Le plan d'études est excellent

Le plan d’études est jugé si excellent qu'il est conseillé à d'autres Congrégations féminines, les Chanoinesses de St Augustin et la Compagnie de Notre-Dame. Les mémoires du Couvent des Oiseaux   490 relate ce fait. Le transfert de la rue des Bernardins à l’hôtel de Mory rue de Sèvres, le 2 juillet 1818, induit un autre recrutement. Les pensionnaires appartiennent à «  une classe plus distinguée que dans les commencements, et leur éducation demande plus de soins ».L’éducation doit donc s’adapter et la Supérieure se tourne pour cela vers la Société du Sacré-Cœur. « Voyant l’accroissement prodigieux qu’avaient pris dès leur naissance les Dames du Sacré-Cœur et leur succès dans l’éducation de la jeunesse, Mère Marie-Euphrasie avait toujours désiré connaître les moyens qu’elles mettaient en œuvre ». Sur le conseil des Pères Varin et Druilhet, la nouvelle directrice, Mère Marie-Sophie  491 , s’adresse à la Supérieure de la maison d’Amiens. «  Madame Prévost, bien éloignée de ces petites jalousies d’Ordre, trop communes même dans les maisons les plus ferventes, et pourtant si indignes de tout cœur zélé pour la gloire de Dieu, dit qu’elle était charmée de nous rendre ce service. De suite, elle nous confia le règlement du pensionnat, celui des Congrégations, et les deux religieuses qui accompagnaient Notre Mère les copièrent à la hâte. En même temps, Madame Prévost passait près de Notre Mère la plus grande partie du jour, lui expliquant les moyens d’émulation en usage dans les maisons de l’Ordre, et répondant à toutes ses questions. Elle ne s’en tînt pas là ; les années suivantes, 1822 et 1823, elle écrivit à Notre Mère au moment de la distribution des prix et de la première Communion de ses enfants, afin qu’elle fut témoin de ces cérémonies et pût facilement les faire exécuter avec la même pompe et la même ordonnance. Ce fut dans ces différents voyages (au couvent des Chanoinesses de Ham), qu’on acheva de tirer de ces Dames toutes les instructions dont on avait besoin. On avait mis en vigueur, dans l’intervalle, une partie du règlement. On en avait vu l’effet. On exposait les difficultés, et ces dames nous donnaient les moyens d’y remédier. Enfin, nous traitant vraiment en sœurs, elles allèrent jusqu’à nous confier leurs remarques sur quelques abus auxquels les religieuses elles-mêmes avaient pu donner naissance dans leur maison ».

Des modifications sont ainsi apportées à l’horaire quotidien, à la durée de l’année scolaire, au cours d’études et au programme   492 . La classe supérieure est intégrée  493 , les charges honorifiques également  494 . La distinction des classes se fait par la couleur des ceintures, de la sixième à la classe supérieure. Mais ce qui ne laisse pas d’interroger est l’adoption de l’association congréganiste du Sacré-Cœur . En 1823, au couvent des Oiseaux... « la plupart des élèves furent bientôt enrôlées dans la Congrégation du Sacré-Cœur de Rome, et le mois suivant nous pûmes ériger parmi elles une association particulière en l’honneur de cet aimable Cœur. Les membres en étaient pris parmi l’élite des Enfants de Marie ; il leur fallait passer trois mois au moins dans le degré d’aspirantes ; leur réception se faisait par voix de scrutin et au choix des associées. Dix seulement méritèrent l’honneur d’être comme les premières pierres de la fondation qui eut lieu le jour même de la fête du Sacré-Cœur, suivant le rite parisien. (...) A l’issue de la messe, le père Ronsin, ayant fait un discours sur les immenses trésors et les grâces que renferme la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et sur les vertus dont cet aimable cœur nous enseigne la pratique, les associées prononcèrent l’une après l’autre l’acte de Consécration aux Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie en présence de toute la famille réunie, et entre les mains du père Ronsin qui passa ensuite au cou de chacune un ruban auquel était attachée une médaille indulgenciée. Suivit la nomination des charges »   495 .

A la rentrée d’octobre 1823, toute la vie du pensionnat des Oiseaux se trouve ainsi réorganisée : « on commença donc enfin à suivre presqu’en toutes choses le règlement des Dames du Sacré-Cœur » 496 .

