V Conclusion
ENTRE Utopie, Idéal, VOLONTE, PRAGMATISME ET PRATIQUES

L’analyse des programmes d’habitat n’a été effectuée qu’en fonction des pratiques, de gestion ou de mode d’habiter. Elles est donc incomplète. La première volonté était de retracer les choix décisionnels préalables à la construction des cités Xom Cai et Hung Vuong, mais à cela deux problèmes se sont posés. Tout d’abord, je n’ai jamais obtenu l’autorisation officielle de rencontrer les administrations concernées. Seuls les intervenants qui le souhaitaient me donnaient donc des informations et il m’était difficile de croiser ces dernières avec d’autres pour les entériner. Ensuite de ce que j’ai pu mettre à jour, ce n’est pas le comité populaire qui est à l’origine du projet, mais une entreprise de construction sous la tutelle de ce dernier qui lui soumet des propositions. C’est pour cette raison que dans le chapitre III les comités populaires d’arrondissements ont été qualifiés de producteurs et les entreprises et investisseurs d’initiateurs. Le manque de logements est chronique et la demande latente ; la question n’est donc pas de savoir s’il faut construire des logements et où, mais de trouver un terrain et de faire le montage économique. J’ai avancé qu’il n’y a pas de discussion idéologique de fond lors de la conception et je le maintiens. L’objectif général est de bâtir des logements en adéquation avec l’image officielle de ce que devrait être un morceau de ville future, sans discussions préalables sur les possibles, les aspirations des habitants ou les besoins. Ici se retrouve l’importance des modèles référents et le rôle de la doctrine. J’ai déjà à plusieurs reprises abordé la force de l’image de Singapour et les raisons de cet attrait, ainsi que le mode d’intervention par projets qui mène à un développement par fragments indépendants669. Finalement, le résultat est alors sans aucune adéquation, autre que formelle, avec le modèle référent. C’est la raison pour laquelle le raisonnement avancé revient régulièrement sur la déconnexion des interventions du contexte.

C’est alors, comme le montre les différents immeubles de Xom Cai, lors de la conception de chaque bâtiment, au cas par cas et en évolution par rapport au bâtiment précédent, que cette discussion se pose et que l’objet immeuble collectif de logements évolue, sur la table à dessin, déconnecté de son environnement.

Le seul moyen de valider cette hypothèse serait de suivre de bout en bout toutes les réunions qui ont trait à l’établissement de l’un de ces quartiers d’habitat, d’en dégager tous les acteurs et leurs types d’interventions. Obtenir une telle autorisation me semble impensable aujourd’hui où tout ce qui a trait au financement reste très opaque, y compris pour les administrations vietnamiennes entre-elles. De plus, l’étalement de ces projets dans le temps présente de fortes contraintes.

Ce mode de validation nécessaire montre par ailleurs la limite d’une méthode d’analyse a posteriori, dans un pays où l’histoire et les informations sont réécrites en permanence en adéquation avec la pensée du moment, et où avoir des informations sur les débats passés tient de la gageure.

En conclusion, comme pour les quartiers d’habitat au développement endogène, l’espace urbain n’est pas appréhendé par les services administratifs. Il reste très théorique et statique. Les plans de masse regorgent d’arbres et de pelouses qui ne passent pas le cap de la réalisation.

Il se dégage de la vie de ces espaces et des pratiques qu’ils abritent, la capacité des habitants à s’approprier toute surface accessible et à privatiser ce qui est possible, mais aussi à réinterpréter l’espace collectif s’ils peuvent le transformer en espace communautaire, je veux dire par là si une communauté de voisinage peut voir le jour.

Finalement, le processus suivi par le gouvernement et ses effets sont en certains points comparables à ceux de Singapour. Charles Goldblum670 montre comment, lors de la construction des premiers ensembles et la répartition des logements, le H.D.B. 671 a réussi à casser les communautés existantes, dont les actions pouvaient être néfastes au gouvernement tout juste installé après l’indépendance. Puis, devant l’appauvrissement de la vie sociale et la réussite économique qui a assis le pouvoir en place, ce dernier a cherché à revaloriser ces petites communautés.

A Hô Chi Minh Ville, les dirigeants souhaitent introduire et encourager de nouvelles habitudes de vie plus en adéquation avec un pays économiquement fort. Pour cela, l’image des villes modernes, très occidentalisées672, est convoquée en permanence (il est d’ailleurs possible de remarquer qu’en terme de modèle le Japon est complètement absent, alors qu’il est très actif au sein des coopérations de développement urbain). Favoriser la fréquentation d’un supermarché ou ne donner aucune reconnaissance aux espaces des ruelles participe de ce processus qui mène directement à la dépersonnalisation des espaces.

Jusqu’ici, toutes les attitudes se juxtaposent, profitant de la tolérance des modes d’actions et du pragmatisme que permettent les réponses au cas par cas.

Notes
669.

C. Goldblum - 1996.

670.

C. Goldblum - 1986.

671.

Housing and Development Board.

672.

Tout observateur attentif aura remarqué la place de la cigarette dont est toujours affublé le personnage masculin de premier plan des grandes peintures de la propagande, du soldat héros à l’ouvrier modèle.