Le Plan d’études de 1810

La couverture du manuscrit porte cette mention : « Ce plan d'études, écrit par la Mère Ducis, semble remonter à peu près à 1810, époque où le Règlement du pensionnat fut complété à Amiens sous la direction de Mr l'Abbé de Saint-Estève (cf. le règlement, p.111). Les corrections sont écrites par la Mère Eugénie de Gramont et paraissent être de l'année 1820, parce que ces changements sont précisément ceux qui furent indiqués par le Père Loriquet à la 3e Congrégation générale ». Qu’Henriette Ducis ait écrit le texte va de soi puisqu’elle était secrétaire de la Maison d'Amiens. Mais de quelle tradition relève-t-il ? Comment se manifeste l’influence de Sambucy de Saint-Estève ?

Pour le savoir, procédons à une étude comparative avec le plan d'Etude provisoire, rédigé en 1804 par J-N. Loriquet. Examinons, d’abord, la composition d’ensemble du texte et, ensuite, le cycle d’études. Des variations y apparaissent-elles ? Concernent-elles les principes organisateurs du plan initial ?

PLAN D' ETUDES DE 1804
PLAN D'ETUDES DE 1810
Distribution du temps sagement ménagé
Ordre des exercices
Manière d'enseigner
Ordre des exercices
Distribution du temps sagement ménagé

Ch.1
art 1. DISTRIBUTION DU TEMPS

ORDRE DES EXERCICES
- pour les jours ordinaires
- des dimanches et fêtes
- pour les mercredis, samedis et autres jours de congé

art 2. DIVISION DES CLASSES
art 3. OBJET DE L'ENSEIGNEMENT DANS CHAQUE CLASSE
(5e, 4e, 3e, 1e, classe supérieure)

DIVISION DES CLASSES ET OBJET DE L'ENSEIGNEMENT DANS CHAQUE CLASSE (4e, 3e, 2e, 1e)

Ch.2
DE L'ADMISSION DANS LES CLASSES

OBJET ESSENTIEL DE L'ENSEIGNEMENT ET DEMARCATION DES CLASSES

Ch.3
DISTRIBUTION DU TEMPS DANS CHAQUE CLASSE

DISTRIBUTION DU TEMPS DANS CHAQUE CLASSE ET ORDRE DES MATIERES A TRAITER DANS CHAQUE CLASSE LE MATIN ET LE SOIR

Ch.4
DE LA RECITATION DES LECONS
Ch.5
DE LA CORRECTION DES DEVOIRS
Ch.6
LA LECTURE
Ch.6
GRAMMAIRE FRANCAISE ET ORTHOGRAPHE
Ch.7
ARITHMETIQUE
Ch.8 HISTOIRE
Ch.9 GEOGRAPHIE
Ch.10 LITTERATURE

LA MANIERE DE TRAITER LES DIVERS OBJETS DE L'ENSEIGNEMENT
- Récitation de leçons
- Correction des devoirs faits entre les classes
- Grammaire française et orthographe
- Lecture
- Arithmétique
- Histoire
- Géographie
- Littérature
- Religion
- Arts d'agrément (Dessin, musique, danse)
 
- Répétitions et Compositions
- Observations pour les Maîtresses de classe
 
LIVRES PROPRES A CHAQUE CLASSE
 
SUPPLEMENT AU PLAN D'ETUDE
Classe supérieure

L'unité de chaque texte est assurée par la même inclusion. Dans le plan de 1810, le phénomène de récurrence est repérable aux articles suivants :

  • Division des classes et objet de l'enseignement dans chaque classe ;
  • Supplément au Plan d'Etudes. Classe supérieure.

Comme dans le plan provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens, il porte sur la division du cours d'études, en cinq classes.

Quelques modifications apparaissent, dans la mise en forme du texte : la numérotation des chapitres a disparu ; l'ouverture n'inclut que deux paramètres, «  l'ordre des exercices et la distribution du temps sagement ménagé ». Le troisième paramètre, «  la manière d'enseigner », est renvoyé à la partie proprement didactique. Sa nouvelle formulation, «  Manière de traiter les divers objets de l'enseignement », rend plus intelligible la logique d'exposition du plan d’études et permet de lever une équivoque. Il ne s'agit pas, en effet, de conseils généraux comme le présentaient les Constitutions de la Compagnie de Notre-Dame sous l'intitulé : «  la manière d'enseigner ». Les consignes sont d’ordre didactique.

