Une autoroute sur Ham Nghi

Cette future voie est la prolongation d’une autoroute traversant Thu Thiêm pour aboutir, sans traitement spécifique, sur le rond point de la place du marché Bên Thanh489. Or cette dernière est celle du marché central d’Hô Chi Minh Ville et de ce fait un point névralgique de la ville aux différentes échelles : du quartier, de l’arrondissement et de l’agglomération. Cette place est déjà un point sensible où différents flux se croisent en permanence. Un regard à l’histoire renseigne sur l’importance de ce noe ud : le marché avait été construit en limite du centre ville et à coté de la gare (qui a depuis été déplacée), le tramway d’alors y avait aussi son terminus. Toute la ville s’est organisée autour de ses anciennes centralités et la rue Trân Hung Dao, qui relie le centre de l’ancienne Saigon (l’hypercentre actuel) au centre de Cho Lon part de cette place dans la continuité du boulevard Lê Loi. Aujourd’hui, la gare routière du centre ville est installée sur le coté Sud de cette place, dont le centre est un rond point pour essayer d’ordonner ces croisements de flux permanents.

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La raison de ce projet autoroutier est simple : c’est un projet de voirie. L’autoroute remplacerait l’actuel boulevard Ham Nghi dont la largeur présente trouve son origine à la suite du comblement de l’un des anciens canaux de Saigon. Aujourd’hui ce boulevard s’arrête sur le quai et d’une certaine manière ne mène nulle part. Il a donc un dimensionnement que les usages actuels ne justifient pas.

Pour autant, peut-on imaginer une autoroute s’arrêter là, sans plus de considérations, pour la simple raison des caractéristiques physiques de la voirie ?

Certes, l’autoroute n’est pas pour demain, et nombre d’études auront certainement d’ici là le temps de voir le jour. Mais le fait présent est simple : aucune réflexion sur les enjeux spatiaux et sociaux d’un tel choix n’apparaît en amont. Ce qu’il est possible de voir aujourd’hui en matière de traitement de ces points névralgiques urbains montre l’absence d’intérêt pour ce type de questions.

Toutes les voies de la ville sont traitées de la même manière et, en l’absence de hiérarchie, les croisements et carrefours ne peuvent être agencés efficacement490. La seule mesure prise est la réglementation du type de véhicules autorisés. Certaines rues importantes du centre de l’agglomération sont interdites aux cyclos491, de même les camions n’ont le droit d’emprunter que certains grands axes et de ne rouler qu’à certaines heures de la journée492.

Une autre réglementation en vigueur sépare sur les grands axes les différents modes de transport, du plus rapide sur la voie la plus à gauche, au plus lent sur celle de droite. Dans le cas d’une rue composée de trois voies telle la rue Diên Biên Phu sur son tronçon dans le troisième arrondissement, la voie de gauche est réservée aux voitures, celle du milieu au camions et aux bus et celle de droite aux deux-roues. D’une part, les vélos et les mobylettes circulent contre les roues des poids lourds, d’autre part, si un deux-roues coupe facilement les voies aux flux moins fluides pour tourner à gauche, une voiture, un camion qui tourne à droite ou un bus qui s’arrête régulièrement coupent le flux des deux-roues qui, coûte que coûte, essaient de se faufiler et de passer. Sans évoquer les cyclos ou les triporteurs qui roulent fréquemment de front493 et ralentissent tout le flux des deux-roues qui est pourtant de très loin le plus important.

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Les deux-roues et la densité de la circulation - ci-dessus, la rue Lê Van Sy (Q. 3 )

Mais ces règlements concernent le fonctionnement, non l’environnement. Ils essayent de régler, au présent, un problème issu de la croissance de la circulation et de l’évolution des modes de transport494. Ils ne s’attaquent pas aux causes du-dit problème. Dès qu’il s’agit de la ville existante, l’évolution est abordée par le biais de la gestion, non par celui de la planification par anticipation.

L’utilisation, le fonctionnement des voies de circulation permet généralement de les hiérarchiser en : voies de transit, voies de dessertes et ruelles. Mais les voies sont abordées ici en ce qu’elles sont le support d’implantation des constructions urbaines et pour leur capacité à favoriser certaines pratiques. En ce qui concerne l’évolution de l’environnement physique à Hô Chi Minh Ville, le classement des voies comme suit est plus pragmatique :

  • Nouvelles pénétrantes : voie centrale et contre-allées : des échelles démesurées ;

  • Rues et boulevards de l’ancienne ville : toutes les échelles de la ville mêlées :
    • . Voies de transit et quais : une coupure physique des aires de sociabilité 495 ;

    • . Voies de dessertes : le support de la vie urbaine ;

  • Ruelles : l’espace public approprié par les habitants.

