Le silence est rare à Hô Chi Minh Ville. La conduite fait autant appel aux sens auditifs que visuels, l’absence de klaxon, c’est la contrainte d’être le plus lent : n’existe que celui qui se signale577. La journée, les appels criés des marchands ambulants se succèdent. Jusque tard dans la nuit, des appels codés raisonnent, que ce soit le bambou du marchand578 de soupe ou les cuillères du masseur, chaque habitant n’a qu’un appel à lancer de sa fenêtre et la soupe lui est montée. A travers les façades poreuses, l’habitant est en relation avec la rue, avec l’espace public. Les collectifs organisés le long des coursives ont gardé cette capacité, les tours fermées autour de leurs paliers et les maisons climatisées, aveugles et sourdes derrières des vitres ne participent plus de ces espaces.
Par exemple, un deux-roues (A) fait irruption d’une ruelle sur une rue et surtout ne regarde pas, sinon il risque de perdre la priorité qu’il s’octroie. Un autre deux-roues (B) sur la rue le voit faire irruption devant lui, klaxonne sur l’instant, le deux-roues A se range et laisse la priorité. Tout le jeu de A est de ne pas dire à l’autre qu’il sait qu’il est là (donc autant ne pas le savoir). Si B sait que A est au courant de sa présence, B s’impose. Pour cela, il doit donc se signaler à quelqu’un qui ne souhaite pas le voir : le son est alors efficace.
Je donne cet exemple pour dire qu’au milieu de l’anarchie apparente ambiante, quelques codes tacites existent. L’exemple cité est celui d’un fonctionnement de fait, de la part de deux conducteurs corrects, car dans cette circulation dense et fluctuante, le plus audacieux (ce que tentait A) gagne : ce jeu là fonctionne aussi très bien.
Chacun a un rythme particulier qui lui est propre. Ainsi, une oreille habituée sait reconnaître le marchand de soupe désiré.