Les libellés des deux autres paramètres ont également subi une légère variation. La « division des classes » et «  l’objet de l'enseignement dans chaque classe » sont réunis sous un seul article. Le critère d'admission reçoit comme appellation : «  Objet essentiel de l'enseignement et démarcation des classes ». L’énoncé de la partie centrale devient : «  Distribution du temps et ordre des matières à traiter dans chaque classe, le matin et le soir ». Il est plus explicite et s’apparente davantage à la formulation utilisée par J-N. Loriquet pour le plan d’études du Collège-Séminaire de l’Argentière.

Mais aussi et surtout, sont joints quelques compléments. Ainsi, la première partie, intitulée «  Ordre des Exercices » ne renvoie plus au Règlement. Elle présente l'horaire pour «  les jours ordinaires ; les dimanches et fêtes ; et les jours de congé ». Le dernier article, «  Supplément au Plan d'Etudes. Classe Supérieure », est précédé des trois nouveaux éléments, constitutifs de la manière de procéder : «  répétitions et compositions ; observations pour les maîtresses de classe ; bibliographie pour chaque classe ». Le catalogue des livres et manuels permet d’identifier l’espace culturel humaniste auquel se réfère le cours d’études. Toutes ces adjonctions renforcent le caractère ignatien du mode d’enseignement.

L’identité éducative est également confirmée par la présence du critère d’admission dans les classes. La seule variation, à son sujet, porte sur l'expression utilisée : «  règles de la langue française », en place de «  règles de la grammaire ». Si ces deux formulations sont légèrement différentes, le paradigme reste le même. Il s'agit de la culture transmise dans laquelle chaque personne accède à la réflexion et à des formes variées d'engagement mais aussi d'un ensemble de règles à respecter, relevant de l'arbitraire d'une société, favorisant la reproduction de celle-ci. N’est-ce pas ce modèle d’un enseignement de culture, celui des grammairiens, que contestait Condorcet ?

Par contre, un signe de modernité est l’importance accordée à la bonne prononciation de la langue. A l’article sur la didactique de la lecture, cette attention particulière est manifeste. En troisième classe, « on continue à faire lire les élèves tous les jours, et la maîtresse est encore plus exacte que dans la classe précédente à la prononciation correcte. Elle habitue les enfans à reprendre haleine à propos, à observer la prononciation, ne souffrant pas qu’elles coupent les mots par le milieu, qu’elles déclament, qu’elles changent de ton, qu’elles se précipitent, qu’elles conservent un accent vicieux » 305 . Pour sa nièce, Sophie Dussaussoy, Mme Barat y veille particulièrement, comme en témoigne cette lettre adressée à Adrienne Michel, à Doorseele, près de Gand, en 1814 :

‘« J'ai trouvé vos réflexions justes sur Sophie. (....).
J'espérois que ses fréquentes conversations avec vous l'auroient préservée de l'accent et de la mauvaise prononciation flamande. Soignez cette partie, ma chère Adrienne, elle est, après la Religion, la plus importante. Tous les talens qu'elle pourra acquérir lui deviendroient inutiles dans sa Patrie, si elle parle mal sa langue, parce qu'elle ne pourroit les enseigner. Vous pourriez la stimuler en lui disant, qu'elle seroit un sujet de moquerie pour ceux qui l'entendroient et que pour lui éviter ces désagréments, vous exigez qu'elle fasse attention à parler comme vous » 306. ’

Au XIXe siècle, favoriser la connaissance et le bon usage de la langue française permet d’accéder à des échanges intellectuels à travers toute l’Europe. Car la langue de communication est alors le français. En ce sens et sur ce point précis, Sophie Barat peut être qualifiée de « fille des Lumières », selon ces propos extraits de l’Histoire mondiale de l'éducation : « La propagation du français continue d'apparaître comme une nécessité à tout le courant libéral durant le XIXe siècle. (...) Ce que le langage de Barère et de Grégoire peut avoir d'excessif devient alors vérité : c'est le français qui propage les Lumières ; ceux qui en trouvent les effets néfastes deviennent alors partisans des idiomes et ce qui n'était que pratique se mue en principe d'action. L'unité de la langue, d'autre part, semble la meilleure garantie de l'égalité devant l'instruction et devant la loi » 307 . Pour Mme Barat l’étude de la langue française apporte cette solide formation de l'esprit, assurée autrefois par l'étude des auteurs grecs et latins  308 .

