Sur les traces de St. François-Xavier

En 1815, l'identité de l'Institut prend visage avec l'attribution du nom de Société du Sacré-Cœur de Jésus et la promulgation des Constitutions. En 1816, la Maison généralice s'établit à Paris. La communauté éducative de Cuignières est transférée à Beauvais. La cérémonie d'inauguration de l'établissement est relatée au Journal officiel de mars 1816, à la suite de la nomination du comte de Choiseul comme préfet du département de l'Oise. La longueur de l'article, une page entière, manifeste l'importance accordée à l'événement. Retranscrivons les premières lignes :

‘« Une cérémonie religieuse, bien faite pour intéresser la ville de Beauvais et tout le département, surtout les pères et mères, a eu lieu mardi 19 dans la chapelle du ci-devant petit séminaire, dont le local est aujourd'hui occupé par les dames religieuses de l'instruction chrétienne.
Ces dames dont nous ne ferons pas l'éloge pour ne pas blesser leur modestie, mais qui, pour la plupart, nées dans les classes les plus élevées, ne dédaignent pas de se dévouer gratuitement à l'éducation des pauvres, ont été installées dans ce local en présence des autorités ». ’

La présence de la comtesse de Choiseul est mentionnée.

Le dernier paragraphe souligne le bon ton des représentations festives qui ont suivi :

‘« Mais ces saintes filles ont cru que c'était à elles qu'il appartenait d'être reconnaissantes, et elles ont fait paraître leurs jeunes élèves qui, dans un dialogue entremêlé de couplets pleins de sentimens et de délicatesse, ont exprimé avec toutes les grâces de la belle et décente simplicité, leur reconnaissance à M. le Maire de la ville, à M. le Vicaire-général, et aux autorités, pour la protection accordée à un établissement auquel elles doivent l'inappréciable bienfait de leur éducation » 103 . ’

Quant à la dimension internationale suggérée dans l'Idée primordiale, elle ne tarde pas à s'inscrire de façon tangible, en 1818. Le 14 janvier 1817, Louis Dubourg, évêque de Louisiane et des deux Floride, fait une demande de fondation à Saint-Louis-Missouri. Sophie Barat estime cette extension prématurée. Touchée par les supplications réitérées de Philippine Duchesne, elle y consent néanmoins. Et le 21 mars 1818, «  la petite colonie » composée de cinq religieuses dont Philippine, s'embarquent à bord du voilier "Rebbecca". Après une traversée périlleuse, elles arrivent à la Nouvelle-Orléans le 30 mai, où elles sont accueillies par les Ursulines. La remontée du Mississippi se fait ensuite sur un steamboat et le 21 août, elles débarquent à Saint-Louis. Mais là, une surprise les attend. Mgr Dubourg ne les établit pas, comme convenu, à Saint-Louis. Il les envoie à Saint-Charles, village situé aux frontières du Congrès américain et des tribus indiennes, au confluent du Mississippi et du Missouri. De plus, en raison des préjugés sociaux, il ne leur confie pas l'éducation des jeunes filles indiennes, mais celle des américaines. C’est ainsi que le 14 septembre 1818 a lieu, au-delà du Mississippi en Haute-Louisiane, l'ouverture de la première école de filles, suivie le 3 octobre de celle du pensionnat.

Le 10 avril 1818, le Cardinal Fontana fait part à l'Abbé Perreau de sa rencontre avec le pape :

‘« Après avoir expédié sous ses yeux quelques affaires sur lesquelles j'avais à prendre ses ordres, je l'ai entretenu avec le plus grand intérêt des dames religieuses dont vous me parlez connues en France et instituées il n'y pas long tems sous le titre de Dames du Sacré-Cœur de Jésus. Le Souverain Pontife s'est réjoui des heureux succès de cet ordre dont la fondation ne lui était pas inconnue. Il a vu surtout avec le plus grande satisfaction que plusieurs d'entre elles, sur le désir de monseigneur l'évêque de la Louisiane et pour seconder les efforts de son zèle, aient tout quitté, tout abandonné, pour suivre J-C. et s'élevant généreusement au-dessus de la faiblesse de leur sexe, n'aient pas craint de franchir un intervalle de mers immense afin de transporter leur pieux Institut jusque dans les contrées lointaines et sauvages, et se consacrer ainsi à la plus grande gloire de Dieu, à l'honneur de l'Eglise catholique et au salut des âmes.
Sa sainteté donc, après avoir applaudi à leurs vues et leur avoir souhaité l'issue la plus heureuse, a donné dans les termes les plus touchans, sa bénédiction apostolique non seulement à celles qui sont déjà parties, mais à celles qui se disposeroient à partir encore. Il ne vous reste donc plus qu'à leur faire part le plus tôt que vous le pourrez de cette bienveillance de Pie VII et à donner à ces saintes filles, une consolation précieuse dans leurs peines, et un soulagement bien dû à leurs travaux »  104 . ’

Les fondations se succéderont en 1821, en Basse-Louisiane ; en 1825, dans la région des Opelousas, à Saint-Michel et à Bayou-la-Fourche en 1828 ; puis, de nouveau, dans la région du Missouri, à Saint-Louis en 1827 et à Saint-Charles en 1828.

