Quand l’uniformité est au rendez-vous

La lettre circulaire, envoyée à C. de Charbonnel, définit l’objectif de ce troisième Conseil général. Après avoir évoqué le travail réalisé en 1815  428 , l’enjeu d'une révision du plan d’études est ainsi formulé : «  La Société s’étant accrue de quelques nouvelles fondations, et les règlements qui ont été faits dans le temps ayant été augmentés ou diminués selon qu’on le trouvait nécessaire pour le plus grand bien des élèves, sans s’en apercevoir, on a différé sur quelques articles. Et comme un de nos soins le plus chers est de travailler à établir et à conserver l’uniformité dans nos Etablissements, il nous a paru urgent, avant que la Société s’étende davantage, de consolider les maisons déjà établies en réglant tout ce qui pourra contribuer à leur bien tant pour le spirituel que pour le temporel... C’est, en abrégé, ajoute-t-elle, le principal but de la réunion que nous allons convoquer de nouveau avant la sixième année révolue. (...) Le temporel ne sera pas oublié. C’est un des articles essentiels à régler » . Il est demandé de se trouver à Paris vers le 10 ou 12 août au plus tard. Dans cette lettre officielle, écrite par Henriette Ducis et signée de Mme Barat, le but de la convocation anticipée du troisième Conseil général est explicite. Il s’agit essentiellement de garantir l’application uniforme des directives du plan d’études et du règlement des pensionnats. La visée institutionnelle est claire : en consolidant ce qui existe, favoriser l’extension  429 .

Cette détermination s'appuie sur certains faits. Certaines latitudes ont été prises à la Maison d’Amiens, sous le gouvernement de MmeBaudemont, entre autres les permissions de sortie se sont multipliées. Ce qui a entraîné des préjudices scolaires. Et, en 1815, Henriette Grosier se doit d’y remédier afin que le règlement de l’établissement soit «  plus conforme aux autres »  430 . Eugénie de Gramont, alors Maîtresse générale, compose un nouveau règlement pour la Maison d'Amiens. Ce document présente la même reliure que le Plan d’études de 1810 auquel sont jointes des règles particulières. Ce qui signifie qu'il n’est pas conçu comme provisoire. Or, en le comparant au règlement approuvé en 1820  431 , on s'aperçoit, qu'effectivement, «  on a différé sur quelques articles ». Dans d'autres cas, en particulier à la Maison de Paris  432 , des concessions ont été faites aux visites mondaines, au détriment des études  433 . Mais aussi et surtout, les maisons de Beauvais et de Grenoble ont été sollicitées pour appliquer, dans certaines classes, la méthode d’enseignement mutuel.

L’inventeur de ce monitorial system est le Dr Bell, pasteur anglican. En 1798, à Londres, le quaker J. Lancaster la met en pratique dans une école. En 1803, il édite un manuel, Améliorations dans les classes industrielles de la société, où sont présentés les principes de cette nouvelle méthode. Le mode mutuel connaît alors un essor rapide en Angleterre et dans les pays anglophones : Etats-Unis, Canada, Australie, Inde. En 1814, à Paris, est fondée la Société pour l’Instruction élémentaire qui en diffuse rapidement l’efficacité, édite le Manuel pratique de la méthode d’enseignement mutuel  434 . Une école est ouverte sous le patronage de Carnot.

Le préfet de l’Oise, le comte de Germiny, en devient un zèlé promoteur. Il projette de la faire appliquer à l’école gratuite de la Maison du Sacré-Cœur de Beauvais qu’il vient d’acheter. Il en informe courtoisement la Supérieure générale   435 : « Je désire que vous trouviez dans cette acquisition pour laquelle j’ai été secondé avec empressement par M. le maire de Beauvais, la preuve de ma bonne volonté pour un établissement qui mérite à tous égards la protection de l’autorité, et auquel j’accorde la mienne avec justice et plaisir ».Puis il lui communique son intention de faire appliquer le mode mutuel à l’école gratuite, près du pensionnat. « J’avais, Madame, dit-il, l’intention de vous voir à mon dernier voyage à Paris, et je regrette que des occupations multiples m’en aient empêché. Je désirais vous entretenir de l’école d’enseignement mutuel que je me propose de faire établir dans ce local, c’est-à-dire dans celui qui s’y trouve joint. Avant d’arrêter mes idées à cet égard, j’ai dû chercher à recueillir tous les éclaircissements nécessaires sur le régime, la tenue et l’instruction de ces écoles. Mes principes s’accordent parfaitement avec les vôtres sous tous les rapports, et j’ai voulu ne prendre un parti qu’avec une entière connaissance de cause. Je ne crains pas de vous assurer que la nouvelle méthode mérite à tous égards la préférence sur toute autre, et que particulièrement l’enseignement religieux peut y être aussi pur et aussi étendu que dans les maisons les plus régulières. J’ajouterai même que, par la rapidité de cette méthode, les principes religieux peuvent être répandus avec plus de promptitude, qu’ainsi il y a tout avantage à adopter ce genre d’enseignement, dont les formes d’ailleurs sont susceptibles d’être modifiées.