Quant à la partie didactique, intitulée : «  Manière de traiter les divers objets de l'enseignement », elle intègre des enseignements non pris en compte en 1804 : l'écriture, la religion et les arts d'agrément, ainsi que deux exercices pédagogiques, les répétitions et les compositions. Toutefois, les indications concernant les arts d'agrément ne sont pas d’ordre pédagogique mais organisationnel :

‘« Les arts d'agrément ne se prennent jamais pendant les heures d'étude, et beaucoup moins encore pendant les heures de classe. On leur sacrifie une partie du tems destiné au travail manuel, ou même le tems de la récréation, à proportion du plus ou moins de facilité de ces arts.
On ne cède pas là-dessus aux vœux des parens, ni même au caprice qu'ils pourroient avoir de demander d'autres maîtres que ceux attachés à la maison, pour peu que l'ordre en fut dérangé ». ’

La norme est donc conjoncturelle, fixée en vue de mettre court à certains abus des parents, de façon à sauvegarder l'essentiel : « la distribution du temps et l'ordre des exercices ».

Voici l’horaire et les prescriptions relatifs aux arts d’agrément : «  Dessin : Toutes les élèves qui le suivent prennent leçon à la même heure fixée et sous le même maître entre 4 h. 30 et 6 heures du soir. Musique : Celles qui le suivent, si c'est le piano, prennent leur leçon tour à tour depuis midi et demie jusqu'à deux heures et demie les jours ordinaires, et plus long tems les jours de congé : de sorte que celles qui n'ont pas pris la leçon un jour la prennent les premières le lendemain. On peut suivre l'ordre alphabétique. On prend encore la leçon de musique, si l'on veut, à la récréation du goûter et jusqu'à 6 h. du soir. Danse : On ne prend les leçons de danse que pendant la récréation, et on n'en prend que ce qui est nécessaire, c'est-à-dire, un mois ou deux, 3 ou 4 »  309 .

L’ensemble de ces modifications ne porte pas atteinte à la structure initiale du plan d'études. Quelques-unes ont même pour effet d’en clarifier la présentation ou de renforcer les correspondances avec le Plan d’Etudes du Collège-Séminaire de l’Argentière. Il est donc peu vraisemblable que l'abbé Sambucy de Saint-Estève en soit le rédacteur. Par contre, l’effort d’explicitation est un indice suggérant que ce soit C. de Charbonnel, l’auteur « des manuscrits clairs et méthodiques, destinés à expliquer les ouvrages trop concis du R.P. Loriquet »  310 . L'impulsion qu’elle donne aux études, à Amiens, fait désirer à Mme Barat que le même service soit rendu à Poitiers  311 . Aussi est-il vraisemblable qu’avant son départ, elle ait rédigé le plan d’études de 1810 , en référence au projet initial.

Toutefois, pour vérifier l’identité de conception avec le Plan d’Etude provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens, procédons à une étude synoptique du cycle d'études. Pour cela, abordons la partie intitulée : « Division des classes et objet de l’enseignement dans chaque classe ». Et, tout d’abord, le premier article, au moyen d’un tableau comparatif. 

Division des classes Le cours d'Etude s'achève en quatre années et se divise en quatre classes dans lesquelles on enseigne graduellement  :
1804 1810

- Lecture du français et du latin
- Ecriture
- Catéchisme diocésain ; Evangile
- (l'Abrégé d'Histoire Sainte de Bossuet n'est pas mentionné mais il est cité à l’art III du chap. 1, Objet de l'Enseignement dans chaque classe.)

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3
4
5

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3
4
5

- Lecture du français et du latin
- Ecriture
- Catéchisme diocésain
- Epître - Evangile
- Abrégé d'Histoire Sainte de Bossuet
- Grammaire française et orthographe
- Arithmétique entière
- Chronologie et l'histoire formant un cours complet
- Géographie générale et historique, la sphère
- Eléments de Littérature
- Mythologie
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7
8

9
10
11
6
7
8
9

10
11
12
- Chronologie
- Histoire formant un cours complet
- Mythologie
- Sphère, géographie générale et historique
- Arithmétique entière
- Grammaire française et l'orthographe
- Eléments de Littérature
- Les ouvrages manuels qui conviennent à des Demoiselles
- Economie Domestique
- Arts d'Agrément
12
13