Un manuscrit de 34 pages, appartenant à cette série des récits de fondation, recense les établissements existant en 1827. Il est intitulé :

‘« Commencement
de la Société du Sacré-Cœur de Jésus
en l'année 1801 ». ’

Une note finale en mentionne le destinataire. « Ce cahier, mis au net, a été envoyé au cardinal protecteur de notre Société en 1827, avec l'extrait des arrêtés du Conseil Général de 1826 et 1827 » 105 . Il présente un bref historique de chaque établissement, accompagné d'un « état des lieux », à la date de rédaction. Il semble avoir été rédigé par Mme Bigeu mais il est écrit par Henriette Ducis.

En 1826, la population scolaire atteint les chiffres suivants :

Maison Ouverture pensionnaires écolières
Amiens 1801 100 150
Grenoble 1804 nombreux > 200
Poitiers 1806 75 150
Niort 1808 60 *
Paris 1816 150 *
Beauvais - 50 300
Quimper 1817 * *
Chambéry 1818 50 aucune
St Charles - Missouri - 100 100
Florissant -Louisiane - * *
Lyon la Ferrandière 1819 50 60
Bordeaux - 1ère maison 1821 * *
Opelousas- Louisiane - * *
Le Mans - 50 150
Autun 1822 50 200
Turin 1823 30 *
Besançon - 60 *
Metz 1825 40 nombreux
St. Michel -Louisiane - * *
Bordeaux, 2è maison - * *

* Le chiffre n'est pas précisé.

Certains choix institutionnels peuvent varier en fonction de la demande initiale. Dans la majorité des cas, celle-ci relève de l'évêque du lieu. Mais dans certains cas, elle a été faite par les parents d'élèves ou les notables de la ville. Et, dans quelques cas, il s'agit d'un rattachement congrégationnel.

La dynamique de fondation peut être représentée ainsi :

Cette courbe reflète les effets de la crise traversée par l'Institut, de 1806 à 1815. L'essor est net après la promulgation des Constitutions qui confirment l'identité spirituelle et juridique. La résolution des difficultés s'accompagne d'un regain de vitalité.

Cette extension correspond, à une différence près, à celle des autres congrégations. D'après C. Langlois, au XIXe siècle, « entre la régularité des grands mouvements de fond et les fluctuations à court terme, il est possible de faire place à des infléchissements de durée intermédiaire, et plus particulièrement, durant la période de croissance, à des phases d'accélération qui ne sont pas réductibles simplement au rattrapage après cette crise. Quatre moments d'accélération apparaissent en effet avec netteté : 1805-1809, 1820-1829, 1835-1845 et enfin 1850-1859 »  106 . Le développement des pensionnats des congrégations enseignantes se déploie sous l'Empire et surtout sous la Restauration. Jusqu'en 1850, cette croissance est régulière. Elle s'accélère ensuite durant l'Empire autoritaire, à cause du conservatisme des familles et du contexte favorable assuré par la loi Falloux. Néanmoins, entre 1805 et 1820, les moments d'infléchissement et d'accélération des implantations de la Société du Sacré-Cœur sont inversés, par rapport à la courbe générale. Aucun établissement n'est ouvert entre 1808 et 1815. Par contre, l'angle d'extension devient maximal, entre 1815 et 1820, et se maintient comme tel, entre 1820 et 1826. Le dynamisme institutionnel est manifeste lors de cette deuxième étape de la fondation.

Notes
103.

A.G.S-C., C - IV - 1) FRA : Beauvais.

104.

A M r l'Abbé Perreau, Contocelle le 10 avril 1818, signé Card. Fontana, A.G.S-C., A - II D - b).

105.

Commencement de la Société du Sacré-Cœur de Jésus en l'année 1801, A.G.S-C, A-I, p.33.

106.

C. Langlois, Le catholicisme au féminin, Les congrégations françaises à supérieure générale au XIX e siècle, Quatrième partie, L'enracinement congréganiste, XIII e , La dynamique des recrutements, Cerf, 1984, p. 529.