Et la relation s’achève par une considération qui ne manque pas d’ingénuité et de sel : « de sorte que nous pouvons dire que c’est en principe à leur complaisance et à leur zèle que la maison doit la considération dont elle jouit aujourd’hui »  497 . La rédactrice devait ignorer que vingt ans auparavant, le même système de vases communiquants avait pu fonctionner dans l’autre sens. Mais les pères Varin et Druilhet n’étaient pas sans le savoir. Leur incitation auprès de la directrice du couvent des Oiseaux, à s’informer du mode d’éducation mis en place à la maison d’Amiens, se comprend sans peine. Mais pourquoi la Mère Sophie s’adresse-t-elle à la maison d’Amiens plutôt qu’à celle de Paris ?

Ce fait peut recevoir plusieurs significations. Les Jésuites pouvaient estimer préférable d’interroger Mme Prévost, une éducatrice des commencements, formée par Sophie Barat alors que Mme de Gramont, directrice du pensionnat de Paris, a été l’émule de Sambucy de Saint-Estève.Une autre raison peut aussi être alléguée, à savoir le manque de disponibilité des religieuses de Paris à un moment où a lieu le déménagement du pensionnat de la rue des Postes à l’hôtel Biron. Quoi qu’il en soit des réelles motivations, pour les Chanoinesses de Saint-Augustin, s’adresser à la Maison d’Amiens, c’est-à-dire au « berceau » de la petite Société du Sacré-Cœur, constituait un retour aux sources de leur pédagogie...

Le plan d’études a dû, aussi, être conseillé à laCompagnie de Notre-Dame. Car F. Soury-Lavergne signale l’existence, « au XIX e , d’un volumineux règlement interne traitant de la façon de mener l'institution éducative ». Or ce document « contient aussi bien le calendrier des fêtes, que le régime des sanctions et récompenses, les mesures de propreté, et des règles pour maîtresses, surveillantes et élèves. Une deuxième partie est intitulée "Plan d'étude". Cet ensemble occupant 164 pages de cahier ne comporte ni date ni indication de lieu ». Grâce à certains indices, en particulier la référence aux oeuvres de Chapsal et d'Achille de Meissas  498 , l'historienne situe la rédaction de ce Règlement général pour les élèves du pensionnat de Notre-Dame » 499 vers 1860. Son introduction est formulée en termes identiques à ceux du Règlement général des pensionnats du Sacré-Cœur de Jésus.

Voici la représentation de ces correspondances :

Règlement à l’usage des élèves
de l’Instruction chrétienne
(1806)
Règlement général des Elèves pensionnaires des maisons de la Société du Sacré-Cœur 500
(1820)
Règlement d'AIbi
Compagnie Notre-Dame
(1860)

Comme l’empire le plus florissant ne peut se soutenir dans la prospérité s’il n’est régi par de bonnes lois qui fixent les devoirs des sujets ; de même, le pensionnat le mieux composé ne peut subsister longtems si les Elèves ne sont soumises à certaines lois sages et raisonnées qui règlent et qui maintiennent la discipline intérieure.

L’Etat le plus florissant ne peut se soutenir dans la prospérité s’il n’est régi par de bonnes lois qui fixent les devoirs des sujets. De même, le pensionnat le mieux composé ne subsisterait pas longtems si les Elèves n’étoient soumises à des règles sages pour maintenir la discipline intérieure   501 .

Comme l'Empire le plus florissant ne peut se soutenir s'il n'est régi par des lois qui déterminent les devoirs des sujets, de même le Pensionnat le mieux composé ne peut subsister longtems si les élèves ne sont soumises à certaines lois sages et raisonnables qui règlent et qui maintiennent la Discipline.

A la dénomination « d'Empire » est substituée celle «  d'Etat », en 1820 ; ce qui correspond à la situation politique du pays. Mais en 1860, sous le second Empire, l’ancien terme réapparaît. Le qualificatif : «  raisonnées », apporté aux «  lois sages », est supprimé. Mais le sens de ce paragraphe introductif reste le même.

Mais surtout, c’est le programme du Règlement d’Albi qui retient notre intérêt. Le tableau récapitulatif  502 , élaboré par F. Soury-Lavergne, permet une comparaison rapide et sériée avec le plan d'études fondateur des pensionnats de la Société du Sacré-Coeur. Le cours d'études s'étend de la 7e à la 1e classe. Les programmes de lecture, grammaire, catéchisme et récits ne sont pas significatifs, d'un point de vue comparatif. Aussi, le tableau ci-contre ne reprend-il que trois matières.

