A l'écoute du plan divin

Quatrième classe
  Plan d'étude (1804) Programme des exercices (1805)
Religion Catéchisme diocésain
Evangile de mémoire
 



Histoire
Histoire sainte de mémoire

Histoire abrégée de la religion, par JB Bossuet :
- de la création jusqu'à l'attente du Christ ;
- de la venue du Christ jusqu'à l'établissement de l'Eglise.
Grammaire fr. Explication jusqu'aux verbes irréguliers exclusivement - Définition de la grammaire. Voyelles et consonnes. Accents.
- Différentes parties du discours. Règles d'accord.
- Conjugaison des verbes.
Arithmétique Le système de numération
Des chiffres romains
Les 4 règles incomplexes
(absent des Exercices)
Fables de la Fontaine les deux premiers livres - Réciter les fables choisies de la Fontaine et des morceaux de poésie.

Comme il est stipulé à l'article II du Chapitre I du Plan d'Etude, le troisième objet d'enseignement (le catéchisme diocésain et l'Evangile) demande une étude particulière. A ce titre, il ne fait pas partie des examens de fin d’année. En revanche, le programme d'histoire sainte est stipulé aux Exercices. Avec l'Histoire de la religion, de J-B. Bossuet, les pensionnaires sont mises à grande école. Cet ouvrage, écrit dans le style du XVIIe siècle, déploie le sens de l'histoire. A cette ampleur de vue s'ajoute le caractère synthétique de la pensée. D'un seul coup d'œil, l'auditeur ou le lecteur est convié à relire le passé humain, de la création à nos jours. Cet ouvrage est écrit pour le Dauphin dont Bossuet est le précepteur. L'intention pédagogique de l'auteur est de montrer que le roi est au service du plan de Dieu.

Ce choix semble indiquer que les premières éducatrices du pensionnat d'Amiens se réfèrent à la pensée pédagogique de Rollin 171 . Car voici la recommandation de l'auteur du Traité des Etudes, au sujet de l'instruction des filles : «ce qui mérite particulièrement toute l'attention dont elles sont capables, ce sont les réflexions admirables de M. Bossuet, évêque de Meaux, dans son Histoire Universelle, ouvrage qui ne peut être trop lu ni trop estimé 172  ». Ainsi, au Plan provisoire de la Maison d'Amiens, Bossuet est-il proposé comme modèle de réflexion. En raison de la puissance de sa pensée, il est mis sur le même plan que Cicéron. Ce dernier avait fait une synthèse de la philosophie grecque, à la portée des Romains. Dans l'abrégé de "l'Histoire de la religion", Bossuet dévoile une autre source de sagesse : pour un monde et un peuple marqués par l'ignorance et l'idolâtrie, la source de salut est Jésus-Christ, venu accomplir la restauration de l'Alliance de Dieu et de l'humanité. L'Eglise a pour mission de poursuivre cette tâche. Telle est, en effet, l'idée directrice de l'ouvrage.

Avec l'Histoire sainte, la seconde matière estimée essentielle, en quatrième classe, est la grammaire française. Le programme correspond aux deux rubriques du plan d'études : "définition de la grammaire" et "parties du discours". L'enseignement notionnel va de la définition aux éléments phoniques du langage. Par la distinction établie entre "l'emploi de l'y et de l'h", se perçoit l'héritage de la grammaire grecque. L’apprentissage des distinctions entre les "voyelles longues et brèves" est finalisé à la prosodie. Il en est de même pour l'étude des accents  173 . Quant à la division des parties du discours (le nom, l'adjectif, l'article, le verbe et le pronom), elle est calquée sur la grammaire latine. En conjugaison, les distinctions sont établies entre les nombres, les temps et les modes.

Ainsi à la fin de la quatrième classe, deux fondements sont posés. En langue française, les notions essentielles de la grammaire ont été abordées. Par l'abrégé d’Histoire sainte sont donnés le sens de la religion et celui de l’histoire humaine. L'idée directrice du Cours d’étude est explicitée. Et par sa vue d’ensemble, ce type d'enseignement apprend à distinguer l'essentiel de l'accessoire. Cela permet d’aborder, aux classes suivantes, la construction d'un programme détaillé, selon des approches diversifiées : la chronologie, l'étude approfondie de quelques moments historiques et la géographie générale.

