Chapitre deuxième : Plan d'Etude provisoire à l'usage de la maison d'Amiens

Dès l'ouverture du pensionnat d'Amiens, une impulsion pédagogique est donnée. Au cours de l'année scolaire 1804-1805, deux textes sont élaborés : le Plan d’Etude provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens et le Programme des Exercices de septembre 1805. Ils rendent compte du projet éducatif des commencements de l'Institut. Cette rédaction du Plan d'Etude  145 s'inscrit dans une situation institutionnelle particulière. Comme nous l'avons signalé, en juin 1804 a eu lieu la séparation avec Paccanari et les Dilette de Rome. Mme Barat est alors Supérieure générale de l’Institut. Mais elle continue à assurer les fonctions de Maîtresse générale et de Maîtresse des études du pensionnat. Six mois après, en novembre 1804, elle quitte Amiens pour fonder une deuxième Maison à Grenoble. La raison occasionnelle de la rédaction du premier documentest, vraisemblablement, ce départ précipité. Car Mme Baudemont, nommée Supérieure locale, ne présente pas de compétences pour l'enseignement. La direction pédagogique de l'établissement est alors confiée à Catherine de Charbonnel, arrivée un an auparavant au noviciat, le 15 novembre 1803. Dans cette conjoncture, la rédaction d'un Plan d'Etude est, tout à la fois, une mesure de prudence et un acte fondateur de la pédagogie des pensionnats.

Mais un fait ne manque pas d’interroger : pourquoi l'existence du  Plan d’Etude provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens est-elle restée ignorée de la tradition vivante de la Société du Sacré-Cœur de Jésus ? C’est en avril 1989, lors de notre première consultation des archives générales, que nous avons découvert le manuscrit. Le transfert de celles-ci, de la Trinité des Monts à la Villa Lante, venait d'être opéré par M-C. Wheeler. Il permettait une nouvelle classification des documents. Et cela, peu après la centralisation des documents primitifs. De cette convergence de faits, relatifs à la restructuration des archives de l’Institut, peut-on inférer que le manuscrit aurait été emporté lors d'une fondation et envoyé à Rome en 1987 ?

Deux indices portent à le croire.

Le premier indice se trouve dans une lettre de Mme Duchesne, adressée le 20 janvier 1830 à Mme Barat. «  Je ne sais pas si le Plan d'Etude est supprimé, mais on ne le connaît ni à St. Michel, ni au grand Coteau, on n'y a que la liste des études propres à chaque classe; on fait donc comme on veut ! Au Coteau, un jour, le soir on ne fait que lire, l'autre que l'arithmétique, l'autre que la géographie. Je n'ai moi-même qu'un très vieux Plan d'Etude et demande depuis longtemps s'il est réformé ou non ». Ce « très vieux Plan d'Etude » serait-il le Plan d'Etude provisoire à l'usage de la Maison d'Amiens ? Secrétaire générale de 1815 à 1818, Philippine Duchesne a pu avoir connaissance de ce manuscrit, non utilisé, et l'avoir emporté lors de son départ pour la Louisiane, en février 1818. Par suite, le texte a pu être archivé dans une province des Etats-Unis. Cette hypothèse est vraisemblable mais nous n'avons pu, jusqu'ici, la vérifier.

Le second indice est l'état de vétusté du document. En le comparant à d’autres cahiers, de même époque, de même taille et de même parchemin, le constat est immédiat : ce manuscrit a été maintes et maintes fois transporté, consulté. Il n'est pas besoin d'une expertise pour s'en rendre compte. La couverture est déchirée, la couleur délavée. Les pages sont écornées. Par contre, d'autres documents, datés de 1804 à 1806, ont relativement bien gardé leur couleur primitive, bleu-vert pâle  146 . Ce qui permet de mieux estimer l'usure du Plan d'Etude provisoire à l'usage de la Maison d'Amiens. Cependant, si ces deux indices constituent des traces textuelles intéressantes, ils ne suffisent pas pour fonder une interprétation. Reste le fait, peu compréhensible, qu'aucune référence n'a été faite à ce document primitif, avant 1990. Néanmoins le second indice fait rebondir le questionnement. En effet, si ce plan n’était que provisoire comme l’intitulé le laisse entendre, pourquoi le manuscrit est-il si usagé ? Aurait-il servi de base aux textes normatifs ultérieurs ?

Bien des monastères ont été fermés ou même détruits pendant la Révolution. Des congrégations féminines, dont la tradition éducative a fait ses preuves, n'ont pas réouvert leurs pensionnats. A quel modèle ou à quel guide se réfère Mme Barat ? Elle qui a fondé tant d'écoles n'est, en fait, jamais « allée à l'école », la Révolution française étant survenue lorsqu'elle avait à peine dix ans. La formation intellectuelle, reçue de son frère Louis, ne correspond pas au cycle d'études de ces couvents de l'Ancien Régime. Sur quels principes organisationnels la nouvelle supérieure générale fonde-t-elle son système éducatif ?

A cette série de questions répond ce second chapitre qui vise à faire apparaître comment comment les fondateurs ont envisagé de former à l'esprit d'adoration par le plan d'études. Présenter l’intelligibilité du plan fondateur implique de « remonter à l'origine de chaque pièce pour en trouver la raison d'être »  147 , de repérer la tradition éducative à laquelle se réfère le rédacteur. Aussi, après avoir précisé qui est l'auteur du  Plan d’Etude provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens, nous examinerons la composition et les éléments structurels du texte. L'étude conjointe du Programme des Exercices de septembre 1805 permettra de préciser le niveau de l'enseignement dispensé et d'apercevoir la visée ordonnatrice du projet éducatif initial.

Pour identifier l’inspiration pédagogique, le détour par l’étude d'un autre texte élaboré par le même auteur, le Plan d’Etudes pour le Collège-Séminaire de l’Argentière, s'avère nécessaire. Celle-ci entraînera une brève comparaison avec la Ratio studiorum des Jésuites.

Notes
145.

Dans le manuscrit, le mot « étude » est au singulier. Pour cette raison, nous choisissons de réutiliser cette orthographe, lorsqu’il s’agit du texte normatif de la Société du Sacré-Cœur. Le terme recouvre à la fois la manière d’étudier ( l’étude) et les contenus de formation (les études).

146.

Ainsi en est-il de certains documents primitifs, portant une numérotation :

- le plan d'éducation de 1806 (numéro 2) ;

- les Conseil & Conférence pour les affaires du Pensionnat, rédaction de 1806 (document n°3) ;

- les Complimens

- les Chansons approuvées pour le pensionnat des Dames de l'Instruction chrétienne ;

- les "Modèles pour le Pensionnat, tomes 1 et 2" (n° 8), AGSC, D-I.

147.

F. de Dainville, La naissance de l'Humanisme moderne, premier paragraphe de la préface, Slatkine Reprints, Genève, 1969, p. IX.