14
13
14
15
- Dessin, musique et danse
- Ouvrages manuels qui conviennent à des Demoiselles.
- Economie domestique
Tous ces objets, exceptés le second et les trois derniers sont répartis dans les quatre classes.
Quant au troisième qui demande une étude particulière, on l'explique tous les jours dans les cours de Doctrine Chrétienne. Les classes ne suffisent pas non plus pour donner à la géographie l'étendue qu'elle doit avoir ; on s'en occupe encore dans les cours d'étude établis pour cet article. Le cours d'étude est suivi d'un cours d'une ou deux années sous le nom de classe supérieure pour les élèves qui désirent perfectionner leur éducation. Il est précédé d'une 5ème classe pour les enfants qui ne savent pas assez bien lire et écrire pour suivre la 4ème classe.
    Tous ces objets, exceptés le second et les trois derniers sont répartis dans les quatre classes ainsi qu'il suit

Nota
Le cours d'Etude est suivi d'un cours complémentaire d'une ou deux années pour les élèves que l'on désire voir se perfectionner dans quelques parties de l'enseignement.

Trois variations sont facilement repérables :

1°) La cinquième classe est supprimée 312 .

2°) Les mentions concernant le statut particulier du catéchisme, de l'Evangile et de la géographie ne sont pas reportées  313 . Elles sont remplacées par l’expression « ainsi qu'il suit », introduisant directement à l'exposé des objets d'enseignement, dans chaque classe.

3°) L'ordre d'énumération des disciplines est différent : la grammaire française, l'orthographe et l'arithmétique sont renvoyées après la sphère, la géographie générale et historique. La liste se termine par l'économie domestique ; les arts d'agrément étant situés juste après la littérature.

De ces transformations, seule la troisième est pertinente. Elle dénote le passage à un modèle de formation humaniste légèrement différent. Certes, le point de départ est commun à celui de 1804, mais il est suivi d'une disposition spécifique. Le plan initialétait plus proche des grammairiens humanistes où la base de l'édifice consiste en l’étude des auteurs grecs et latins.En 1810, l’ordonnance des matières au programme d’enseignement prend un autre caractère, correspondant davantage à la pensée de Rollin. La chronologie, l'histoire et la mythologie ouvrent sur un enseignement de culture. Déjà, à la fin du XVIIIe, l’étude de l’histoire est devenue un « passage obligé  », nécessaire à toute éducation  314 . Elle est perçue positivement, susceptible de contribuer à la formation de la personnalité, au même titre que l’étude des modèles gréco-latins, pour les grammairiens. Et ce, sous l’influence de Rollin qui estime que « l’étude la plus propre à orner l’esprit des jeunes demoiselles, et même à leur former le cœur, est celle de l’histoire. Elle leur ouvre un vaste champ, qui peut les occuper utilement et agréablement pendant plusieurs années » 315 . Elle permet de relativiser certains événements et, sans dramatiser, d’entrevoir l’éventualité d’autres bouleversements sociaux.

A l'intégration dans l'ordre du temps, par la mémoire du passé culturel, se joint une deuxième dimension qui lui est corrélative, l'espace. Et un espace ouvert, puisque la sphère est nommée avant la géographie générale et historique. L'accès à la culture, à travers ces deux dimensions, ouvre au langage, c’est-à-dire à la capacité de parler avec justesse et persuasion, comme le prône la tradition humaniste. A la littérature succèdent les arts d’agrément. L’énumération s’achève par les travaux manuels et l'économie domestique  316 .

D’autres variations, importantes, concernent le second article de ce chapitre I, intitulé «  objet de l’enseignement dans chaque classe ». Une baisse sensible du niveau des études y apparaît, dès les premières classes :

En quatrième, le programme d’arithmétique est inexistant. L’étude des Fables de La Fontaine est supprimée.

En troisième classe, l’émondage s’accentue. Sont extraits les objets suivants :

- histoire ecclésiastique ;

- histoire romaine ;

- géographie ;

- littérature : genre épistolaire, Esther, Fables de La Fontaine.

- arithmétique : calcul décimal et métrique, fractions, trois premières règles complexes.

Par contre, l’étude du Petit catéchisme de Fleury est ajoutée.

De telles modifications ramènent les études des « basses classes », axées essentiellement sur l’étude de la religion par la mémorisation, à un niveau très élémentaire. Le décalage est moins apparent dans les « hautes classes ».

En seconde, l’histoire ecclésiastique et l’histoire de France ne sont plus à l’étude, le genre historique non plus. Par contre, au programme de littérature est ajoutée l’étude de Boileau et les œuvres de Racine, Athalie et Esther, réapparaissent. L’expression de « langue française » s’ajoute à celles de grammaire et d’orthographe.

