Le grignotage, ce sont toutes ces actions illégales qui petit à petit de 20 cm. en quelques mètres ferment un morceau de ciel, condamnent une ruelle ou occupent le coin d’une cour.
Ce sont ces bancs autrefois construits devant les maisons589 qui deviennent clôtures, puis cage, avant de recevoir un balcon pour toit ou une grille opaque et cadenassée pour protéger les motos garées derrière. Ce sont ces balcons ajoutés, d’abord quelques planches, puis un avant-toit avant de clore l’espace. Ce sont ces petites cuisines590, n’occupant presque rien devant une maison. Mais qui peut demander de les installer à l’intérieur quand le logement qu’elles desservent ne dépasse pas 10 m² ?
A l’extrême, c’est la ruelle du 141 Trân Tuân Khai591, où le visiteur ne sait plus s’il est dans une ruelle publique qui donne accès à un petit collectif où à l’intérieur d’une maison. Sous une tôle, une bâche, des familles ont posé tout ce qu’elles avaient, organisant l’espace contre le mur aveugle de gauche, construisant une mezzanine en bois sur à peine un mètre cinquante de large. Contre celui de droite, les caisses du commerce de la rue jouxtent les motos des habitants de la ruelle. Où est le dedans, où le dehors ?
De manière générale, puisque l’administration est stricte sur le sol, les habitants envahissent l’espace aérien592. Des balcons de planches, mais aussi des pièces sont construites sur la ruelle et la ferment. Dans certaines le jour n’entre pas, à d’autres endroits, une trappe sert d’entrée à un logement. Plus simplement, c’est une maison qui construit son étage en venant s’accoler contre la maison opposée, laissant juste le passage de la ruelle au rez-de-chaussée.
Toutes ces actions bloquent, ferment un peu plus l’espace, l’enferment dans un immobilisme dont l’évolution se fait à chaque fois un peu plus incertaine. Cet état de fait est à mettre en parallèle avec l’intérêt exclusif, de la part des pouvoirs décisionnels, pour la maîtrise du sol à travers l’officialisation de son usage, qui finalement n’est qu’une maîtrise théorique. Ce qui est évoqué là est bien une partie de la ville régulière, en opposition à la ville irrégulière constituée par des habitants illégaux.
Pourtant, et ce n’est pas le moins surprenant, des constructions neuves apparaissent au milieu de cet imbroglio. Ici comme ailleurs, les cây d’or aident à régler beaucoup de conflits. Souvent l’argent est exogène, soit qu’il vienne d’Outre-Atlantique, soit qu’une maison ait été vendue à une personne extérieure à la ruelle. Souvent aussi, derrière des façades flambant neuves se cachent des réhabilitations plus ou moins complètes.
Dans le P.5 Q.5 les permis de construire n’ont pas touché les plus petites parcelles (~10m²). Une réglementation interdisant la construction d’étages sur une parcelle inférieure à 30 m² m’a une fois été évoquée, au cours d’un entretien en avril 1997, mais plusieurs permis accordés dans l’arrondissement 5, entre autres en 1995 et 1997, contredisent (ou du moins affaiblissent) cette raison.
Et puis, le tissu du quartier étudié montre que le labyrinthe de ruelles trop étroites pour prétendre évoluer (celles qui desservent d’innombrables résidus de parcelles) n’est pas si important en taille. Mais toutes les ruelles sont administrativement envisagées de la même manière. Puisque rien n’est officiel, rien ne peut être pris en compte. Pourtant ce serait bien le seul moyen de faire évoluer ce tissu. L’îlot étudié comprend plusieurs bâtiments collectifs de trois niveaux dont l’importance et le relativement bon état ne justifient pas d’une démolition. La table rase ne peut donc être (du moins pour l’instant) un mode d’intervention satisfaisant.
Le projet de Ville en Transition sur le quartier de Tân Dinh avait aussi pour but initial de montrer qu’il était possible de travailler avec ce type de tissu issu d’un développement endogène, que justement là, les dynamiques individuelles peuvent être utilisées ; encore leur faut-il des cadres, donc une réelle volonté de faire évoluer ces tissus. A Tân Dinh, la réponse a été claire : ’non’. Que produira la restructuration des quartiers d’habitat le long des berges du canal Lo Gom, effectuée en coopération avec la B.A.D.C. 594 ?
A Hô Chi Minh Ville, ces coe urs d’îlots n’ont pas les mêmes caractéristiques, les mêmes origines que les slums de Bangkok. Exceptés certains petits secteurs, dont la petitesse même est un atout, ils sont différents des quartiers d’habitat spontanés qui se sont développés le long des arroyos : ils sont aussi une part de la ville régulière.
La question qui se pose est celle de l’action réalisable quand il ne sera plus possible de définir les droits, les propriétés (physiques, morales, spatiales) de chacun ? Car au centre de ces processus d’imbrication, fondés sur un consensus du présent, quel peut-être l’avenir, si ce n’est une reproduction, une recherche perpétuelle de consensus à travers chaque modification ou une destruction totale. Le dynamisme de ces processus, de ces actions additionnées serait donc accepté temporairement, en attente d’un Etat fort. Ce qui mènerait à soutenir que le gouvernement ne sait pas gérer ces dynamismes privés dans le cadre d’une planification de l’évolution : la gestion est substituée à la planification.
cf. photos p. 368 [Espaces privatifs et ouverts].
cf. photos p. 370 [Le grignotage de l’espace].
cf. photos p. 366 en haut [l’îlot K.P.5 P.5 Q.5 ].
cf. photos p. 370 [Le grignotage de l’espace].
cf. plan p. 358 [Le plan du Comité populaire P.5 Q.5 ].
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