Nous avons vu, dans la première partie530, l’importance des mouvements migratoires de cette deuxième moitié du 20ème siècle dans la constitution et l’évolution de Hô Chi Minh Ville. Ces déplacements, dus à des changements de régimes politiques et idéologiques, n’ont bien souvent pas été préparés par les migrants qui ne se sont pas toujours préoccupés de régler le statut et le devenir de leurs biens.
A partir de 1975, le nouveau gouvernement se décrète propriétaire et gestionnaire des logements laissés vacants par les candidats à l’exil (dont une part importante quittera le pays de manière illégale, tels les boat peoples). Mais surtout, il annexe tout le parc immobilier que possédaient les propriétaires ’capitalistes’531 qui ont fui le pays. Il faut ajouter à ce patrimoine les biens ’donnés’532 à l’Etat par les grands propriétaires vietnamiens ayant choisi de demeurer au Viêt Nam.
Ces mouvements brusques et volontaires se sont produits sur un environnement issu de la colonie et dont la R.V.N.533 ne s’était pas préoccupée : lors de son implantation, le gouvernement d’Indochine s’est d’abord surimposé aux administrations présentes avant de s’y substituer. Il avait établi deux codes et deux tribunaux : l’un pour les Français d’origine, l’autre pour les Vietnamiens, chacun devant régler des conflits nés de moe urs, us et coutumes différents. L’établissement de la ville de Saigon, puis son agrandissement et celui de Cholon, ont été cadastrés par le Génie militaire français. Si tous les terrains lotis et vendus par l’administration française ont été validés par des actes écrits, il est possible que cela n’est pas été systématiquement le cas pour des transactions entre Vietnamiens et/ou Chinois. Mais surtout, beaucoup de documents ont été détruits au moment de la libération de Saigon, lorsque les familles les plus riches et les plus engagées dans la politique du Sud Viêt Nam ont tenté de fuir, parfois avec de long temps d’attente.
Durant sa courte vie, la R.V.N. a toujours été en état de guerre (larvée ou déclarée). La maîtrise de l’évolution physique de la ville de Saigon n’a pas fait partie de ses priorités. Et la gestion du flux d’immigrants généré par la politique d’urbanisation forcée, menée par les américains lors de leurs interventions, n’a jamais été prix en compte en amont.
Après 1975, l’une des premières préoccupations du nouveau gouvernement est de stabiliser la population tout en désengorgeant Saigon (qui atteint alors presque 4 millions d’habitants) à travers des politiques autoritaires de ’retour au village’ et de déplacement de population dans les nouvelles zones économiques (N.Z.E.). Mais le jeu des vainqueurs est aussi de s’établir dans ce Sud que les dirigeants de la R.D.V.N. leur avaient promis : si la propagande populaire pour la réunification s’est faite autour des ’frères opprimés’ du Sud qu’il fallait libérer534, ce Sud moins peuplé, possédant un riche delta et un climat plus agréable, était également convoité par les cadres militaires.
Cette double politique d’immigration / émigration stabilise le développement de la ville sans arriver à faire redescendre sa population en-dessous de 3 millions. Une certaine frange de la population, déplacée dans les N.Z.E., revient en toute illégalité à Saigon devenue Hô Chi Minh Ville et s’installe dans des habitations précaires. Le nouveau gouvernement n’a donc pas réussi à éradiquer les anciens secteurs d’habitat spontané, mais à leur donner un statut d’illégalité empêchant de ce fait toute intervention légitime.
Pour introduire les pratiques des habitants et le développement endogène, dont l’étude s’appuie principalement sur des entretiens535, je commence par relater quatre exemples qui me semblent typiques des problèmes et attitudes des divers acteurs de ce développement à Hô Chi Minh Ville. Ces quatre histoires, très différentes, et leur analyse, permettront d’entrer dans la réalité actuelle de la construction de quartiers urbains à Hô Chi Minh Ville
Se reporter au chapitre II.
Il s’agit ici de personnes physiques comme d’organismes collectifs.
Officiellement pour aider l’Etat.
Plus prosaïquement, il s’agissait pour ceux qui décidaient de rester au Viêt Nam de montrer leur allégeance au nouveau gouvernement et à son idéologie, et ainsi de rester propriétaire de leur propre maison d’habitation, voire d’un bout de terrain supplémentaire.
République du Viêt Nam. Cette république a existé au Sud du 17ème parallèle durant la partition du Viêt Nam. Elle a disparue en 1975, à sa réunification.
Il était par exemple dit qu’ils mangeaient dans des noix de coco car ils manquaient de bols. On peut imaginer l’étonnement puis ses conséquences devant la découverte, à leur arrivée, de l’abondance de biens matériels.
Les entretiens ont été effectués en vietnamien avec une interprète, ou seule en français ou en anglais : se reporter à la méthode, chapitre I.