Programme d'enseignement vers 1860
classe Histoire Géographie Littérature

7e classe

Histoire Sainte jusqu'à la 4e époque

Description de la terre

Fable
(1 tous les mois)

6e classe

Toute l'Histoire Sainte

Europe
Division de la France

Les Fables corrigées

5e classe

Histoire ecclésiastique

1re partie de Meissas

1 Fable par mois

4e classe

Histoirere ancienne et Histoire romaine

2e partie de Meissas

Composition de 2 lettres par semaine

3e classe

Histoire de France (résumés)

France
Afrique
2e partie de Meissas

Genre épistolaire
Mme de Sévigné

2e classe

Histoire du Moyen Age dans le précis d'Histoire de l'Eglise

Amérique
Océanie
2e partie de Meissas

Genre de style
Lettres
Narrations historiques

1e classe

Histoire Moderne (résumés)

Géographie sacrée
Beaucoup de cartes

Genre historique-poétique
Règles de la versification

La progressivité est appliquée à l'histoire et à la littérature. En géographie générale, deux variations concernent l'extension du programme. En positif, l'étude inclut tous les continents alors qu'au pensionnat du Sacré-Cœur d'Amiens, en 1805, le programme n'intégrait pas l'Océanie. Inversement, la géographie sphérique ne fait l'objet que de la classe supérieure.

Voici le programme général de cette classe complémentaire :

« Cet ensemble de sept classes se couronnait d'une Classe supérieure dont les connaissances étaient moins précisées mais le paragraphe qui les évoquait montre ce qu'était alors la préoccupation culturelle :

Il n'est pas facile de déterminer l'objet des études de cette classe. Il varie selon le besoin de chacune et l'intention des Parens. Les règles de la grammaire, les principes des langues que les élèves ont apprises, la géographie, l'histoire peuvent les occuper d'une manière utile et agréable. C'est alors qu'elles doivent perfectionner les arts d'agrément qu'elles ont cultivés. Mais l'objet essentiel de cette année, c'est de prendre des notions de philosophie chrétienne puisée dans de bons auteurs qui, en affermissant leur foi, les rendront capables de résister au torrent de la séduction, en entrant dans le monde. On leur fait lire des ouvrages sérieux et instructifs, le court d'histoire de Rollin, d'après Lebeau, Lhomond, etc... Elles apprennent et analyse le Discours sur l'histoire universelle de Bossuet. On leur fait suivre un petit court de logique et d'éloquence. Elles s'occupent de botanique et de sphère, elles résument un ouvrage religieux à leur portée »  503 . Les références bibliographiques sont identiques à celles proposées par J-N. Loriquet, au plan d’études provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens, en 1804. Il en est de même pour la priorité accordée à l’initiation philosophique. Et surtout, par sa forme et son contenu, le Règlement d’Albi est plus proche de celui des pensionnats de la Société du Sacré-Cœur que des Règles de la Compagnie de Notre-Dame, de 1638.

Lors de l’élaboration des Constitutions de la Société du Sacré-Cœur le document de 1722, de la Compagnie de Notre-Dame, a servi de base  504 . Comme en retour, les choix éducatifs novateurs de Sophie Barat et de ses premières compagnes ont pu inspirer le règlement d’Albi. Comme l’indique F. Soury-Lavergne, «  l'élaboration de ce règlement général représentait un travail de réflexion sur le bagage intellectuel nécessaire aux filles de l'époque et sur les moyens appropriés de le faire acquérir. Les perspectives éducatives de la maison d'Albi devaient plus au moins correspondre à ce que les autres maisons s'efforçaient de réaliser »  505 Entre la maison du Sacré-Cœur de Toulouse et celle-ci, une communication de documents a pu avoir lieu et l'influence de certains Jésuites, conseillers des religieuses des deux Instituts, y contribuer. Pour des raisons analogues, sur les recommandations de J. Varin et de J. Druilhet, le couvent des Oiseaux a pu bénéficier des adaptations et des innovations du plan d’études des pensionnats de la Société du Sacré-Cœur. Parce qu’héritiers de la Ratio studiorum, ces pensionnats pouvaient se transmettre aisément comment procéder à l’éducation des filles, à des moments différents de leur histoire.

Notes
490.

Cette appellation vient des volières installées par le statuaire Pigalle, propriétaire de l’hôtel de Mory jusqu’en 1785.