Le Ministre de l’Intérieur que j’ai entretenu de mon projet, a bien voulu l’approuver, et a promis de donner à ce nouvel établissement des preuves de sa protection. Il m’a offert de contribuer par quelques secours à hâter la fondation. J’aurais déjà profité des offres de Son Excellence si, avant de rien entreprendre, je n’avais été désireux de connaître votre avis, et surtout de vous voir approuver ma résolution. Je me flatte qu’après les détails que je viens de vous exposer, et que j’aurais développés plus longuement si j’avais eu l’honneur de vous voir, vous y donnerez votre assentiment. J’attendrai, Madame, que votre détermination me soit connue, pour solliciter de son Excellence, le Ministre de l’Intérieur, le secours qu’il a bien voulu me promettre, et qu’il nous accordera avec empressement  ».

Cette lettre est datée du 1er août 1817. Elle a été précédée, le 25 juin 1817, d’un courrier dont l’auteur, anonyme, connaît les intentions du préfet. Après une critique caricaturale des exercices proposés par la « méthode à la Lancastre », arrivent ces arguments, exprimant ouvertement le combat idéologique 436  :

‘«  Voilà, il faut en convenir, de jeunes filles merveilleusement exercées à toutes sortes de mouvements, moyen infaillible de conserver le maintien timide et réservé qui est l’ornement de leur sexe.
Il est bon, au surplus, que l’on sache qu’avant Bell, Lancaster et Carnot, les Frères des Ecoles chrétiennes pratiquaient tout ce qu’a de vraiment utile l’enseignement mutuel, et qu’ils le pratiquent encore avec une perfection non contestée jusqu’à ce jour. (...)
Assez de réflexions se présentent ici à tout esprit attentif. D’un côté, il serait triste sans doute de voir dédaigner une Institution aussi précieuse pour la Jeunesse, aussi justement accréditée que l’est celle des Frères des Ecoles chrétiennes, de l’autre, comment ne pas se défier du zèle ardent que témoignent pour une méthode, après tout si peu nécessaire, quelques hommes notoirement liés par des habitudes politiques et par des idées libérales fort peu rassurantes ? Il se trouve, nous l’avouons, des personnes estimables qu’une apparence de bien séduit, et qui font nombre parmi les partisans de ce système. Mais, un jour, peut-être, elles déploreront cette nouveauté comme tant d’autres perfides innovations devenues si fatales à notre malheureuse patrie ». ’

Un post-scriptum donne un bref historique de la méthode et exorcise, en ces termes, la propagande préfectorale : « Oui, même en Angleterre, la méthode nouvelle a été puissamment combattue, et principalement pour des considérations morales. Mais, partout, les novateurs, tourmentés d’une espèce de fièvre, remuent ciel et terre. De guerre lasse, on leur cède du terrain, et les regrets viennent quand il n’est plus temps de remédier au mal. M. le Préfet de ..., dans un discours pathétique, nous dit que la méthode à la Lancastre « sera pour la conservation morale de l’espèce humaine, ce qu’est le vaccin pour sa conservation physique. Elle arrachera, selon lui, les deux tiers de la population à une ignorance barbare, elle fera des miracles ». Ce sont ses termes. Attendri jusqu’aux larmes, il invoque « l’autorité souverainement auguste et persuasive de Louis XVI » qui fut si favorable aux découvertes philanthropiques ...Hélas ! Devait-il nous faire souvenir des fruits amers qu’en recueillit cet infortuné monarque ?Elle ne savait que trop lire, cette populace de la capitale si affamée de la lecture des journaux exécrables par lesquels des philanthropes démagogues l’excitaient au meurtre, au régicide. Mais ils ne savaient pas lire, les bons habitants de ces montagnes sauvages, encore heureusement inconnues de la philanthropie, où se réfugiaient les proscrits.

