La Construction de la maison de Monsieur T.

Monsieur T. a acheté une vieille maison, le droit d’utilisation du sol du terrain et un permis de construire approuvé : l’ancien propriétaire avait revendu son bien sur les conseils d’un géomancien qui l’avait pronostiqué néfaste pour lui. L’ancienne maison est démolie, aucune autorisation n’étant prérequise, mais quand monsieur T. commence la construction, la police d’ordre de la ville (dans le domaine de la construction)540 intervient, lui dit qu’il n’a pas le droit d’engager les travaux car le permis de construire n’est pas à son nom et lui demande d’arrêter le chantier.

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Monsieur T., commençait en plus à construire une maison non conforme au permis qu’il possédait : pour cela il s’était juste adressé à un architecte pour dessiner la maison et à un bureau d’étude pour calculer la structure et les fondations. Il se tourne alors, pour demander conseil, vers une dame du service du logement qui lui est présentée par des amis qui dirigent une crèche où cette dame met sa fille. Il demande à cette dame comment faire car son ingénieur n’a pas de licence541 et il ne peux poser une demande de permis de construire. La dame lui propose une compagnie officielle, avec qui le service travaille, pour une signature de complaisance. Monsieur T. entreprend les démarches pour un nouveau permis de construire et reprend la construction. Mais ce qu’il construit est non conforme à son projet, lui-même plus long et plus large que l’ancien permis. Il va jusqu’en limite mitoyenne et construit un pilier et un balcon devant la limite avant. La police ré-intervient et demande la destruction du balcon et une amende. Finalement, le poteau sera détruit, le balcon un peu réduit, 5 millions de V.N.Dongs seront versés en amende et la police n’interviendra plus. Le permis de construire est accordé en cours de construction et le certificat de construction une fois la maison terminée. C’est avec ce certificat que monsieur T. peut, s’il le souhaite, revendre sa maison.

La maison ouvre sur une petite ruelle qui se raccorde sur une plus large. Chacune possède un égout. Monsieur T. choisi de faire raccorder son évacuation au même endroit que le branchement de l’égout de la petite ruelle sur celui de la plus large, ainsi il ne demande pas d’autorisation et ne paye pas de taxe.

L’ouvrier du service de l’eau fait remarquer à Monsieur T. qu’il a utilisé trop d’eau542 durant la construction et qu’il faut demander une dispense à la ville. Monsieur T. lui donne 25 000 V.N.D. et la demande de dispense est oubliée.

L’ancien propriétaire (qui a vendu la maison) était ami avec les habitants des maisons situées derrière le terrain et avait permis à ces derniers de tirer une ligne électrique pour alimenter les maisons, ceci contre l’avis de la Compagnie d’électricité qui n’a jamais donné son accord (mais ne l’a non plus jamais empêché ou interdit de manière officielle). Monsieur T. pouvait donc demander à la Compagnie de couper cette ligne électrique, mais il entrait alors en conflit avec ses voisins, qui lui auraient ’fait toute sortes de tracas’; or monsieur T. souhaitait construire sa maison tranquille.

Pendant la construction, monsieur T. protège les fils électriques pour que les ouvriers ne soient pas en danger. Mais une fois la maison terminée, il dit à ses voisins qu’il faut trouver une solution, sinon il fera couper la ligne. Le jour où les ouvriers de la Compagnie d’électricité viennent pour brancher l’alimentation de la nouvelle maison, le problème leur est expliqué. Ils disent qu’il n’est pas nécessaire de couper la ligne électrique, mais qu’il faut renouveler le matériel qui est en très mauvais état. Ils proposent de le faire si les occupants des maisons bénéficiaires acceptent de payer la facture du nouveau fil électrique (220 000 V.N.Dongs en 1996). Ainsi fut fait, et les ouvriers font passer ce dernier au dessus de la nouvelle construction (appartenant à monsieur T.) tout en le fixant sur la maison mitoyenne plus haute. Le voisin, bien évidement mécontent, demande à monsieur T. de garder cette ligne électrique, ce dernier expliquera que le fil électrique n’est pas à lui, mais aux voisins de derrière, qu’il alimente. S’ensuit une discussion et la solution sera gardée.

