Ha Nôi : Un contexte différent, d’autres résultats

Cet état de fait est très différent à Ha Nôi où le centre administratif (et colonial) est distinct du centre ancien, chacun s’organisant de part et d’autre du Lac Hoan Kiêm, lieux symboliques très forts. La construction d’un immeuble de douze étages sur sa rive a engagé une polémique d’autant plus virulente que la corruption prenait au même moment un visage réel à travers le scandale de la digue du Fleuve Rouge. D’après les choix de planification, les investissements étaient guidés vers le lac de l’Ouest où devait se développer le nouveau quartier moderne de la ville. Mais avec la construction de tours à la place de l’ancienne prison⁵²⁵ (hormis les débats autour de la destruction d’un certain patrimoine affectif) ou sur de grandes parcelles de l’ancienne ville coloniale, la ville semble évoluer à travers des logiques très éloignées de considérations spatiales ou patrimoniales, alors même que la protection du quartier des 36 rues a été validée. Il reste à la ville à prendre des moyens concrets pour permettre la mise en oeuvre de ses choix, or ce quartier ancien se divise en de multiples petites propriétés privées et supporte le centre touristique de Ha Nôi avec bon nombre de ses équipements. Ici la régulation à travers les intérêts de chacun (qui comprennent la structure du foncier) a déjà trouvé ses limites.

Le ralentissement de l’économie en Asie du Sud-Est, suite à la crise qu’elle a connue en 1997, est également à mettre en parallèle au Viêt Nam avec les difficultés⁵²⁶ rencontrés par les investisseurs pour s’y établir et à la complexité que nécessite l’acquisition de terrains. L’ensemble a apaisé la frénésie des grands chantiers qu’a connue la ville pendant la décennie 1990. La ville connaît aujourd’hui un répit. La question est de savoir si elle saura en tirer parti pour retrouver une maîtrise qui corresponde à des choix de développement planifiés ou si elle s’estime capable de gérer ces nouvelles énergies au cas par cas afin de ne pas en entraver le développement.

En ce qui concerne les nouvelles pénétrantes de l’agglomération, les constructions sont finalement relativement homogènes (majoritairement de trois à cinq étages) car construites par le même type d’acteur : individuel, privé et vietnamien sur un parcellaire qu’il a dessiné au fil des évolutions. Mais l’inadéquation d’échelle de ces constructions avec la largeur de la voirie (plus de cinquante mètres) laisse présager un futur beaucoup plus sauvage lorsque ces terrains commenceront à intéresser des acteurs plus ambitieux, et alors qu’aujourd’hui les investissements ont tendance à s’établir le long de grands axes tel la route de l’aéroport.

Dans le cas des îlots d’habitations définis par les rues, leurs densités et la hauteur des nouvelles constructions varient suivant les quartiers. Mais partout une règle unanime se profile : la construction de la totalité du sol parcellaire (privé). C’était la découverte de compartiments de 5 à 8 étages en tous lieux, y compris le long de ruelles étroites qui a été le déclencheur de la problématique développée ici. Cinq ans plus tard, et après l’analyse qu’elle a générée, il n’est pas certain⁵²⁷ que dans le futur la valorisation d’un terrain se traduise par l’édification systématique d’une construction aussi haute. L’uniformité apparente des acteurs et du parcellaire et l’inintérêt apparent des habitants par rapport à cette densité physique auraient pourtant tendance à influer en ce sens. Mais l’évolution de certaines mentalités et l’apparition d’un marché immobilier peuvent aussi être des indicateurs d’une tendance différente.

A cela il faut aussi ajouter la question de la rentabilisation des surfaces construites. Une maison privée a-t-elle besoin de tant de surface ? Le marché hôtelier est saturé. Comment utiliser les derniers étages, alors que la typologie du compartiment continue à implanter une cuisine unique en rez-de-chaussée ?

La maîtrise du parcellaire doit donc pouvoir permettre une maîtrise indirecte du volume de la construction. Actuellement, les règlements défavorisent les constructions possédant une façade sur rue d’une largeur supérieure à quatre mètres à travers des taxes proportionnellement plus importantes⁵²⁸. De fait, le compartiment est donc promu modèle-type de l’habitat individuel, non sans ironie de l’histoire, puisqu’il est issu d’un modèle de petits commerces individuels et privés. Cette réglementation est en train de changer le paysage des voies d’accès à Ha Nôi, alors que cette organisation parcellaire était exclusivement urbaine dans le Nord du pays.

En conclusion donc, si réglementairement, les contraintes pour les nouvelles constructions sont les mêmes quel que soit l’environnement et la voie le long de laquelle elles se positionnent, dans les faits des différences existent, et ce pour trois raisons principales. Tout d’abord, le rapport à l’espace public et les administrations de celui-ci est très différent s’il s’agit d’une rue ou d’une ruelle. Ensuite, l’enjeu financier et la valeur donnée à une construction n’est pas identique en tous lieux : les premières constructions se sont d’abord positionnées sur la rue. Enfin, nous allons voir qu’à travers la recherche permanente de consensus, la pression de l’aire de sociabilité n’est pas la même le long d’une pénétrante de l’agglomération ou à l’intérieur d’un îlot du centre ville.

Puisqu’à Hô Chi Minh Ville, le développement endogène est le résultat de la somme des interventions ponctuelles individuelles, il faut d’abord préciser la marge de manoe uvre de cet acteur-individu. Soit, à Hô Chi Minh Ville, la place de l’habitant, propriétaire ou locataire, à travers la reconnaissance qui lui est faite, avant de rentrer dans les pratiques liées à la production de l’environnement construit proprement dit. La complexité des différentes situations est à mettre en parallèle avec celle de l’histoire récente du Viêt Nam. Chaque groupe dominant ayant établi un nouveau cadre de droits et de devoirs qui s’est plus superposé au précédent qu’il ne l’a remplacé.