‘M.M. de la Société lancastérienne, établie dans la ville de ****, en face de l’école des Frères, veulent dans chacune de leurs classes un Crucifix, un buste du Roi, mais combien sont-ils qui font leurs Pâques ? Mais plus des trois quarts signèrent, dans les Cent jours, le perpétuel bannissement du Roi et de sa race ... Ils acceptent, disent-ils, les honneurs et les traverses de l’apostolat .....Oh ! les bons apôtres !!! »  437 .. ’

Entre ces deux tendances, Sophie Barat choisit la voie de la prudence et de l’obéissance à l’autorité ecclésiale. Aussi répond-elle négativement à la demande d’assentiment du préfet, avec doigté mais avec fermeté :

‘«  L’intérêt tout spécial que vous daignez accorder à notre établissement de Beauvais, ne m’inspire que plus de désir de seconder autant qu’il dépendra de moi, le zèle du bien public qui vous anime. Ce n‘est donc qu’avec une véritable peine que je me vois dans la nécessité de suspendre jusqu’à nouvel ordre mon consentement à l’enseignement mutuel que vous désirez faire adopter à mes sœurs. Veuillez être bien persuadé, Monsieur, que le devoir seul me prescrit cette réserve qui devient pour moi un sacrifice, depuis que je sais qu’elle est contraire à vos vues. Il m’eût été si doux de concourir avec vous, et sous vos auspices, à un genre de bien, d’autant plus cher à mon cœur, qu’il a pour objet la classe indigente, et qu’il doit se faire gratuitement. Mais les considérations que je vais avoir l’honneur de vous exposer, avec toute le confiance que m’inspire votre Sagesse et vos Lumières, me forcent de refuser, ou au moins de suspendre l’autorisation que vous me demandez.
Ces considérations me paraissent d’un si grand poids, relativement à moi-même et mes sœurs, qu’une seule suffirait pour déterminer notre conduite.
1°) C’est un devoir pour une Société religieuse surtout, de conserver la réputation et l’estime (...). Mais une des choses les plus propres à la discréditer serait l’esprit d’innovation dans son enseignement, à moins qu’une longue expérience n’eût démontré le succès infaillible de ses nouvelles méthodes. Et ce changement lui nuirait d’autant plus, que la méthode qu’elle a suivie jusqu’à présent a obtenu un succès évident et renferme tout ce qu’il y a de meilleur dans la nouvelle méthode.
2°) L’enseignement mutuel approuvé par des personnes éclairées et infiniment respectables a cependant contre lui l’opposition des personnes également respectables. Or, la suite nécessaire de l’adoption de cette méthode serait au moins la diminution du nombre de nos pensionnaires : parce qu’elle nous ôterait de la part des parens la confiance qui les détermine à nous donner leurs enfants. Il suffirait pour cela que nous nous montrassions favorables à un genre d’enseignement qu’ils désapprouvent ou qu’ils n’adoptent pas encore. Ils nous accuseraient de notre trop grande facilité à nous prêter à des méthodes nouvelles, et d’aimer l’innovation. Et vous savez? Monsieur, qu’en matière d’éducation, il n’y a qu’une confiance entière qui détermine le choix des parents.
3°) Une Société religieuse est nécessairement dans la dépendance de l’autorité ecclésiastique pour tout ce qui regarde la morale, la religion et l’éducation proprement dite. Elle ne peut donc sans manquer à ses devoirs les plus sacrés, rien faire sous ce rapport, sans avoir auparavant l’approbation de cette autorité. Mais la nouvelle Méthode a un rapport nécessaire avec la morale et la religion : elle y exerce une influence directe, puisqu’elle a aussi pour objet de les enseigner. Or, jusqu’à présent, M.M. les Evêques de France n’ont point fait connaître qu’ils approuvassent cette méthode. Nous ne saurions donc l’adopter à présent sans nous rendre coupables par là d’une témérité répréhensible, et contraire à nos devoirs comme Religieuses ». ’

Cette réponse est suivie d’autres échanges épistolaires. Dans le premier courrier, le préfet dénonce les fauxpréjugés à l’égard de toute innovation et souligne la nécessaire soumission de l’autorité ecclésiastique au gouvernement. MaisMme Barat ne cède pas : la méthode faisant l’objet d’un trop grand nombre d’oppositions, elle veut attendre l’accord formel de l’épiscopat. En février 1819, elle oppose le même refus à Thérèse Maillucheau, Supérieure de la Maison de Grenoble, pour l’usage qu’en fait le maître de musique 438 . Utiliser la méthode mutuelle entraînerait des préjudices institutionnels conséquents.