Troisième classe
  Plan d'étude (1804) Programme des exercices (1805)

Religion

Catéchisme diocésain
Evangile, de mémoire

Histoire sainte


Histoire ecclésiastique


- Partie historique:
Reprise de l'Ancien Testament avec développement de certains faits.
De la naissance de Jésus-Christ jusqu'aux premières persécutions.
- Partie dogmatique :
Les vertus théologales. Le credo. Les sacrements.
Grammaire française Explication jusqu'aux remarques exclusivement


Genre épistolaire
- Reprise approfondie de :
la syntaxe ;
la conjugaison des verbes ;
les règles de l'orthographe.
- Exemples.
( absent des exercices)
Arithmétique Le calcul décimal et métrique
les fractions
les trois premières règles complexes
- Premiers principes de la numération.
- Additions et soustractions.
Histoire
Abrégé chronologique de l'histoire ancienne

(et si possible l'histoire romaine)
- Chronologie:
Etude de la terminologie.
Abrégé chronologique de l'histoire ancienne depuis la création du monde jusqu'à la naissance de Jésus-Christ.
- Histoire ancienne : Egyptiens, Babyloniens, Assyriens, Perses.
- Histoire grecque jusqu'à la mort d’Alexandre le Grand.
Littérature Genre épistolaire
Esther
Fables de la Fontaine ( Livres 3 -4)
 
Géographie Suivre le troisième ou le second cours - Géographie astronomique :
Premières observations faites dans le ciel.
De la sphère et du globe terrestre.
Problèmes à résoudre au moyen du globe terrestre.

- Géographie physique et politique :
Terminologie. Continents. Mers.
Religions du monde. Etats et Gouvernements. Langues. Races.
Etude appliquée aux quatre continents.
- Cartographie.

En troisième classe, le programme d'histoire comprend la chronologie et l'abrégé de l'histoire ancienne. L’enseignement commence par l'étude de la terminologie utilisée pour calculer l'écoulement du temps, selon des référentiels différents. Ainsi en est-il de l'ère, du cadran solaire ou de la considération d'une époque, d'un siècle, d'un âge, d'une année, d'un mois, d'un cycle, d'une période, etc... L'examen des "fondements et de la certitude de la chronologie" donne, à cette étude, un caractère presque scientifique.

Pour cet enseignement, il semble que Sophie Barat et J-N. Loriquet se soient également référés à la pensée de Rollin dont voici l'une des recommandations : « Le premier soin que l'on doit apporter dans l'étude de l'histoire, en général, est d'y mettre beaucoup d'ordre et de méthode, afin de pouvoir distinguer nettement les faits, les personnes, les temps, les lieux ; et c'est à quoi peuvent contribuer la chronologie et la géographie, qu'on a raison d'appeler les deux yeux de l'histoire, puisqu'elles y répandent beaucoup de lumière et qu'elles en écartent toute confusion »  174  .

Quant à «  l'Abrégé d'histoire ancienne tant sacrée que profane », il porte uniquement sur l'histoire sainte. Le principe de division en "époques" reprend, sous un terme différent, celui de Rollin  175 . Sont sélectionnés les grands événements propres aux sept époques considérées, ouvrant à des réalités nouvelles. Ce pédagogue distingue aussi trois manières d'étudier l'histoire : l'abrégé, l'analyse et le sommaire.

‘« L'abrégé n'a d'étendue que la quatrième partie de ce que contient ce morceau d'histoire dans son entier ; l'analyse, la huitième partie ; le sommaire, la seizième.
De ces trois sortes d'extrait, précise-t-il, le premier certainement est le plus propre à former l'esprit : mais comme il emporterait beaucoup de temps si l'on voulait extraire ainsi toute l'histoire, on peut le réserver pour certains endroits choisis, et se contenter de l'un des deux autres pour le travail ordinaire.
Cet exercice peut être d'une grande utilité, encore plus pour les garçons que pour les filles, ajoute-t-il, à quelque profession qu'ils soient destinés, et leur apprendra à tirer d'un livre ou d'un traité ce qui s'y trouve d'essentiel sur la matière qui y est traitée, et à le réduire à une juste mesure qui en mette sous les yeux toutes les parties et toutes les preuves"  176 . ’

Pour les jeunes gens comme pour les jeunes filles, l'objectif pédagogique est donc de « former le jugement (...), d'inspirer le goût du vrai et du solide »  177 .

Le sens de la Rédemption par le Christ ayant été donné dans les classes de cinquième et de quatrième, une dramaturgie universelle peut se déployer. Le récit de certains faits, tels que "le déluge et la loi de nature", "la servitude d'Egypte", "le voyage dans le désert", "la captivité à Babylone", s'accompagne de leur explication. Il montre comment l'idolâtrie et son corollaire, l'enfermement, sont brisés par les initiatives divines : l'Alliance ; la venue du Christ ; le don de l'Esprit-Saint à l'Eglise de Pentecôte. Comme le connotent les expressions de "juifs spirituels et charnels", "vocation des gentils"  178 , les références théologiques sont pauliniennes. Le paradigme référentiel est celui de l'Alliance divine.