En première classe, sont supprimées l’étude de la grammaire et celle du genre poétique. Le programme d’arithmétique intègre les notions de la classe de troisième du Plan provisoire de 1804  317 et la tenue des livres de compte se détaille en calculs d’intérêts, de change, d’alliage et de toise. Quant à celui d’histoire, il comprend : l’histoire ecclésiastique, l’histoire de France et l’histoire moderne. Vient s’y ajouter l’étude de la Doctrine chrétienne de Lhomond. Mais la classe supérieure perd ce qui la caractérisait : l’étude de la rhétorique, de l’histoire naturelle ainsi que l’initiation théologique. Elle se réduit au premier élément inscrit au plan de 1804 : «  revoir ce qui a été étudié dans les autres classes ».

En guise de synthèse de cette étude comparative, deux remarques essentielles peuvent être faites :

- si la culture humaniste est abordée différemment, les principes organisateurs du plan d’études de 1810restent ceux de la Ratio studiorum jésuite ;

- mais les objectifs intellectuels ne sont plus cohérents avec la finalité spirituelle. Le caractère spécifique du plan provisoire de 1804 n’est donc pas maintenu.

Autrement dit, s’effectue un retrait de la visée initiale. Ce qui induit des modifications notoires sur deux points essentiels de la manière de procéder : la gradation et le niveau de l’enseignement. L’activité intellectuelle sollicitée relève plus de la mémorisation que de la réflexion et de l’anticipation produite par l’exercice de la pensée convergente. Le niveau des classes d’humanités a presque disparu et celui de la classe supérieure n’est plus celui d’une propédeutique à la rhétorique et à l’initiation théologique. Le plan d’études semble donc avoir perdu le cap initial : préparer de jeunes intelligences à reconnaître l’action du Christ à l’œuvre dans l’histoire de l’humanité. Le projet primitif est contrecarré.

Ce fait peut recevoir plusieurs significations. Un pas en arrière a été fait. Comme l’indique Henri Boiraud, « si l’on s’en tient à la lettre des traités d’éducation féminine, on est frappé par la référence constante à de très anciennes traditions de sujétion des femmes, qui contredisent les perspectives d’élargissement de leur éducation dans le domaine du savoir. Cette réaction post-révolutionnaire est particulièrement nette en France »  318 . La suppression des matières permettant la réalisation de la visée éducative de l’Idée primordiale, dénote le retour vers une autre conception de l’éducation et une autre représentation de la femme, de ses capacités et de son futur rôle social. S’y reflètent les conflits idéologiques s’exerçant, à la fois, dans la société française et dans la Société du Sacré-Cœur, et, en particulier, la crise institutionnelle fomentée par Saint-Estève s’appuyant surle courant restaurateur de la Maison d’Amiens, en vue de s’imposer comme fondateur d’un Institut auquel il donnerait le nom d’Ursulines unies. Est-ce à cette tradition éducative que se réfère le rédacteur du texte ? Un fait textuel semble le suggérer : un ensemble de règles, à l’usage des différents acteurs de la communauté éducative, est joint au plan d’études. Ces directives éducatives prennent l’allure d’une Ratio qui n’est pas sans évoquer le Coutumier de Paris de 1705, de la Compagnie Sainte Ursule. Aidé de Mme de Charbonnel, ancienne élève de Monistrol, Sambucy de Saint-Estève aurait-il voulu réitérer leur modèle éducatif ? Peut-être.

Mais une autre hypothèse est également vraisemblable : la Compagnie de Notre-Dame, dont les Constitutions ont été à la base de celles de la Société du Sacré-Cœur, a pu servir de référent. Et une troisième hypothèse n’est pas, non plus, à exclure : le traité éducatif de Pierre Fourier a pu servir de guide. Un indice porte à le croire : la finalité sociale du plan d’études de 1810, formulée à l’article de la classe supérieure, se retrouve en termes presque identiques au projet initial de Pierre Fourier et d'Alix Leclerc  319  , à savoir on instruira les filles pour qu'elles soient «  utiles au public », comme mères de famille et maîtresses d’école 320 . En langage moderne, il s’agissait déjà, en répondant à un besoin prioritaire du temps et du lieu, de la promotion de la femme en vue de la transformation de la société. Cette visée sociale est proche de celle du projet éducatif de la Société du Sacré-Cœur. Aussi, pour avancer dans l’identification des héritages, est-il nécessaire d’interroger ces traditions.

Notes
305.

Plan d’études de 1810, manuscrit, A.G.S-C., D I, p.19.

