Ce rappel de la place des morts pose la question de la place du vivant, de l’individu. Jusqu’ici, j’ai mis en avant des attitudes réglementées par des pratiques sociales, jamais d’attitudes individuelles. Car si les ruelles abritent des activités dont l’économie de la ville se nourrit et servent de support privilégié à l’habitat, si elles abritent les lieux de sociabilité favoris des habitants, elles n’offrent pas d’intimité. Le logement lui-même ne l’abrite que peu. Surpeuplé, ouvert aux quatre vents, il est l’abri de la communauté familiale, mais pas celui de l’individu qui finalement se recrée des lieux intimes au sein de la foule.
Le Viêt Nam est un pays densément peuplé, tout Vietnamien a donc toujours été habitué à vivre à proximité d’autrui et actuellement ne cherche pas à se retrouver seul. La solitude n’est visiblement pas appréciée. Les espaces organisés pour le loisir sont éloquents en ce sens666.
L’intimité même s’organise dans cette densité. Dans les cafés où une musique empêche toute conversation de groupe, les couples s’installent côte à côte et se parlent en murmurant à l’oreille, l’un tire la manche de l’autre ou lui touche le bras pour indiquer qu’il souhaite être écouté. L’autre approche alors son oreille. Le niveau sonore sert à réduire l’espace où le toucher devient langage. Dans les cafés de nuit, l’obscurité participe à ce processus.
Mais les espaces publics sombres, tel le square à l’arrière de la cathédrale, sont réputés abriter les ’fléaux sociaux’ (prostitution et drogue) et donc malfamés. Alors, les jeunes couples se retrouvent sur les quais de la rivière de Saigon, sur le trottoir face au terrain de l’aéroport, sur celui du pont de la Rivière de Saigon, etc. Ce sont des espaces qui font face à un vide urbain. Les jeunes s’installent667, utilisent la moto pour banc et tournant le dos à la circulation, font abstraction de ce qui est hors de leur champs de vision pour s’enlacer tranquillement.
L’utilisation faite de la moto n’est pas simplement utilitaire. Le soir, l’allure est douce et les discussions vont bon train de moto à moto. On s’accoste, on cherche compagnie, mais également on sort faire un tour avec un ami, des amis. On discute, le nez au vent, appréciant la fraîcheur du soir et espérant que de retour dans le logement, la chaleur y aura un peu baissé. Parfois une femme sort avec ses jeunes enfants, et tourne doucement, plus d’une heure. Des parcours type existent, comme la boucle qui emprunte la rue Dông Khoi, le quai de la rivière de Saigon, puis les boulevards Tôn Duc Thang et Lê Duan. L’idée est de rouler plus doucement que le flot qui alors vous tourne autour et vous évite, plus besoin d’être trop attentif, les réflexes suffisent : le monde tourne, et vous, vous vivez.
Est-ce cela la modernité ? Encore une fois, les habitants montrent qu’ils réadaptent les apports exogènes, à travers les possibles de la ville.
L’organisation des espaces sur les plages est fonction du public attendu :
• La plage de Vung Tau, destinée aux citadins du dimanche, s’organise en de multiples tranches compactes séparées par des espaces de plages déserts. Chacune rassemble plus de deux cent personnes et s’organise entre le bâtiment des douches/vestiaires et la mer. Sur la plage, 2 fauteuils 1 parasol, 2 fauteuil 1 parasol, etc. Et dans l’autre sens, 2 fauteuils 1 allée, 2 fauteuils, 1 allée, etc.
• A Nha Trang, lieu de tourisme ou de repos des Occidentaux, la plage est parsemée de petits ensembles de 2 fauteuils abrités sous un parasol central.
• Dernièrement, le littoral de Can Gio a été aménagé. En amont de la plage une forêt de filoas, petit arbre à l’ombre légère, abrite de multiples hamacs, où se reposent nombre de jeunes couples. La route pour aller à Can Gio est coupée de deux bacs, ce qui la rend peu agréable aux voitures. Ce sont donc en priorité les motos qui s’y rendent, donc les jeunes et non les familles.
1 moto, ~ 2 m. libres, 1 moto, ~ 2 m. libres, 1 moto, ~ 2 m. libres, etc.