Aussi, pour pallier toute innovation, la convocation officielle cible l'application des textes en vigueur. Et pour l’évaluation capitulaire, il est demandé de préparer «  remarques et notes sur les règlements et les usages etc.., l’état de la maison en général pour tout ce qui regarde le nombre de sujets, leurs qualités, etc.. ». Ces bilans doivent servir de base à la concertation en vue de décisions et d'applications communes. L’Institut vient, en effet, de connaître de fortes vicissitudes. Un des moyens choisis pour maintenir l’union entre les Maisons est d’uniformiser le système éducatif. Les Règles particulières des premières maîtresses de classe le stipulaient déjà en 1810 : « Elles ne se permettront jamais aucun changement dans le plan d’éducation ni dans celui des études, et elles les observeront à la lettre, ainsi que le règlement général des Maîtresses et celui des pensionnaires » 439 . Cette recommandation se retrouve dans les Constitutions et les Règles des Dames du Sacré-Cœur  440 .

Cette façon de voir, héritée des siècles précédents, est commune à cette époque où l'ordre et l'uniformité sont estimés nécessaires au bon fonctionnement de toute entreprise. D. Julia souligne ce trait de civilisation, au XVIIIe siècle, en rapportant ces propos du président Rolland d'Erceville, commissaire chargé des collèges dans le ressort du Parlement de Paris :

« L'uniformité dans l'enseignement, et surtout dans celui que l'on reçoit dans sa plus tendre jeunesse peut seule opérer l'uniformité dans les moeurs, dans les coutumes et dans les usages, dont la diversité est quelquefois si nuisible aux projets les mieux combinés... Une administration sage ménage jusqu'aux préjugés des hommes, et le bien lui-même peut devenir une injustice, s'il se fait par des moyens violents et illégitimes ». Le 13 mai 1768, le parlementaire présente aux Chambres assemblées un rapport sur le « plan d'étude à suivre dans les collèges non dépendants des universités ». «Rien n'est plus désirable dans une monarchie que l'uniformité; et que, par conséquent, si l'autorité ne doit pas contraindre les hommes d'y revenir, elle doit les y ramener par tous les moyens qui sont conciliables avec la liberté légitime des peuples. Or, de tous ces moyens il n'en est point qui puisse produire plus sûrement son effet qu'une éducation commune, qui répande partout les mêmes principes et les mêmes lumières »  441 . La conviction n'offre pas d'alternative car « l’uniformité du système d’enseignement est le seul moyen de susciter l’amour de la patrie ». Dominique Julia constate aussi que « plus on avance dans le siècle, plus cette nécessité d'une uniformisation est présentée par les auteurs de plans d'éducation comme la mesure la plus adéquate pour forger un sentiment national, former les citoyens d'une même patrie et résister à la surenchère des propositions que l'éclatement du consensus autour des contenus à enseigner a fait naître »  442 .

Cette conception partagée par les Congrégations religieuses s’exprime, parfois, de manière un peu sectaire. A titre d'exemple, cette critique du Père Corbin, de la Congrégation de la Doctrine chrétienne, ancien principal de l'école royale militaire de La Flèche :

« Le premier vice de l'éducation publique, celui qu'on peut regarder comme la source de tous les autres, c'est que tout y est livré à l'arbitraire des instituteurs : aucune loi, aucun plan, ne les assujettit à suivre la marche la plus raisonnable et la plus utile de leurs élèves, réprouve-t-il en 1789. Dans une profession où il est si facile et si dangereux de s'égarer, où mille routes différentes aboutissent à des précipices, il est permis au premier venu de suivre celle qu'il lui plaît de choisir. Le gouvernement, qui a toujours eu un si grand intérêt à ce que les écoles publiques fussent réglées par des lois sages et assujetties à des méthodes fixes, ne s'en est jamais occupé. Ainsi, tandis que tous les arts, même les moins importants, étaient soumis à une police sévère et surveillés avec le plus grand soin, le premier de tous, celui qui a pour objet de former des hommes, se trouve livré à la merci du premier qui veut s'en emparer, et qui se croit capable d'en remplir les grandes fonctions.

De là, une foule de désordres ! par cela même que la carrière est ouverte à tous ceux qui veulent y entrer, et qu'on leur laisse la liberté de la parcourir à leur gré, chaque instituteur a son plan et sa méthode particulière. De là cette foule de projets d'éducation, dont le public a été inondé, ouvrages de l'imagination de leurs auteurs, et non le fruit de leur expérience, dans lesquels, à l'exemple de l'auteur d'Emile, mais avec incomparablement moins de talent, quelques vues utiles se trouvent perdues dans un amas d'exagérations, d'objets impraticables, de déclamations puériles, d'idées bizarres, fausses, dangereuses »  443 .