491.

Mère Marie-Sophie s’est fait appeler « Maman Sophie » par les pensionnaires. Est-ce pour distinguer son prénom de celui de la directrice du couvent des Oiseaux que Sophie Barat a signé Madeleine-Sophie et non plus Sophie, comme elle le faisait au début de son généralat ? Une autre question demeure sans réponse : pourquoi les Chanoinesses se sont-elles adressées à Amiens et non pas à la maison de Paris, à l’hôtel Biron ?

492.

« La diversité des exercices dont les plus longs ne passent jamais une heure et demie, contribuait encore à ôter toute monotonie et à rendre le travail plus agréable pour des enfants à qui rien ne plaît tant que le changement », idem, p. 280.

493.

Ibid., p. 279.

494.

« La lecture du nouveau règlement s’était faite au commencement du mois (d’octobre 1823), en présence de toute la famille, mères et enfants rassemblés. Ce qui charma surtout, ce furent tant de diverses charges à l’accomplissement desquelles étaient promises des récompenses particulières, sacristines, trésorières, administratrices des pauvres, bibliothécaires, inspectrices, adjutrices, présidente de chant, archiviste... dont on peut voir l’explication dans le règlement du pensionat. Bon nombre d’élèves se trouvaient ainsi en fonction, ou pouvaient espérer y être à la nouvelle nomination qui suivait la première de quelques mois. Car afin de soutenir l’émulation pour les études comme pour les charges, et pour ne pas remettre à un terme aussi long pour des enfants que celui d’une année, la récompense du zèle et de l’application, on établit tous les quatre mois des petits prix pour la sagesse, l’application et le travail manuel. C’était aussi à cette époque que se faisait la distribution des cordons d’honneur (qui subsistèrent comme sous l’Ancien Régime), ainsi que les récompenses et les nominations des charges », idem, p. 280.

495.

Ibid., p. 257.

496.

Un autre document, Le monastère du Roule, l’atteste également, de façon plus succincte, A.C.N-D., Paris, p. 73.

497.

Mémoires du Couvent des Oiseaux, Archives générales de la Congrégation Notre-Dame, Paris, p. 232-233.

498.

Chapsal, grammairien né à Paris (1788-1858); Achille de Meissas, géographe, né à Gap (1799-1874), cité par F. Soury-Lavergne, note 52, ibidem, p. 333.

499.

« Orientée vers les années 1860-1870 et vers les maisons du midi, la recherche entreprise s 'est arrêtée sur AIbi », ibid., p. 332.

500.

Ce manuscrit est un cahier de 46 pages. Son intitulé,"Règlement des élèves pensionnaires des maisons de la Société du Sacré-Cœur", indique qu'il a été rédigé après 1815. Il expose l'ensemble des règles et des dispositions générales de la vie des élèves pensionnaires. La signature, « A. M. D. G », apposée juste après la conclusion, ne laisse aucune ambiguïté sur le rédacteur. Ce texte est l'œuvre de celui qui a donné une « forme raisonnée » au premier plan d'études de l'Institut. Une adjonction de 5 pages est adressée aux Maîtresses. Les trois premières présentent les modifications apportées à ce règlement par le Conseil général de 1826, selon une suite d'annotations se référant au corps du texte paginé ; les deux dernières pages retranscrivent l'arrêté du 24 novembre 1826 dans son intégralité. Ce dernier élément intitulé « Avis aux maîtresses de classes et surveillantes » est une suite de recommandations et de prescriptions visant essentiellement à améliorer la qualité des études.

501.

Règlement général des Elèves pensionnaires des maisons de la Société du Sacré-Cœur, Préface, p.1.

502.

Ibid., p. 334.

503.

Règlement pour les élèves du pensionnat d'Albi, p.100, cité par F. Soury-Lavergne, ibid, p. 334-335.

504.

Cette remarque est faite par F. Soury-Lavergne, ibid., p. 326.

J. de Charry le souligne à plusieurs reprises dans son livre, Histoire des Constitutions de la Société du Sacré-Cœur. En voici un extrait : « La spiritualité se rapproche de celle des Religieuses de Notre-Dame, ces « moniales ignatiennes » dont les Constitutions ont inspiré la rédaction des Règles des dames de l’Instruction chrétienne », p. 450 ; voir également : note 1, p. 457 et les pages 306 à 310.

505.

Ibid., p.335.