III - 3 Reproduire Et Améliorer

Par le mode d’action relevé plusieurs fois qui s’attache à refaire en mieux, à travailler par reproduction. Il s’agit bien de cette faculté à reproduire, qui est à mettre en parallèle avec l’enseignement traditionnel des textes classiques qui consistait à les connaître par coe ur, à avoir assimilé les mots comme leur musique, ainsi que leurs divers commentaires et interprétations. Etre imprégné de la pensée du maître pour ne s’exprimer qu’à travers elle, c’est être soi-même capable de ré-interpréter les textes en référence permanente aux anciens écrits d’auteurs reconnus. ’‘Le bon maître est celui qui, tout en répétant l’ancien est capable d’y trouver du nouveau’’723.

D’autre part, le mode d’action qui fonctionne par reproduction, à l’oe uvre au sein des cultures confucéennes, a déjà été relevé. Il ne s’agit pas alors de reproduction d’objets, mais d’imitation de comportements, de ’savoir-être’ comme le souligne Pham Thi Phuong Dung724.

‘’L’honnête homme à la chinoise doit se comporter suivant le ’principe de toute efficace’ [Gontran de Poncins]. (...) Demander des instructions précises sur le travail exigé, c’est pour lui un signe de non efficace. Regarder travailler son aîné, et tâcher de faire comme lui, c’est la règle. Ce principe d’efficacité porte plutôt sur une question de forme : son comportement dévoué, fidélité, ponctualité. Ainsi, chaque membre s’efforce d’être efficace, à la manière de ses aînés. Il est libre d’interpréter le principe de l’efficace comme il sent, comme il perçoit. (...) On comprend mieux pourquoi il n’y a pas de transfert de savoir-faire sous forme de ’procédure écrite’ chez les Chinois. C’est une culture de perception et d’interprétation. (...) L’éthique représente les règles de conduites qui sont conçues dans le but de maintenir l’harmonie dans la société. Ce qui est essentiel, ce n’est pas les savoir-faire (procédures : fond), mais les savoirs-être (forme). Toutes les oe uvres écrites sont faites pour transmettre ces règles de comportement.’’

De même, François Julien725 montre qu’à travers l’idée du maître, celle de modèle est bien présente.

‘’Et si le sage ne parle pas, ce n’est point par goût de l’ésotérisme, pour préserver un quelconque secret, mais parce que chacun de ses actes donne parfaitement accès, mieux que toute parole, à la richesse intérieure dont il émane. L’exemple donné se suffit à lui-même, il est patent, l’instruction nécessaire à son apprentissage consistera seulement dans son assimilation par imitation (selon le double sens de xue : apprendre-imiter)’ ’

Pham Thi Phuong Dung, qui emploie les termes de fond et de forme pour les problèmes relatifs aux savoirs-faire et aux savoirs-être, pose involontairement celui de la valeur donnée aux mots. Pour un Français, l’imitation, la reproduction ne sont pas des attitudes positives dans une société où l’initiative (individuelle) est valorisée, où la création, en tant qu’idée nouvelle, originale726 est favorisée. Mais chacune des deux cultures s’adresse à un sujet différent. L’une aux acteurs, et l’autre aux actes, comme nous le verrons en conclusion727. Ainsi, dans sa globalité, et au-delà de ses apparentes contradictions, la société vietnamienne fait preuve de cohérence : elle juxtapose et ré-interprète.

Alors, plus que l’analyse des raisons d’une réussite728, puis son interprétation en fonction du contexte humain, économique, etc., afin de définir une action, l’attitude relevée est d’emprunter un outil pour obtenir les mêmes résultats. Et je reviens à cette phrase, prononcée par un architecte de l’Institut d’urbanisme, suite à un voyage d’étude de quinze jours, pour moitié à Singapour et pour moitié à Bangkok729 : ’Singapour est indéniablement une réussite, il faut donc regarder Singapour. Par contre, il ne faut surtout pas regarder Bangkok, sinon nous allons lui ressembler’.

Oui, au moment où j’ai entendu cette phrase, je l’ai trouvé très primaire. En Occidentale cartésienne, mon fort intérieur s’est exclamé ’mais non, au contraire, le contexte de Singapour est trop différent, il faut étudier les projets mis en oe uvre à Bangkok et leurs résultats. C’est le meilleur moyen d’agir vite sur l’évolution de Hô Chi Minh Ville, d’en comprendre certaines dynamiques et certains enjeux !’. C’était d’une telle évidence que ça ne me semblait pas discutable.

Evidence, dont François Julien730 nous dit : ’ ‘’l’évidence’, c’est précisément ce qu’on ne pense plus – ce qu’on ne pense plus à penser – quand une représentation culturelle procède d’un tel effet de convergence que celui-ci oblitère tous les partis pris qui l’ont tissé et s’impose en retour à nous avec tous les prestiges de la ’nature’’ ’.

Or cette évidence, liée à un contexte culturel et un mode de pensée, n’existe que dans le cadre de ces derniers qui n’est pas celui établi au Viêt Nam.

Notes
723.

Entretiens de Confucius - livre II, paragraphe11 [traduit du chinois par Anne Cheng- 1981] :

note de la traductrice.’répétant l’ancien, littéralement : tout en réchauffant l’ancien, comme on réchauffe un plat, c’est-à-dire en répétant et réinterprétant sans cesse les textes anciens pour leur donner une signification actuelle et un rôle pratique à jouer dans la vie’.

724.

Pham Thi Phuong Dung - 1998 - p. 5.

725.

François Julien - 1989 - p. 36.

726.

Dans le sens origine : ’qui émane directement de l’auteur - qui paraît ne dériver de rien d’antérieur’, [Petit Robert] avec pour synonyme, inédit, neuf.

727.

Voir le paragraphe II-4 du prochain chapitre.

728.

’Démontrer une lacune, critiquer une thèse, cerner un problème dans son fond ne fait que démolir l’harmonie qui constitue la beauté des choses. Selon Tao, il n’y a donc jamais de problème sur le fond des choses. Le fond est incontestable.’ argumente Pham Thi Phuong Dung [1998 - p. 5].

729.

Voyage d’étude organisé par le P.M.U. 415 en novembre 1998. Je les ai accompagnés lors des visites au sein des services de la capitale Thaïlandaise, jamais le groupe n’a été intéressés aux projets réalisés et présentés, pourtant les entretiens étaient très intéressants et quelque soit la réalité de Bangkok, beaucoup de projets et de réalisations de qualités ont vu jour, les problèmes sont posées, et des solutions en adéquation à la réalité cherchées et testées.

730.

François Julien - 1989 - p. 89.