Madame S. et les autorités

Madame S. est d’origine vietnamienne en ce sens que ses deux parents sont d’origine vietnamienne. Mais ces derniers avaient demandé, et obtenu, la nationalité française qu’ils ont transmise à leurs enfants. Madame S. est donc de nationalité française. Née au Viêt Nam elle fait ses études en France, puis décide de revenir dans son pays d’origine au début des années 1970, où elle occupe à Saigon la maison familiale dont sa mère est officiellement propriétaire. A la libération de Saigon, tous les autres biens immobiliers qui étaient loués et ne sont pas occupés par la famille du propriétaire sont récupérés par l’administration. Pendant plus de dix ans, les services du gouvernement feront tous ce qu’ils peuvent pour convaincre madame S. de partir du Viêt Nam afin de s’approprier sa maison. Mais madame S. tient bon. En outre, elle refuse d’héberger d’autres familles ou des commerces sur son terrain : le grignotage a toujours été un excellent mode de conquête de l’espace pour le Viêt Nam.

Aujourd’hui, la pression est retombée et madame S. a même obtenu (sans la demander) une carte de séjour permanente. Cette évolution est due à plusieurs facteurs. Tout d’abord, les directives du gouvernement ont évolué. Ensuite, après plus de 20 ans, les représentants des services du quartier et de l’arrondissement ont appris à connaître madame S. qui ne peut être considérée comme ’propriétaire capitaliste’ : chrétienne convaincue elle emploie le peu d’argent qu’elle possède à lutter contre la misère. Enfin, si à la mort de sa mère, madame S. deviendra la propriétaire légitime, elle est aujourd’hui âgée de 70 ans, célibataire et sans enfant : le gouvernement sait que dans un futur relativement proche, il deviendra propriétaire de cette maison.

Le résultat de cette pression est que madame S. n’a entrepris aucun travaux depuis 25 ans pour entretenir sa maison afin que celle-ci ne soit pas jolie et ne fasse pas trop envie à l’administration (qui s’est en priorité octroyée les plus belles villas de la ville). L’objectif poursuivi par madame S. est de se faire oublier, alors la maison est là, statique derrière son portail métallique et opaque, cachée aux regards par des plantes buissonnantes tout juste taillées quand elles deviennent trop envahissantes.

Madame S. précise aussi qu’elle n’ose réclamer537 les anciennes propriétés de sa famille. Elle rapporte alors ce qui arrive à ces belles villas que le gouvernement s’est approprié à la libération depuis qu’une loi est passée permettant aux anciens propriétaires de réclamer leurs biens, s’ils n’avaient pas quitté le Viêt Nam de manière illégale. Ceux dont l’ancienne maison est occupée par des services de l’Etat et qui ont essayé, se sont vus demander par le gouvernement des sommes exorbitantes afin de dédommager l’administration pour l’entretien de la maison pendant l’absence de son propriétaire538. Somme que ce dernier ne peut accepter de régler. Si plus tard il revient demander son bien, il a la mauvaise surprise de voir à la place de l’ancienne maison détruite un nouvel immeuble de bureau. L’administration expliquant alors que la villa était en trop mauvais état pour être conservée.

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La loi permet de revendiquer ses anciennes propriétés, mais au Viêt Nam, seule la maison appartient à un individu, le sol est la propriété de l’Etat, qui alloue aux occupants un droit d’usage du sol. Dans le cas précis qui vient d’être relaté, l’ancien propriétaire n’a plus aucun droit, puisqu’il n’a plus d’objet dont il peut revendiquer la propriété : il ne possède aucun bail de location du sol puisque ceux-ci ont été mis en place après 1975.

Dans ces cas-là, l’Etat lui-même est donc le pire ennemi à la reconnaissance et la conservation d’un certain patrimoine : à Hô Chi Minh Ville, c’est tout le plateau, ancien quartier colonial résidentiel, au tissu urbain spécifique, qui est menacé par ces procédés. Ce quartier (principalement le troisième arrondissement) est aujourd’hui mitoyen du centre ville ce qui confère à ses terrains une valeur marchande importante, et ce d’autant plus que les parcelles sont grandes et les constructions peu denses. Ensuite, il appartient de fait presque entièrement aux institutions de l’état, puisque ses anciens propriétaires faisaient partie des hautes classes sociales qui ont préféré l’expatriation lors de la réunification du Viêt Nam.

Un autre cas se pose également, si l’ancienne maison a été allouée à une ou plusieurs familles, il est demandé à l’ancien propriétaire pour récupérer son bien des sommes considérables correspondant au relogement des familles occupantes et à leur dédommagement. Généralement, ce prix dépasse la valeur vénale de la villa qui présente couramment un état de délabrement avancé : elle n’a jamais été entretenue et a été remaniée en fonction des différentes familles qui se la partagent, sans que l’administration gestionnaire ne s’en soucie, excepté en cas de conflit trop apparent.

Notes
537.

Comme les dernières lois le lui autorisent.

538.

Ces sommes ne sont pas justifiées par d’éventuelles factures et l’état des maisons indique qu’aucune intervention n’a jamais été réalisée.