Les ruelles font parties de l’espace public, mais l’interprétation qui en est faite à travers la vie quotidienne, est différente de celle de la rue : ici le consensus entre habitants est primordial. Des rondes de sécurités organisées et effectuées par les habitants à l’interprétation des règlements discutés avec les autorités, même indirectement, tous participent, ou du moins ceux qui sont acceptés au sein de la communauté de voisinage 582. Dans les coe urs d’îlots, il n’est pas satisfaisant de parler simplement d’aire de sociabilité, le groupement généré est plus important, mais aussi plus réducteur. Il m’a semblé plus exact de le nommer ’communauté de voisinage583’. Celle-ci n’a aucun statut, elle existe de fait, dans un lieu où la proximité, le refus traditionnel de l’individu-acteur ont de tout temps favorisé les communautés. Et nous verrons584 que le ciment social du Viêt Nam ancien était cette imbrication de communautés aux travers desquelles l’individu existait.
Cette référence à une communauté se retrouve partout, y compris dans la manière d’appréhender son univers relationnel. Cela a déjà été souligné à plusieurs reprises et la synthèse reviendra sur le sujet.
Ce que je souhaite souligner, c’est cette capacité à créer des microcosmes. Chaque petite ruelle, ensemble d’habitation ou immeuble qui possède une porte, la ferme la nuit, habituellement entre 23h00 et 5h00 (éventuellement entre 24h00 et 4h00). Rentrer chez soi dans ces horaires ne peut être qu’exceptionnel et nécessite au préalable d’avoir prévenu le gardien, ou d’arriver à réveiller un parent (le téléphone n’est pas encore un objet habituel pour un citoyen commun) qui ira le réveiller. Mais le gardien seul possesseur des clés, ne peut accepter ce réveil nocturne qu’exceptionnellement, tant la vie nocturne est socialement déconsidérée. Chacun accepte très bien cette contrainte pour la sécurité qu’elle procure.
L’impasse n’est donc pas un inconvénient pour une ruelle, au contraire. En observant le quartier étudié, il est aisé de voir les groupements d’habitats qui se sont superposés, chacun organisant son espace vital. Plus étonnant est le constat de la fermeture récente d’une ruelle traversante. Un jour l’un des occupants d’une des maisons a posé deux grilles et s’est approprié l’espace, créant deux impasses. Cela a certainement posé un problème le jour dit, mais maintenant, c’est un acquis que le propriétaire ne rétrocédera pas, sauf sur une demande pressante d’une autorité importante ; une autorité qui ne s’intéresse pas à la vie interne de ces quartiers.
A l’intérieur d’un lacis de ruelles, la différence est sensible, dès que l’une d’elle se termine en impasse585, à un endroit l’espace se referme, des plantes en pots viennent le délimiter ; si l’on s’y aventure, il se trouvera quelqu’un pour demander ce que l’on cherche.
L’îlot K.P.5 P.5 Q.5, montre plusieurs types d’impasses. Les plus franches sont celles formées par des constructions d’ensemble, telles l’implantation d’un lotissement ou la construction d’un immeuble collectif, en plein coe ur d’îlot. Comme nous l’avons vu, les premiers collectifs empilent des cellules qui sont une ré-interprétation des plans des compartiments. De ce fait, seul le pignon avant ouvre sur la coursive, le mur arrière peut s’adosser contre n’importe quelle construction, c’est donc un type de bâtiment très aisé à implanter en coe ur d’îlot. Celui auquel le passage du 66 Bach Van donne accès586 a transformé en impasses deux ruelles qui auparavant communiquaient à angle droit. Voisin de la cour de ce collectif, le lotissement auquel le passage du 56 Bach Van donne accès s’organise en arête de poisson, les dernières maisons s’appropriant le bout des impasses. Mais qui ne s’aventure pas sous les maisons qui forment passages ignorera toujours ces espaces, pourtant publics.
cf. carte p. 358.
Dans l’une des ruelles du quartier étudié, les visages étaient ouverts à notre approche et les habitants répondaient volontiers aux questions, posant également les leurs. Je souhaitais avoir des renseignements sur une maison récente, toujours fermée, mais il suffisait que la discussion soit amenée sur cette maison ou ses propriétaires pour que les visages se ferment. Je n’ai jamais eu d’information.
Un autre exemple, le voisin de madame L. possède deux maisons étroites mitoyennes, il décide d’en vendre une pour construire une maison neuve à la place de l’autre. Une fois vendue à un inconnu, le voisin de l’extrémité de la ruelle s’approprie celle-ci et construit un mur devant la moitié de la maison vendue, ne lui laissant pas deux mètres pour accéder à la lumière, visiblement en accord avec le vendeur avec qui il a de bonnes relations. L’acheteur se plaindra, à priori mollement, et n’habitera jamais la maison, en quatre années, je n’ai vu aucune évolution.
Dans le premier paragraphe du chapitre VIII.
cf. plan et photos p. 362 [privatisation d’une ruelle].
cf. plan et photos p. 364 [ruelles en impasses K.P.5 P.5 Q.5 ].