Cette recherche de l’uniformité se retrouve dans les codes éducatifs des Instituts féminins, ayant adopté la manière d'enseigner des Jésuites. Ainsi en est-il chez les Ursulines, bien que chaque monastère ait un gouvernement autonome. «  Ce que l’on espère de ce travail est, qu’à l’avenir il n’arrivera plus tant de diversité en l’observance dans les Monastères qui sont en divers évêchés ; Mais que tous suivans un même usage dans une parfaite conformité, et que les Couvens qui pour la différence des Supérieurs et Provinces n’ont eu jusques à présent qu’une association volontaire, s’agrégeront et s’uniront à l’avenir en même observance, pour ne faire plus qu’un même corps »  444 . Aussi est-il recommandé à la règle 25 de la Maîtresse générale, «  elle n’innovera rien d’importance dans les Classes, ny ne changera l’ordre qui y est étably, sans la permission de la Mère Supérieure ; et ne fera non plus entreprendre d’ouvrages de prix, comme paremens d’Autels, et choses semblables, sans sa permission »  445 . Il en est de même pour les écolières : «  les Maîtresses garderont exactement l’ordre étably dans leurs Classes, et ne changeront rien en la Formule des prières prescrites aux Ecolières »  446 .

Il en est de même pour les institutrices de la Congrégation Notre-Dame. Pierre Fourier recommande, en ces termes, d’observer parfaitement la méthode d'enseignement exposée au chapitre XII de la quatrième partie des Constitutions :

‘«  L'intendante des écoles externes prendra pour règles l'article cinquième du chapitre second de la troisième partie : et tout ce qui se dit d'elle, et qui la toûche és chapitres troisième, et quatrième suivans. Et tâchera de bien comprendre tous les autres chapitres jusques au vingtième. Lesquels elle lira souvent, et les examinera, et remarquera si elle entend point dire, ou s’aperçoit point que quelque chose se fasse, ou s’omette par les Sœurs, au préjudice de la parfaite observance d'iceux : afin d'en donner promptement avis à la Supérieure pour y remédier »  447 . ’

C’est donc en référence à une longue tradition que se comprend l’exhortation de J. Varin, faite sur ce thème, à l’ouverture du troisième Conseil général  448 , les 12-13-14 août 1820. Lors de ces journées, le fondateur inscrit le travail de l’assemblée dans la dynamique fondatrice de l’Institut :

‘«  Considérons cette œuvre dans ses trois époques remarquables :
à son commencement,
il y a 5 ans,
et à présent.
La réunion de quelques jeunes personnes, sans fortune, sans expérience, sans protection, a commencé dans l’obscurité sans aucun secours humain. Elle s’est agrandie au milieu des obstacles dans un temps où les opinions de la Révolution française dominaient encore.
A peine avait-elle surmonté les premiers dangers, qu’elle éprouva la secousse la plus dangereuse. Elle fut sapée dans ses fondements. Et lorsqu’il semblait que l’on devait consentir à sa ruine, elle se releva plus forte et plus affirmée de la force et de la puissance du Sacré-Cœur de Jésus.
C’est alors que votre réunion, il y a 5 ans, eut dans la neuvaine au Sacré-Cœur des effets si admirables.
Depuis 5 ans, vous avez remplie votre Mission, et avec quel succès. Combien de personnes se sont réunies à vous et deviennent les Epouses du Cœur de Jésus. Combien de jeunes personnes reçoivent dans vos maisons une éducation. Combien de pauvres filles reçoivent l’instruction nécessaire pour le salut » 449 .’

Dans sa sobriété, cette évocation  450 focalise sur la confiance en l’action du Christ. La deuxième conférence cible le travail à réaliser. Elle reformule ainsi l’objectif de l’assemblée :

« Vous vous êtes réunies pour réparer les brèches. D’où viennent-elles ? Elles peuvent venir ou des Constitutions mêmes, ou des personnes qui les interprètent, ou des circonstances impérieuses. Si les obstacles viennent des personnes, c’est sans doute par zèle et bonne volonté. L’on croit que pour le plus grand bien, on peut faire quelques innovations... l’uniformité est si désirable qu’il faut vous unir pour fixer tout ce qui pourra l’être »  451 . L’uniformité est donc de mise. Et sur ce point, comme pour la pratique des vertus religieuses 452 , le modèle proposé est la Compagnie de Jésus.  Le Père Varin « nous a fait connaître nos obligations, et jetant un coup d’œil rapide sur les vertus pratiquées dans la Compagnie de Jésus, qui doit être notre modèle et qui considère surtout la Ste Pauvreté comme sa mère.

