A la manière qui nous est familière

Cette répartition des différents exercices d’une unité-classe fait l’objet du chapitre troisième du Plan d’Etude provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens. Elle est exposée dans la quatrième partie du plan d’études du collège de l’Argentière. Dans celui-ci, ce module apparaît comme central. Car y est développée la manière de répartir les différents exercices pédagogiques, au cours de la séquence-classe, matin et soir. Et s'y trouvent réunis, de façon opératoire, les trois paradigmes de l'ouverture du plan d'études :

Quel que soit le niveau (ou gradus), la succession des exercices est la même. En voici le schéma-type :

10 à 15 minutes Récitation des leçons
10 à 15 minutes Lecture
10 à 15 minutes Correction des devoirs
30 minutes Explication ;
donner un devoir

Le matin, s'intercalent quinze minutes d'apprentissage de l'orthographe, entre la lecture et la correction des devoirs. Un autre aspect de cette «  distribution du temps sagement ménagé » est le moment de la journée où ces classes sont situées : à 9 heures le matin ; à 15 heures, l'après-midi. Leur durée est relativement courte : une heure et demie, le matin ; une heure, le soir. Chaque classe est précédée d'une demi-heure d'étude. Elle est suivie, le matin, d'une heure d'écriture ; l'après-midi, de deux heures de travaux manuels.

Cette organisation de la démarche d'apprentissage est, aussi, celle du collège de l'Argentière. En voici la représentation, sélectionnée à partir du tableau comparatif développé ci-dessus :

  1. Première demi-heure : récitation des leçons ;
  2. Seconde et troisième demi-heure : explication des auteurs latins ;
  3. Quatrième demi-heure : correction des devoirs ;
  4. Cinquième demi-heure : donner un devoir.

La durée de la classe est deux fois plus longue, mais le processus est le même. Après la mémoire, l'intelligence est sollicitée. L'explication, reçue du professeur, a été préparée par quelques lectures et la compréhension s'en trouve ainsi facilitée. Quant à l'intégration proprement dite de ce nouveau savoir, elle s'acquiert au moyen de devoirs. En réalisant, par soi-même, soit une carte de géographie ou un poème, soit un livre de comptes ou un résumé d'histoire, l'appropriation des règles est favorisée. Comme l'exprime une terminologie contemporaine, le nouveau "savoir" ou "savoir-faire" peut se transformer en "savoir-être". Tel est, en effet, la caractéristique d'un enseignement de culture. En recevant une nouvelle donnée culturelle, la personne s'en trouve, à la fois, enrichie et transformée si, toutefois, sa manière d'agir en est modifiée, humanisée. Et dans le meilleur des cas, elle est capable de communiquer et de transmettre à d'autres ce qu'elle a elle-même reçu.

Cette visée est celle de la pédagogie jésuite. Avec l’avènement de l’humanisme, une nouvelle organisation du savoir prend forme, rappelle Codina Mir. « La logique et la dialectique, auxquelles tout était soumis, sont enfin évincées, et cèdent le pas à l’ancien idéal que Quintilien avait déjà proposé : l’eloquentia. La rhétorique devient l’art, la science par excellence, le but de toutes les études littéraires. Pour Erasme, comme pour tous ses successeurs, l’étude de la grammaire, du latin, du grec, tout est orienté en vue d’obtenir l’eloquentia. Ce sera aussi l’éloquence que les Jésuites proposeront dans leur Ratio studiorum de 1599 comme le but et le couronnement des études littéraires » 288 . Sous le terme d’éloquence, il ne faut pas seulement entendre l’art de bien parler mais aussi l’accès à la connaissance des réalités spatio-temporelles, en vue de laquelle les différentes disciplines s’ordonnent les unes aux autres.

Or, si l'on en juge par l'étude réalisée par O.Gréart sur "la question des programmes", ce principe fait défaut dans les écoles d'Etat, au XIXe siècle. La vie scolaire y est mal organisée. Pour illustrer ce fait, l’historien recourt à cette caricature de Wilhelm Loewenthal, professeur à l'Académie de Lausanne. « Aujourd'hui, le programme de nos gymnases ressemble à un appartement que le propriétaire n'a pas mis méthodiquement et raisonnablement en harmonie avec ses besoins, mais dans lequel il s'est installé d'après les meubles qu'il a achetés, ou dont il a hérités - vieilleries comprises. L'objet propre du logement passe ainsi peu à peu à l'arrière-plan dans sa pensée ; il finit même par le perdre complètement de vue, si bien qu'un jour vient où il lui faut soit renoncer à toute acquisition nouvelle, soit recourir à toute sorte de déplacements et d'entassements pour fourrer les nouveaux meubles entre les vieux. Arrive-t-il par miracle à trouver un coin, un trou, un intervalle, il se félicite de son esprit de ressource. Cependant l'appartement arrive à être de moins en moins confortable : il devient impossible de s'y mouvoir, d'y respirer, d'y vivre ; ce n'est plus qu'une chambre de décharge. Et voilà l'habitation que nous préparons à la jeunesse! »  289 .Cette image un peu piquante est au diapason de la cacophonie des différents programmes élaborés sous la Constituante et le Concordat. Et l'on comprend pourquoi J-N. Loriquet choisit de recourir aux méthodes qui ont fait leurs preuves.

La manière qui nous est familière détermine, en effet, l'architecture du plan d'Etude provisoire à l’usage de la Maison d'Amiens. Cette manière de procéder intègre certains principes régulant le rythme des exercices d'apprentissage, l'emploi du temps et la manière d'enseigner. L'ordre apparaît, effectivement, sous ces trois paramètres :

  • Le règlement de la journée, appelé « ordre des Exercices » ou « distribution du temps sagement ménagé ».
  • L'ordre s'inscrit dans les matières par la progressivité de l'enseignement. Et lorsqu'il s'applique à son objet principal, la langue, il prend le nom de règle de « démarcation entre les classes ». Il divise le Cycle d'études en autant de degrés nécessaires pour accéder au but visé : penser par soi-même. Ce critère d'admission dans une classe peut donc être qualifié de principe intégrateur du système éducatif.
  • L'ordre est aussi à l'oeuvre dans la manière de procéder en classe. Les exercices ordonnés dans le temps sont ordonnés entre eux, "selon la manière qui nous est familière" : récitations des leçons, correction des devoirs, explication des morceaux choisis et exercices d'application.

Ces trois dimensions, caractéristiques de la manière de procéder, peuvent être représentées par le schéma suivant :

L'ordre s'applique au cadre général de l'établissement, comme à la division des classes ou à la manière d'enseigner. Ce qu'annonçait l'ouverture du Plan d'Etude provisoire de la Maison d'Amiens :«La réussite d’un Plan d’Etude dépend essentiellement de la distribution du temps sagement ménagé, de l’ordre des exercices et de la manière d’enseigner».

Notes
288.

Ibid., p. 84.

289.

Wilhelm Loewenthal, Esquisse de l'hygiène de l'enseignement, Wiesbaden, 1887, cité par O.Gréart, Education et Instruction, Tome 2, Enseignement Secondaire, La Question des Programmes, p.9-10.