La première partie a retracé les processus institutionnels mis en place par l’autorité de l’Etat, puis dégagé le rôle des différentes administrations. L’analyse du master plan, et des différents outils de planification du développement urbain, a montré que ceux-ci n’ont pas pour rôle de prévoir ou d’aider l’évolution de l’agglomération urbaine existante et des ’secteurs d’habitat’ qui la composent. Or, depuis dix ans que la croissance urbaine a repris, la ville n’a toujours pas atteint le point de rupture annoncé par les experts occidentaux. Force est de reconnaître que la ville en tant qu’organisme fonctionne, certes pas de manière optimale478, mais les flux et les échanges, bien que chaque jour plus importants et moins fluides, sont permanents : jamais le mouvement ne s’immobilise ni ne s’enraye.
L’objet de la recherche n’est pas tant de traiter de ces différents flux, que du cadre qui leur permet d’exister : la ville physique. Cette deuxième partie se tourne vers la réalité quotidienne de la production de ce cadre.
Nous avons vu, dans la première partie, que l’une des caractéristiques des villes du Sud-Est asiatique est de mêler différentes activités en un même lieu. Les outils de la planification urbaine ont représenté cette mixité, dont ils ne rendent pas compte, par une définition traduite ici ’secteur d’habitat’, mais dont le nom donné est littéralement ’population existante’. Ce n’est donc effectivement pas la fonction d’habitat qui est reconnue, mais bien le terrain dont la population a l’usage. Si le master plan ne détaille pas ces secteurs, c’est que, urbanisés, ils ne sont plus à développer. L’administration ne prend en compte ces quartiers et ensembles de quartiers existants, considérés déjà organisés, qu’à travers les problèmes relatifs à la gestion du quotidien. Corollaire de cette approche, c’est la gestion qui est, de fait, chargée de l’évolution de ces secteurs d’habitat, évolution qui est alors considérée à travers les compétences et la volonté du gestionnaire : l’objectif moteur est de maîtriser l’existant, le présent, non de développer le futur.
Le sujet de cette deuxième partie quitte l’échelle de la maîtrise de la ville globale, pour s’attacher à la somme des interventions ponctuelles, dans les secteurs d’habitat. A travers l’analyse de ces interventions qui construisent la ville physique, l’objectif est tout d’abord de saisir les dynamiques à l’oe uvre dans la production de l’environnement construit des secteurs d’habitat, à l’intérieur de l’agglomération urbaine ; il est aussi de mettre à jour les rapports entre ce développement endogène et la machine administrative gouvernementale. Car l’une des hypothèses soutenue ici est que cette dernière favorise ces dynamiques endogènes dont elle a besoin.
Afin de mettre ces dynamiques en évidence, j’ai choisi de travailler sur des secteurs d’habitat communs, sans enjeux ni problèmes particuliers qui viennent fausser les logiques d’action. La première partie a permis d’identifier quatre modes actuels de production de l’habitat que j’ai appelé : 3 modes de production + 1 (en référence à la reconnaissance faite à chacun) - pour mémoire :
les logements construits et gérés par une administration publique - en immeubles collectifs, presque exclusivement ;
les logements construits par (et appartenant à) des individus privés - exclusivement en maisons individuelles ;
les résidences hôtelières, réalisées avec des investissements étrangers ;
les logements illégaux, bâtis sur des espaces résiduels.
Les deux premiers types sont l’objet de la recherche. En effet, ils représentent la presque totalité de la production et sont considérés normaux, en ce sens qu’ils ne font pas l’objet de considération(s) particulière(s), contrairement aux deux derniers types dont la production, pourtant comparativement confidentielle, focalise l’attention de l’Etat.
Cette caractéristique normative s’applique différemment dans le cas de maisons individuelles ou de programmes d’habitat. Les quartiers de compartiments sont jugés communs, habituels, sans problèmes spécifiques, donc sans intérêt d’étude, alors même que ces maisons sont l’idéal-type actuel auquel aspire la population. Les programmes d’habitat soutenus par le gouvernement sont concrétisés sous forme d’ensembles de logements collectifs. Ces ensembles, initiés, soutenus par des services étatiques, véhiculent donc de fait une certaine idéologie gouvernementale. L’intérêt qu’on leur porte n’est alors pas tant la vie réelle et quotidienne que le résultat des espoirs portés : d’une part, ils s’adressent (entre autre) à une population défavorisée, d’autre part, ils voudraient répondre à un rôle de modèle social.
A la suite des conclusions du chapitre II, cette deuxième partie est organisée en deux paragraphes : le développement endogène et les programmes d’habitat. La caractéristique principale du développement endogène est d’évoluer au coe ur de quartiers existants qu’il recompose en permanence par des interventions individuelles. En ce sens, la production de l’habitat précaire de la ville illégale en est un avatar. La caractéristique des programmes d’habitat, initiés ou validés par l’administration, est de s’affranchir de l’existant le plus possible, à l’aide de la destruction si besoin est, et de construire sur un terrain libre. Ces démarches correspondent également aux résidences hôtelières réalisées à l’aide d’investissements étrangers.
La production de l’habitat dans sa totalité est donc duale : dans le premier cas, il s’agit d’une recomposition permanente de l’existant, dans le deuxième de sa négation totale. Mais ce qui est particulièrement intéressant en conclusion, c’est de constater la réappropriation des espaces collectifs par les habitants et les transformations apportées. In fine, il est parfois difficile de reconnaître un bâtiment collectif au milieu des maisons individuelles, tout comme une ambiance de ruelle peut-être recréée en lieu et place d’espaces neutres séparant deux barres de logements.
A travers la reconnaissance de pratiques et des solutions proposées, émergent en premier lieu des actions toujours guidées par la recherche perpétuelle d’un consensus, même inéquitable. Cette attitude, mène à la reconnaissance du contexte, donc à un traitement, de fait, au cas par cas de chaque dossier de la part de l’administration et par là, à une certaine prise en compte de l’environnement humain. En effet, très vite se dégage des entretiens réalisés sur place, l’importance du voisinage, du voisin en tant qu’individu comme de la police du quartier. Au bout du compte une certaine forme de communauté apparaît qui s’autorégule elle-même avec l’aide des institutions hiérarchiques organisées à son échelle.
J’insiste sur le fait que ce consensus, cette prise en compte du voisinage n’est pas une attitude où chacun estime et épargne l’autre, mais bien le résultat de pratiques sociales basées sur des relations hiérarchiques, mais aussi sur un refus systématique du conflit, de la confrontation. Dans la vie quotidienne, nous verrons l’importance de ce cercle de personnes avec qui un individu est en rapport et qu’il cherche à appréhender à travers la reconnaissance d’une forme de communauté, en opposition à la collectivité, somme d’individus, où chacun est étranger à l’autre.
Mais que serait l’optimum ? Là n’est pas la question, il s’agit juste de souligner que le fonctionnement est critiqué et critiquable, que des lacunes sont présentes.