Quelque soit la classification que l’on retienne, le réseau viaire496 de Hô Chi Minh Ville s’organise en un maillage qui de fait se hiérarchise dans l’utilisation que chacun en fait. Le concept ’d’adhérence’ mis en avant par Eric Charmes497 pour caractériser l’accessibilité viaire à Bangkok permet de caractériser une voie de manière qualitative. L’adhérence d’une rue est fonction des interactions entre la voie et les activités qu’elle dessert. A Hô Chi Minh Ville cette interaction est manifeste entre la voie et les commerces, légaux ou informels, plus qu’entre la voie et les parcelles qui la bordent, dont la distribution est relativement homogène à travers la prédominance du compartiment. A Hô Chi Minh Ville, l’un des rôles du trottoir, utilisé pour le stationnement des deux-roues, peut-être de s’intercaler entre les constructions et la voie et ainsi de réduire cette adhérence. C’est pour cette raison que l’échelle de la voie, de son éventuel trottoir, voire de sa contre-allée, est primordiale à travers une utilisation très personnalisée mais où la mobilité est extrême, en ce sens qu’un véhicule à deux roues est finalement plus polyvalent qu’un piéton, à qui les distances et le soleil imposent des limites.

Au delà de cette approche en terme de voie circulation, ce réseau viaire est le support des constructions urbaines qui le définissent physiquement.

Notes
489.

Ce projet a déjà été cité, que le Cabinet de l’Architecte en chef essaye de mettre en route en lieu et place du marché de Bên Thanh, pour son Comité de gestion, qui s’est rendu compte des potentialités de l’emplacement et des pratiques qui y sont liées : c’est la dernière grande parcelle de l’hypercentre à pouvoir être restructurée.

490.

Actuellement, au-delà de deux rues qui se coupent, soit quatre routes, un rond point est construit. Il peut arriver jusqu’à huit voies, de type boulevards, rues et grandes ruelles. C’est alors un capharnaüm indescriptible aux heures de pointes, tel le rond point au croisement de la rue Ba Thang Hai et Cach Mang Thang Tam.

Dans le 3eme arrondissement, construit sur un maillage de voies perpendiculaires, les premiers feux ont été installés en 1996 aux principaux carrefours. Ils étaient respectés jusqu’à l’installation systématiques de feux à tous les carrefours en 1999. Certes, la présence policière aidait beaucoup à ce respect, mais la multiplication des feux tricolores en a banalisé l’intérêt, remettant tous les croisements à la même échelle, ce que les mobilités démentent.

491.

cf. Agence d’urbanisme de la Communauté urbaine de Lyon - Etude préparatoire pour la révision du schéma directeur - 1996 - 141 p. - carte N° 19

492.

Ils sont interdits de 7h00 à 9h00, et de 16h00 à 19h00, ce qui aboutit actuellement à une file d’attente impressionnante à l’arrivée de la route de Ha Nôi (nationale N°1), puis à un engorgement rapide des axes urbains qui met actuellement presque deux heures à se résorber.

Au sujet du trafic de manière générale, se reporter au D.E.A. de Matthias Schmitt [Situation et condition de mutation du transport public par autobus à H.C.M.V., Viêt Nam - mémoire de D.E.A. en économie des transports, Université Lyon II, 1995 - 243 p.]

493.

Soit pour laisser discuter leurs clients, soit parce que l’un d’eux, légèrement plus rapide, n’arrive pas à doubler l’autre.

494.

Afin de freiner l’accroissement du parc automobile et d’imposer les plus nantis, les taxes pratiquées sur les véhicules neufs se répartissent suivant le type de véhicule : 220 % sur les automobiles, 150 % sur les minibus, 60% sur les camions et les motos (en 1997).

495.

Qui seront abordées dans le paragraphe VI-3.2 du présent chapitre.

496.

Dans l’agglomération urbaine, la densité du réseau des ruelles sera systématiquement inversement proportionnelle à celle de celui des rues, alors que les arrondissements suburbains proposent un maillage lâche relayé par des chemins agricoles.

497.

E. Charmes - 2 000 - pp. 60-61.

En référence à G. Amar ’pour une écologie des transports’, Annales de la recherche urbaine - n°59-60, 1993 - pp. 145-147, il est possible de caractériser l’adhérence d’une voie par des valeurs qualitatives. ’l’adhérence d’une autoroute est ’terminale’, dans la mesure où elle n’entre en relation avec son environnement qu’aux entrées et aux sorties spécialement aménagées. l’adhérence d’une rue peut-être dite ’longitudinale’ dans la mesure où ce type de voie adhère au tissu urbain à chaque pas de porte qu’elle dessert. Dans ce cas toutefois, l’adhérence dépend de la nature des constructions riveraines : elle est maximale dans les rues marchandes traditionnelles et minimale dans les quartiers aménagés suivant les préceptes de l’urbanisme moderne.’