L’analyse des outils de la planification urbaine, de leur contenu aux acteurs auxquels ils s’adressent, montre comment la division comme mode d’action mène à l’incapacité d’appréhender une vue globale et de ce fait mène à une somme de visions partielles de la ville. Ensuite, les caractéristiques de la culture vietnamienne relevées mettent en avant une société structurée sur des relations humaines hiérarchisées et très définies.
Finalement, la prise en compte du contexte est extrêmement normée, elle agit au sein d’un cadre sociétal général et a pour objectif de veiller au maintien de l’harmonie de ce cadre : l’ordre public au sein d’une globalité universelle.
Pourtant, tout au long de l’étude revient comme un leitmotiv le constat d’un contexte global jamais construit et qui donc ne peut jamais être pris en compte comme tel. J’avancerais que si chacun est à sa place et respecte l’ordre public, il appartient de fait à ce contexte global et n’a donc pas la nécessité d’en construire une représentation. Construire cette représentation, c’est positionner chaque élément par rapport à un tout, cela procède d’un mode déductif752, analytique, d’un mode qui reconnaît les éléments, donc l’individualité et en conséquence l’individu. Ce qui est à l’opposé de l’enseignement traditionnel, alors que l’une des actions de celui-ci est de démotiver toute activité qui contribue à la réalisation de projets personnels.
Le contexte humain existe donc au sein d’une sphère d’action particulière à chaque projet, conflit ou intervention. Un gouvernement qui pratique une planification décisionnel et maîtrise chaque chose par le biais de la division tolère tout à fait ce particularisme systématique. Mais ces modes d’actions ont engendré une évolution urbaine constituée de la somme de tous ces projets, conflits ou interventions, sans qu’aucune autorité ne se montre capable de les coordonner en un ensemble qui soit issu d’un choix décisionnel.
Etablir un choix revient à créer un conflit. Or les outils de la planification urbaine utilisés actuellement sont exogènes et issus d’une culture qui favorise la confrontation (voire l’affrontement) des idées et non leur cohabitation par juxtaposition. Les pratiques montrent qu’ils ont de fait été ré-interprétés, sans pour autant que de nouveaux outils aient émergés, afin de répondre au mieux aux modes de pensées et d’actions de la société vietnamienne. In fine, les pratiques de juxtaposition peuvent être productives par incitation, mais peuvent aussi mener à toutes les dérives si elle ne sont pas cadrées et pour cela identifiées.
Arriver à équilibrer les dynamiques exogènes, qui apportent nouveautés mais impacts extérieurs, et les dynamiques endogènes, qui sont productrices mais n’innovent que dans les domaines connus, revient à vouloir harmoniser l’original à tout prix avec reproduire en mieux. Est-ce que l’action par juxtaposition peut permettre ce genre de pirouette ?
‘La juxtaposition est cette capacité à mettre en parallèle, à accepter toute chose qui paraît intrinsèquement juste, en toute ignorance du contexte globale’ 753 ‘. Et la justesses des choses est indexée sur l’ordre. Ce n’est donc pas que le conflit soit refusé en tant que tel, mais en tant que confrontation, affrontement.’
Lors des tables rondes (ou moments réservés aux interventions des participants) des divers colloques et séminaires754 auxquels j’ai pu assister durant mes divers séjours à Hô Chi Minh Ville, j’ai une seule fois été témoin d’une discussion 755, dans le plein sens (occidental ?) du mot. De manière très habituelle, chacun fait une intervention qui est plus un discours général sur sa position, qu’une participation à un éventuel débat sur les sujets traités. Encore une fois, le raisonnement avance par superposition. Car il ne faut pas interpréter ces attitudes comme une affirmation d’une opinion, mais bien comme un avis émis, avis qui évoluera en fonction d’autres avis recueillis, d’ici le prochain lieu d’échange.
Lorsque, au cours d’une conférence sous forme de discussion, François Julien précisait que si l’Occident a créé des philosophes, la Chine a engendré des sages, il résume en un raccourci saisissant la différence entre le mode de pensée occidental et celui développé en Chine (et dans les pays qui se sont constitués sous son influence culturelle). A ce titre, les définitions756 du petit Robert, dictionnaire français commun de référence, sont saisissantes et mettent en exergue le centre d’intérêt à la seule culture référente : autant la philosophie et les philosophes, dont l’activité est rationnelle et scientifique, sont définis précisément, autant les définitions concernant les sages et la sagesse sont pauvres et se réfèrent sans plus d’explication ou de nuances à la ’juste connaissance des choses’.
Pham Thi Phuong Dung insiste sur la difficulté de ses étudiants à cadrer un problème dans un contexte déductif [1998 - p. 6].
Comme l’illustre ‘le cas de madame M., deux plans de planification d’un secteur ont été validés, sans que le deuxième n’annihile le premier avec lequel il est incompatible, même si ’ ‘de facto’ ‘ le premier n’est plus utilisé : le deuxième se superpose.’
cf. annexe de fin [Manifestations et coopérations à H.C.M.V. ]
Il faut dire que le sujet traité était polémique : il s’agissait des indemnités à donner aux expulsés lors de projets d’intérêt ’primordial’ (qui permet de se prévaloir de l’utilisation du droit du sol). Or ces indemnités ne sont pas les mêmes si le responsable du projet est une administration publique ou un investisseur étranger. A noter qu’encore une fois, les solutions proposées sont établies en fonction de l’acteur et non du contenu de l’action. Le problème est entier lorsqu’il s’agit de joint-venture ou de coopération, chaque partie estimant que c’est à l’autre de prendre ces démarches en charge. La partie vietnamienne estime qu’elle n’a pas l’argent nécessaire, la partie étrangère argue que d’une part la part d’investissement de la partie vietnamienne dans le projet est l’apport du terrain et qu’il doit être libre et que d’autre part, puisque les frais sont moindres si c’est la partie vietnamienne qui l’assume, il est normal que ce soit elle qui s’en charge.
Philosophie : ’Toute connaissance par la raison (sciences).
Attitude rationnelle et libérale des philosophes.
Ensemble des études, des recherches visant à saisir les causes premières, la réalité absolue ainsi que les fondements des valeurs humaines et envisageant les problèmes à leur plus haut degré de généralité.’
Philosophe : ’Personne qui s’adonne à l’étude rationnelle de la nature et de la morale.
Personne qui s’appuie sur la raison et récuse la révélation, la foi.
Personne qui élabore une doctrine ou des éléments de doctrine philosophique.’
Sage : ’Celui qui a une connaissance juste des choses.
Celui qui, par un art de vivre supérieur, se met à l’abri de ce qui tourmente les autres hommes.’
Sagesse : ’Connaissance juste des choses.
Vertu, comportement juste, raisonnable.
Qualité, conduite du sage, modération, calme supérieur joint aux connaissances.’