Monsieur T. est resté dans le même quartier administratif que son ancien domicile dont il est toujours propriétaire, il ne fait pas la demande du permis d’habitation auprès de la police du quartier (responsable de l’ordre social, car elle a un coût. Il préfère rester enregistré à l’ancienne adresse que sa femme utilise épisodiquement comme atelier et où il loge ses deux apprentis sans domicile.

Enfin, une fois la construction terminée, monsieur T. et les voisins de la petite ruelle souhaitent construire un portail, fermé entre 23h00 à 5h00 pour leur sécurité, créant une petite cour commune. Le Comité populaire du ph message URL ubarre.gif message URL obarreaccent2.gif ng (quartier) refuse, mais devant leur insistance et l’argument que si la ruelle doit être élargie ils enlèveront le portail sans difficulté, le Comité populaire accepte. La police ne dit trop rien. Aujourd’hui, les habitants de l’ancienne petite ruelle disent et estiment que la cour leur appartient. Ils savent que l’Etat en est propriétaire, mais à leur yeux, il s’agit plus d’un concept que d’une réalité.

Cet exemple a été conté en détail, car il témoigne de trois situations rencontrées très régulièrement. Tout d’abord, dés qu’un problème se pose, l’attitude adoptée est : comment aborder l’administration compétente à travers la recherche d’une connaissance, même très indirecte. Ensuite, sur tout chantier se trouve à un moment ou à un autre un problème avec un voisin : il s’agit alors de ne pas transformer ce désaccord en conflit543. Enfin, toute entreprise publique (ici la Compagnie d’électricité) est abordée à travers ses ouvriers  : individus peu payés qui sont toujours prêts à arranger un client ou son voisin pour peu que leur travail soit simplement rémunéré544. Tout le monde connaît ces pratiques et personne n’y trouve vraiment à redire, car tout un chacun sait le salaire dérisoire d’un fonctionnaire. Jamais la Compagnie d’électricité n’a donné son accord pour cette ligne illégale. Pourtant il y a de grandes chances que des compteurs aient été installés : tout occupant légal possédant un titre légal peut en faire la demande. Après tout, c’est toujours une ligne dont la Compagnie n’a pas à s’occuper et dont elle n’a pas dû financer la construction.

La ville se construit ainsi, par à-coups de petits arrangements qui a priori ne font de mal à personne et où chacun s’y retrouve. A travers ces pratiques, on peut y voir un certain droit d’usager ou un certain bon sens. Il faut aussi y lire un intérêt exclusif pour le présent, et la certitude que dans l’avenir il sera toujours possible de trouver de semblables compromis.

Ces deux derniers exemples mettent en évidence les intérêts particuliers et les pratiques dans le domaine de la construction. Tous les deux se situent en coe ur d’îlot et l’exemple de Monsieur T. est typique des processus du développement endogène tel que j’ai pu les observer.

Notes
540.
C message URL abarre2.gifnh sát tr message URL apointaccent.gift t message URL ubarrepoint.gif đô th message URL ipoint.gif.
541.

Au Viêt Nam, c’est la signature de l’ingénieur qui est requise pour un permis de construire au-delà de trois étages.

542.

Pour l’eau comme pour l’électricité, des quotas par tranches sont établis en fonction du nombre de personnes inscrites sur le livret de résidence. Toute consommation qui dépasse le quota est facturé plus cher à chaque tranche. Au delà, toute sur-consommation doit faire l’objet de dispense. De même, les prix ne sont pas les même s’il s’agit d’un utilisateur vietnamien ou étranger.

543.

A moins que le rapport de force ne soit tel qu’il le permette. Mais dans ce cas, c’est le plus faible qui évitera de transformer le désaccord en conflit.

544.

En plus de leur salaire mensuel bien sûr.