Estimées aptes à passer du récit à la réflexion, les élèves de troisième classe reçoivent aussi un enseignement dogmatique. Cette initiation théologique présente un modèle de classification qui a perduré jusqu'en 1960 et dont voici le schéma :

ce qu'il faut croire : le Credo.
ce qu'il faut faire : les commandements de Dieu et de l'Eglise.
ce qui aide à le faire : la grâce et les sacrements.

En grammaire française également, on passe de l'essentiel au détail. Après la reprise de la  définition des différentes parties du discours, suit une « énumération des verbes et d'adverbes », ainsi que « l'explication des temps et des modes des verbes ». Sur cet énoncé des notions grammaticales, trois observations peuvent être faites :

L'enseignement de l'arithmétique est élaboré pour l'époque, comme l'indiquent l'étude des notions suivantes : « ce que c'est que l'Arithmétique.- Principe fondamental de la valeur des chiffres et de toute l'Arithmétique.- Premiers principes de la numération »  179  . L’apprentissage ne recourt pas uniquement à des procédés empiriques mais à l'intelligence des définitions et des principes. Les distinctions entre les différents systèmes de numération sont posées : celui des dizaines, venant des Arabes ; celui de la base par douze, héritage des Romains ou de la base par six, reçue des Chinois. La jeune pensionnaire est également examinée sur sa capacité à réaliser les premières opérations : "addition et soustraction simples".

En littérature aussi, la référence implicite au traité de Rollin est manifeste. Le choix du livre d'Esther est dans la ligne pédagogique préconisée par celui-ci. « La lecture des comédies et des tragédies, même de celles qui paraissent n'avoir rien de contraire à la modestie et aux bonnes moeurs, peut être fort dangereuse pour cet âge,estime Rollin. Car, outre que cette lecture conduit presque infailliblement au désir de les voir représenter par des acteurs qui y ajoutent de l'âme et de la vie, l'imagination vive des jeunes personnes saisit avidement tout ce qui flatte les sens et qui est favorable à la cupidité ; et presque tout la réveille dans ces sortes de poésies. Tout ce qui peut faire sentir l'amour, dit M. de Cambrai, plus il est adouci et enveloppé, plus il me paraît dangereux. Les deux tragédies sacrées de Racine, Esther et Athalie, n'ont point ce danger pour les filles, et on peut leur en faire apprendre des endroits choisis » 180 .

Dans la conception de l'enseignement au programme des deux premières classes, l’ouverture à la modernité est manifeste. Le programme d'arithmétique inclut le système métrique adopté par la Convention. Celui d'histoire permet de comprendre les anciennes représentations, tout en ouvrant à un autre système de références. Il se situe à l'aube d'une conception scientifique, à l'articulation de deux siècles.

Notes
171.

Dans le Traité des Études, publié en 1726,Rollin codifie l'enseignement des Collèges (de l'Université). Ses innovations marqueront la pédagogie du XVIII et du XIX siècles :

- réforme de la méthode de lecture ;

- priorité donnée à la langue française, dans les "classes de grammaire" ;

- préférence accordée à la version latine, par rapport au thème ;

- réduction de la mémorisation au profit de la compréhension ;

- simplification des études grammaticales.

172.

Traité des Études,Tome I, chapitre II, De l'éducation des filles, Article II, Des études qui peuvent convenir aux jeunes filles, Librairie Firmin-Didot, Paris, 1877,p.100.

173.

Se profile l'influence de Chateaubriand et celle de la Pléiade se fait aussi sentir, par l'importance accordée aux accents, comme élément pertinent de la langue pour la prose.

174.

De l'histoire, Seconde partie, Chap. premier, Art. II, Idem, Tome II, Livre sixième, p. 239.

175.

"La chronologie (...) est la connaissance du temps où les événements dont il est parlé dans l'histoire sont arrivés. On donnera de même une petite table où seront désignés les six âges qui partagent et renferment toute l'histoire sainte ; et chaque âge sera divisé en un petit nombre d'époques, qu'il sera facile de retenir en les répétant exactement à mesure qu'on avancera dans l'histoire. D'ailleurs il suffit aux jeunes demoiselles de savoir, à quelques années près, le temps où ont vécu les personnes les plus connues, et où sont arrivés les faits les plus mémorables. Il faut bien se garder de charger leur mémoire d'un grand nombre de dates, qui ne serviraient qu'à y jeter du trouble et de la confusion". Ibidem, Tome I, De l'éducation des filles, Article II, Lecture de poètes, musique, danse, p. 89-90.

176.

Ibid., p. 99.

177.

Ibid., p. 91

178.

Annexe 2, p. 411.

179.

Idem, p. 406.

180.

Rollin ,ibid., p.79-80.