306.

Lettre 28 bis, à Adrienne Michel à Doorseele. Amiens le 4 oct. 1814, A.G.S-C., C I, A I.

307.

PARIAS L-H. (sous la direction de), Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, I.N.R.P., Ed. Labat, Paris, 1988, p. 55. Le contexte est brossé à la page précédente : « Il est une autre question : l'existence des langues, dialectes et patois dans un tiers au moins des départements. Avec la guerre, l'insurrection fédéraliste, le séparatisme corse conduit par Pascal Paoli appuyé sur les Anglais, le désir d'enseigner le français à ceux qui ne le comprennent pas devient volonté « d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française », selon les termes du rapport présenté par Grégoire devant la Convention. Barère, en ce même an II, avait choisi quatre cibles privilégiées : la Basse-Bretagne, la Corse, le Pays Basque et l'Alsace. Les « idiomes » y « ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des patriciens ». Autant de Vendées en puissance qu'il faut détruire en enseignant partout « la plus belle langue de l'Europe », idem, p.54.

308.

Mais elle ne renonce pas pour autant à la culture gréco-romaine, comme l’indiquent les programmes d'histoire et de mythologie, à l’annexe 2, p.415-416.

309.

Plan d'études de 1810, idem, p. 33 à 35.

310.

Comme il a été signalé ci-dessus, p.59.

311.

« Le 30 mai, en 1810, le journal de cette maison signale l'arrivée de la Mère de Charbonnel qui fut aussitôt chargée de la classe des jeunes maîtresses auxquelles elle prodigua son dévouement. A chaque jour, elle assigna une des matières de l'enseignement, afin de la mieux approfondir. Bientôt après, tout en restant Maîtresse des études, elle prit la classe supérieure et l'instruction religieuse », Notice de la Révérende Mère de Charbonnel, Assistante et Econome générale de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, par M. Dufour, Rome, A.G.S-C, p.66.

312.

Elle réapparaît après 1820 où une sixième classe lui sera adjointe pour former ce qui sera appelé « petit pensionnat », l’équivalent d’une Ecole primaire.

313.

« Tous ces objets, excepté le second ( l’écriture) et les trois derniers ( ourages manuels, économie domestique et arts d’agrément) sont répartis dans les quatre classes. Quant au troisième objet ( le catéchisme diocésain, l'Evangile) qui demande une étude particulière, on l'explique tous les jours dans les cours de Doctrine chrétienne.

Les classes ne suffisent pas non plus pour donner à la géographie l'étendue qu'elle doit avoir ; on s'en occupe encore dans les cours établis pour cet article », Plan d’Etude provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens, chapitre 1 er , art. 2, Division des classes », Annexe 1, p. 384.

314.

« Presque personne n’a mis à exécution le plan de M. Rollin, écrivait-on en 1762. Où sont les Collèges où l’on apprenne la langue française par principes ? Où sont ceux où l’on enseigne suffisamment la géographie, l’histoire, la chronologie, la fable ? Où sont ceux où on leur fasse lire assidûment et d’une manière suivie l’Histoire ancienne et l’Histoire romaine, qui n’ont été composées que pour eux ? », Lettre où l’on examine quel plan d’éducation on pourrait suivre dans les écoles publiques, (sans nom d’auteur) , cité par O. Gréard, La question des programmes, ibidem, p. 36.

315.

Rollin, Traité des études, Tome I, II De l’éducation des filles, nouvelle édition revue par M. Latronne, Librairie de Firmin-Didot, Paris, 1877, p. 82.

316.

Ce soin d'intégrer la formation pratique, préparatoire aux responsabilités d'une maîtresse de maison, est aussi un indice supplémentaire qui concourt à attribuer à C. de Carbonnel la rédaction du plan d’études de 1810.

317.

Ce programme porte sur le calcul décimal et les fractions.

318.

Histoire mondiale de l’Education, sous la direction de G. Mialaret et J. Vial, Tome III, de 1815 à 1945, L’évolution de l’éducation féminine, P.U.F., Paris, 1981, p. 254.

319.

L’essentiel du projet de la future Congrégation s’y trouve résumé. Dans l’entourage de l’évêque de Toul, ce premier texte reçut déjà beaucoup d’objections - “Jamais encore on n’avait vu de religieuses enseigner” - et il ne reçut de l’évêque qu’une approbation verbale.

320.

Les vraies Constitutions, Chapitre V, Règlement des Ecolières externes, p. 172.