Enfin il nous invitait à régler tous les détails pour établir la parfaite uniformité et se mettre à l’abri de l’arbitraire, et des variations qui suivent de la liberté laissée aux Supérieures, en adoptant un degré d’assujettissement qui soumet la nature, et conserve l’uniformité et la régularité, en ajoutant que dans la Compagnie de Jésus, mille détails étaient fixés, et uniformes dans toutes les maisons » 453

Mais l'expérience montrera bien vite à Mme Barat que cette loi est inapplicable de manière stricte. L’implantation des pensionnats en Piémont et en Louisiane en favorise la prise de conscience, comme l’indique ce courrier écrit, en 1820, à Philippine Duchesne : «  Je comprends très bien, d’après l’exposé que vous me faites , qu’il ne vous est guère possible de suivre le Plan d’études. C’est le cas de faire pour le mieux et de tendre à vous en rapprocher dès que vous le pourrez ».En 1826, la supérieure générale s’exprime de nouveau, en ce sens, dans une lettre adressée à Eugénie Audé, directrice de la Maison de Saint-Michel du Missouri : « Vous pourriez, sans faire imprimer précisément tout le plan d'études, en faire un petit abrégé et le joindre au prospectus et vous pourriez encore prêter à quelques parents le plan entier manuscrit comme nous avons fait en France dans les commencements. Après cela suivez l'avis de la bonne mère Duchêne, elle connoit mieux que moi l'esprit de ce pays et ses avis seront plus conformes à vos besoins et à votre position »  454 . Ainsi, au terme de la période de fondation, Sophie Barat oriente-t-elle délibérément vers une sage adaptation, selon la diversité des mentalités et les besoins éducatifs du pays  455 . L'uniformité perd son caractère de stricte application, stipulé par J. Varin au Conseil général de 1820.

Cette orientation se maintiendra, comme en témoignent deux lettres, vingt ans après. La première est adressée à Eugénie de Gramont, peu avant le Conseil général de 1839. «  Je crois que nous remettrons à plus tard le Plan d'Etude, dit Mme Barat. On posera les bases, puis chaque Royaume développera le sien, car pour nous autres, femmes, il me paraît impossible que ce soit le même universellement ! L'Education des femmes varie selon les nations : dans le nord, c'est le travail des mains; dans le midi, c'est la science; en Italie, la réunion des deux; en Espagne, ce sera la religion et peu de science; puis cela dépend aussi du plus ou du moins de facilité des peuples. Il me paraît donc impossible qu'il y ait dans cet ouvrage une parfaite uniformité, et à notre retour près de vous, nous en chargerons quelques unes des nôtres qui s'y entendent le mieux ».

Parmi ces personnes qualifiées, il y a Aimée d'Avenas, consciente de la nécessité d’une nouvelle rédaction du plan d'études, vingt après la révision et l’adoption du plan fondateur. Elle en fait part à la supérieure générale qui lui répond, à ce sujet, en juillet 1839. «  Quant à vos idées sur le Plan d'Etudes, je ne vois que nous puissions nous en occuper cette fois. Je n'ai guère de science au Conseil. Puis ce serait trop long à discuter. Je reverrai les matériaux, remarques, réflexions, et à mon retour en France je les ferai achever puis examiner.

Nous passerons encore l'année 1840 avec nos traditions et nos essais, puis nous arrêterons (les décisions); impossible d'ailleurs d'adopter une parfaite uniformité partout. Les bases posées, il faudra impérieusement admettre des modifications dans les divers Pays où nous serons » 456 . Quelles sont ces bases auxquelles il est fait allusion ?

A cette question répond, cent ans après, Janet Stuart, cinquième supérieure générale de l’Institut. « La Bienheureuse Fondatrice rédigea elle-même le premier programme des études, avec le concours de ses conseillères et de quelques Jésuites expérimentés qui donnèrent des conférences dans les différentes maisons. Mais elle ne considéra jamais ce qui avait été fait alors comme une œuvre définitive, et plusieurs fois pendant son gouvernement, le plan fut remis entre les mains de personnes compétentes qui y apportèrent des modifications, révisées ensuite par la Bienheureuse. Le cadre primitif a toujours été conservé, car, avec sa pierre angulaire de connaissances religieuses et ses bases d'éléments de philosophie, il est adaptable à tout genre d'édifice bâti sur ses fondations » 457 .

Sans anticiper la deuxième partie de notre réflexion, il est bon de souligner cette remarque. Ces deux éléments associés, la pierre angulaire doctrinale et les bases philosophiques, se présentent comme spécifiques. Ils peuvent être qualifiés de conditions de possibilité de toute transformation faite en fidélité au plan fondateur. Il en est de même pour l’adaptation aux différentes cultures. Cet élément, présent dans la culture éducative des commencements  458 , est dans l’esprit de la Ratio studiorum jésuite  459 .

