lieux de vie des secteurs d’habitat, écoles, lieux de cultes, marchés ne sont pas pris en compte en tant que tels. Aucune différence n’est faite entre un marché, un centre commercial et une artère commerçante.
Ainsi, le master plan ne rend pas compte de valeurs, mais d’une manière générale le système référent ne les connaît pas non plus. Le système administratif mis en place, base du pouvoir exécutif, a compartimenté les différents domaines et sujets afin de les maîtriser.
Le master plan est présenté comme un outil législatif et tout projet devrait lui être conforme. Mais il n’est contraignant que pour la localisation, principalement la localisation d’équipements industriels. Or jusque récemment, la majorité des investissements étrangers était réalisé en joint-venture avec un partenaire vietnamien propriétaire du terrain et/ou de son droit d’usage ; c’est-à-dire en association avec une institution d’état. Le master plan est donc utilisé par des administrations, et entre elles.
Dans les faits, le seul outil juridique utilisé jusqu’ici pour maîtriser le développement physique de la ville est le permis de construire. En fonction de ce qui vient d’être évoqué, il n’inclut aucune vue globale ou générale de l’urbain. Mais surtout, outil juridique commun, il ne peut être vraiment contraignant pour les ’gros-projets’, dont nous verrons que finalement ils sont tous négociés au cas par cas avec les administrations parties prenantes dans le projet. Lui, s’adresse donc à l’acteur privé, individuel, commun.
Avant la réforme de juillet 1997.
L. Pandolfi - 1998.
En ce sens, Le Viêt Nam ancien était un état de devoir, où l’individu existait à travers les devoirs qu’il devait aux différentes communautés. En opposition aux pays occidentaux en général, et à la France en particulier, qui est un état de ’droit’ : Les hommes naissent libres et égaux en droit [déclaration des droits de l’homme - 1789].
A ce propos, voir l’article de I. Thireau et Hua Linshan [1998] au sujet des disputes dans les villages chinois.
La première faculté de droit au Viêt Nam a été ouverte à Ha Nôi en 1979. L’Indochine possédait deux systèmes judiciaires parallèles. Au début des années 1990, monsieur D. rapportait qu’en cas de recours au tribunal, il était fort utile de connaître le code Napoléon, fréquemment utilisé : le dernier code vietnamien datant de la dynastie des Nguyên, soit de l’époque impériale.
S. Rouzies - 1995 - p. 21
Toutes les institutions sont organisées suivant le système hiérarchique de l’administration. Le système médical aussi par exemple, se décline du dispensaire de quartier (ou de village) à l’hôpital de province. Le revers de ce système est très clairement exprimé dans cet exemple, où les bas échelons ne sont pas considérés, donc pas utilisés et la structure provinciale débordée, donc pas aussi efficace qu’elle le devrait.
Nous avons vu au chapitre III que le régime vietnamien gouverne essentiellement par décrets.