Les outils de la planification urbaine à Hô Chi Minh Ville prennent en compte le territoire par le biais de l’usage du sol, donc de la maîtrise de son affectation et des différents domaines techniques. Les seules références faites à la population sont au sujet des habitants illégaux et des déguerpissements nécessaires. La ville abordée est la ville matérielle, celle qu’il est possible de maîtriser dans la totalité de ses différents domaines, séparés au préalable. Il n’est jamais question de la multiplicité de la ville vécue.
A travers cette approche techniciste de la ville, les problèmes humains sont envisagés de la même manière que les problèmes techniques. Dans le master plan et ses documents annexes, les habitants sont pris en compte par le biais de statistiques, de chiffres qui permettent de cloisonner une réalité complexe pour l’aborder. Les hommes sont présents par un état des lieux chiffrés : tant de kW par habitants, ou tant d’habitants par Km², et sont projetés de la même manière : le confort (ou du moins la norme définie par les instances décisionnelles) nécessite x kW par habitants et x m² par habitants. Par contre les moyens mis en oe uvre ne peuvent être les mêmes lorsqu’il s’agit d’implanter un transformateur ou de réduire la population d’un arrondissement. Dans le premier cas un plan de l’installation futur est réalisé, dans le deuxième tous les dirigeants disent et répètent qu’il faut dédensifier, puis baissent le ton pour dire qu’à leur niveau ils n’ont pas les moyens. Chacun estime que c’est du recours de l’autre476. Les responsables hiérarchiques ont beaucoup de difficulté à comprendre et accepter les pratiques des habitants indésirables. Et nous venons de voir que les institutions au contact des habitants n’ont que la possibilité de répondre aux problèmes du quotidien, déjà bien compliqués.
La ville continue d’être gérée par une administration établie sous un gouvernement à économie planifiée. Certes, depuis 1986, des changements ont été apportés, mais le fondement du système est le même et la création de nouveaux services répond à des besoins de gestion de l’économie, non du quotidien. En dix ans, les modes d’habiter, d’utiliser la ville ont considérablement changé. L’individu ou la famille en tant qu’acteur privé individuel a pris une place primordiale. Les articles référents de la constitution477 de 1980 et 1992 expriment bien cette évolution :
Constitution de 1980 - art. 62
‘Les citoyens ont droit au logement. L’Etat intensifie la construction de logements et en même temps encourage et aide les collectivités et les citoyens à construire des logements suivant un plan d’aménagement général pour assurer progressivement à tous la jouissance de ce droit. La répartition des superficies habitables, gérées par l’Etat doit être équitable et rationnelle.’Constitution de 1992 - art. 62
‘Le citoyen a le droit de construire des logements selon les plans d’aménagement et la loi. Les droits du locataire et du propriétaire du logement à louer sont protégés par la loi.’Mais ce nouvel acteur n’est pas intégré dans les faits. L’Etat et son gouvernement n’ont pour l’instant pas mis en place d’outils qui permettent de le reconnaître et de l’encadrer.
La politique de planification urbaine telle que la mène le Viêt Nam aujourd’hui montre ici l’une de ses limites : son incapacité à prendre en compte l’existant, le réel : le petit acteur privé tout comme les valeurs humaines et la vie quotidienne.
Lors d’un colloque (janvier 1997) Lê Van Nam, Architecte en chef de la ville, répondant à une question sur la position à prendre face aux quartiers d’habitat précaire et spontané, a expliqué que ce problème n’était pas de son ressort, que si certains citadins vivaient ainsi, c’était par manque d’argent, qu’il fallait donc leur trouver un travail.
Les constitutions du Viet Nam - 1995.