Notes
428.

« En réglant à cette époque les intérêts les plus pressants et les plus essentiels (...), le temps ne nous permit pas alors d’embrasser tous les détails. Et beaucoup d’articles importants restèrent en arrière. Nous ne pûmes surtout régler définitivement ce qui concernait les Pensionnats », Lettre de convocation au chapitre général, A.G.S-C, p.1.

429.

De 1801 à 1820, 15 pensionnats ont été ouverts. Philippine est arrivée en 1818, à St. Louis-Missouri. De 1820 à 1830, 16 autres Maisons d’éducation sont fondées. En 1865, à la mort de la fondatrice, l’Institut comptera 89 maisons réparties en : Italie (5), France (44), Belgique, Hollande et Prusse (5), Angleterre et Irlande (4), Espagne (3), Pologne (2), Amérique du Nord (23) et Amérique du Sud-Chili (3).

430.

Journal d’Amiens, A.S-C. F., p.48.

431.

Le réglement porte la signature de J-N. Loriquet.

432.

Mais cette recommandation sera difficilement respectée, à l’Hôtel Biron. Les visites officielles viendront trop souvent interrompre le cours des classes.

433.

Pour maintenir un rythme de journée favorisant le travail scolaire, J. Varin recommande de « ne pas changer l’ordre de journée pour se rapprocher des heures du monde, ni pour le lever et le coucher, ni pour les repas », Interventions de J. Varin au Conseil général de 1820, ibid., 3 e cahier.

434.

Le Manuel pratique de la méthode d’enseignement mutuel a été imprimé à Paris, chez Colas, libraire de la Société pour l’Instruction élémentaire, rue du Palais Bourbon.

435.

Cette lettre et une autre intervention, restée anonyme, illustrent les conflits idéologiques entre libéraux et ultramontains. C’est pourquoi nous choisissons de les retranscrire, ainsi que la réponse de S. Barat, A.S-C. F, B. 01.

436.

Comme l’indique Maurice Gontard, «  le clergé catholique soutenu par les ultras s’inquiète de la propagation d’une méthode d’origine anglaise et protestante, en conteste la valeur pédagogique, lui oppose la méthode « simultanée » des Frères des écoles chrétiennes. D’âpres polémiques, puis des conflits scolaires opposent les partisans des deux méthodes. Sous la domination ultra (1820 - 1827) les écoles mutuelles déclinent ; les écoles congréganistes se multiplient. L’enseignement primaire bénéficie de la lutte que se livrent les deux partis ; en nombre comme en qualité les écoles progressent » Histoire mondiale de l’Education, Tome III, de 1815 à 1945, sous la direction de G. Mialaret et J. Vial, P.U.F., Paris, 1981, p. 254.

437.

25 juin 1817, Lettre à la Supérieure d’une Communauté religieuse qui tient des Ecoles de charité et à laquelle on propose d’adopter l’enseignement à la Lancastre, Lettre non signée ( ou dont la signature a été supprimée par la copiste ), A.S-C. F, B. 01.

438.

«  Je ne pensois plus, ma chère fille, à ce que vous m’aviez écrit pour cette méthode de musique, nouvelle, quand la Mère Bigeu m’écrivit qu’elle étoit bien étonnée que vous ayez adopté une Méthode lancastrienne. Comme elle savoit que je m’y étois opposée, elle me demandoit si je l’avois permis. Vous ferez bien de lui en écrire, et vous parlerez en même tems à votre Maître dans le sens que vous m’avez écrit, en lui faisant ôter les ardoises et en le priant de ne point instruire vos enfans selon cette Méthode. Et qu’il le dise partout, à l’occasion cependant », Lettre 91 à Thérèse Maillucheau, Paris, le 13 février 1819, A.G.S-C.

439.

Plan d’Etude de 1810, Règles particulières des premières Maîtresses ou Maîtresses de classe, Règle 3 : Nulle innovation, p. 74.

440.

Règles de la maîtresse des études, Règle 11, Point d’innovation : « Elle tiendra la main à ce qu’il ne se fasse, sur ce point (plan d’études), aucune innovation. Et si elle en aperçoit quelqu’une, elle se hâtera d’en prévenir la Supérieure », ibid., p. 215.

Règles des maîtresses de classe et surveillantes. Règle 9, Exactitude : « Elles seront dans leurs emplois d’une grande exactitude, observant et faisant observer strictement la règle du pensionnat, n’ajoutant rien, ne diminuant rien, n’innovant rien, à moins que pour de bonnes raisons, elles ne demandassent à la Supérieure ou à la maîtresse générale du pensionnat une autorisation expresse », p. 217.  

441.

D. Julia, Les trois couleurs du tableau noir, Paris, Belin, 1981, p. 19-20.

442.

Idem, p.20.

443.

J-B. Corbin, Mémoire sur les principaux objets de l'éducation publique, Paris, s.d., 1789, pp.11-12., cité par D. Julia, idem, p.21. Le P. Corbin, marqué du pessimisme janséniste, est aussi l’auteur du Traité d’éducation civile, morale et religieuse de l’homme à l’usage des élèves du collège royal de la Flèche, Angers, 1787.

444.

Règlemens des Religieuses Ursulines de la Congrégation de Paris, divisés en 3 livres, Première partie, De ce qui concerne l’instruction des petites filles, Première partie, Des pensionnaires, Chap. V., Avertissement, Louis Josse, Paris, 1705, p.8.

445.

Idem, II, Règlement de la Maîtresse générale des classes, p. 20

446.

Ibidem, Deuxième partie, Des Ecolières externes, III, Règlement des maîtresses des Ecolières externes, article 20, p. 165.

447.

Les vrayes Constitutions des Religieuses de la Congrégation Notre-Dame, Chapitre XII, 1694, p. 93.

448.

Le premier Conseil général est celui de 1806 où Sophie Barat a été confirmée comme Supérieure générale. Le second est celui de 1815, qui a adopté et promulgué les Constitutions rédigées par J. Varin et S. Barat, aidés de J. Druilhet. L’Institut reçoit le nom de Société du Sacré-Cœur de Jésus, selon l’intention des fondateurs.

449.

Journal de la Maison de Paris, 1 er cahier, Retraite à Paris, 12 août 1820, 1 er Discours du P. Varin, 13 août 1820, A.G.S-C.

450.

Ce Journal de la Maison de Paris, pendant la réunion du Conseil général, comprend 4 cahiers. Dans le premier et le quatrième sont retranscrits les récits des commencements, évoqués lors de cette ouverture de ce troisième Conseil général. Le quatrième cahier retranscrit la prophétie de Charles Nectoux, à la date du 17 août 1820, idem, p. 1 à 9.

451.

Ibidem, 2e Cahier, 2e Discours du P. Varin, A.G.S-C., p. 7.

452.

«Pendant la retraite, le R.P. de Varin vint nous faire des instructions où régnait éminemment l’amour des vertus chères au Cœur de Jésus. Il nous recommanda un grand esprit de liberté, simplicité et humilité, pour dire franchement et à cœur ouvert tout ce que nous croyons de plus utile pour notre société, soit en améliorant, soit en réformant les abus, et réparant les brêches », Journal de la Maison de Paris pendant la réunion du Conseil général, 3 e cahier, 12 août : ouverture du Conseil, Retaite par J. Varin, A.G.S-C, p.1.

453.

Idem., p.2.

454.

Et elle ajoute ceci : "J'aurois désiré que vous nous eussiez adressé vos remarques et envoyé vos notes pour cette Epoque (le Conseil Général), surtout pour les changements et innovations qui paraissent nécessaires au Pays où vous êtes et à votre position ; ce sera pour le conseil de 1832. Tâchez jusque-là d'écrire et profitez d'une occasion sûre pour nous les envoyer" Lettre 31 à Eugénie Audé, le 28 Mai 1826.

455.

Lettre du 28 mai 1839, A.G.S-C, C-I, A I.

456.

Lettre du 22 juin 1839, A.G.S-C, C-I, A-I.

457.

Janet Stuart, La Société du Sacré-Cœur, Rœhampton, Londres, 1923, p. 88. J. Stuart est aussi l’auteur de L’éducation des jeunes filles catholiques, Paris, 1914.

458.

Cette adaptabilité trouve son fondement théologique dans l’Incarnation du Christ, à l’œuvre dans le développement de l’humanité. Elle fait donc partie intégrante de la spiritualité ignatienne.

459.

La règle 72 du provincial l’exprime ainsi : « En raison de la diversité des régions, des temps et des personnes, il peut y avoir diversité dans l’ordre et dans les heures attribuées à l’étude, aux répétitions, disputes et autres exercices, et de même dans les vacances ; dès lors, si le provincial voit quelque mesure plus utile au progrès des études littéraires dans sa province, il en référera au préposé général, pour que soient prises uniquement les décisions qui tiennent compte de tous les besoins, à condition toutefois qu’elles se rapprochent le plus possible de l’organisation commune de nos études ». Ratio studiorum, Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus, Règles du provincial, édition bilingue latin-français, présentée par A. Demoustier et D. Julia, Paris, Belin, 1997, p.88.