Une simplicité à sauvegarder

Si nous parcourons le livre des Constitutions des Religieuses de Sainte Ursule de la Congrégation de Paris, la finalité sociale de chaque établissement s’y affirme sans équivoque. Le monastère est pensé et organisé en vue de dispenser aux petites filles séculières une bonne éducation chrétienne. Le texte le manifeste dans sa construction elle-même. Il s’ouvre par une première partie intitulée : «  De l’Instruction de la Jeunesse ». La seconde partie développe ce qui est spécifique aux religieuses elles-mêmes : «  Des vœux ; Clôture et autres Constitutions religieuses ». La troisième partie stipule les « devoirs » et charges des personnes responsables de l’établissement ou des différents offices. Et les deux dernières parties portent sur l’organisation du couvent, ordonnée à sa raison d’être, exprimée à l’article 1 du chapitre I : «  Le but et la fin principale des Ursulines étant l’instruction des petites filles séculières en la piété chrétienne, et ès mœurs convenables à leur sexe, (...) disposant pour cet effet toutes les charges et offices »  527 . Cette finalité fait l’objet d’un quatrième vœu, propre à la Congrégation de Paris, en vue d’assurer la stabilité de l’établissement   528 .

La première partie est constituée de deux unités, comme le suggère la table des chapitres  529 :

  • Chap. I De la fin pour laquelle la Religion des Ursulines a été établie, et du 4ème vœu.
  • Chap. II De la perfection et grande union avec Dieu, à laquelle doivent aspirer les Ursulines, pour s’acquitter de leur vocation.
  • Chap. III Quelles considérations doivent avoir présentes les Ursulines, pour supporter avec joye le travail de l’Instruction.
  • Chap. IV Comme elles doivent enseigner
  • Chap. V Des conditions requises aux filles qui doivent être enseignées
  • Chap. VI Ce qu’il faut enseigner aux pensionnaires
  • Chap. VII Du coucher des pensionnaires et du soin que l’on doit avoir de leur nourriture et vêtement
  • Chap.VIII Des filles externes qu’on doit instruire.

La première unité, des chapitres I à IV, exprime la spécificité de la vocation des éducatrices ; la seconde, des chapitres V à VIII, norme l’admission et l’instruction des pensionnaires. La singularité du projet éducatif est ainsi contextualisée : « En ces derniers temps, ausquels l’iniquité abonde et la corruption des mœurs se glisse jusques à la tendre jeunesse » 530 . Dans cette conjoncture, l’initiative d'Angèle de Mérici consiste à répondre au défi lancé par l’Eglise réformée. Elle s'exprime par «  le désir et la résolution de s’employer à l’instruction des petites filles, afin de les aider à conserver la grâce baptismale et à en procurer l’accroissement, fontaine de tous biens »  531 . Telles sont les finalités auxquelles l'action éducative est ordonnée.

Le rite d’accueil d’une pensionnaire le signifie. Dès son arrivée, l’élève est invitée à renouveler son engagement baptismal. Pour cela, les Règlements proposent cette formule :

« Je ..., vous supplie de tout mon cœur, d’accepter l’offre que vous fais aujourd’huy tout de nouveau, de mon estre, de la vie et de toutes mes pensées, paroles et œuvres ; ratifiant et confirmant en présence de votre divine majesté, les promesses qui ont été faites pour moy au saint batesme, de renoncer au diable et à ses œuvres, au monde et à ses pompes et vanitez, et proteste de mourir mille fois plutôt que de me départir jamais un seul moment de la foy que j’y ay receuë, ny de l’observance de vos saints Commandements, en l’accomplissement desquels je suis résolue de vivre et de mourir »  532 . L’engagement est radical : la figure à imiter est celle de Sainte-Ursule, vierge martyre.

Cette charte détermine un objectif éducatif prioritaire, l’indépendance de jugement ou autonomie. Présente en filigranes dans le texte des Constitutions, cette visée prend corps dans les Règlemens, sous plusieurs paramètres : organisation de l’espace, répartition des tâches, choix des matières enseignées et manière d’acquérir certains apprentissages. Le chapitre I du livre premierintroduit à un espace bien ordonné où, à chaque classe, est attribué un local particulier dans lequel s'effectuent les différents exercices, y compris les exercices de piété. Le nombre d'élèves est normé : on n'excédera pas 18 à 20 pensionnaires par groupe-classe. L’autonomie appliquée à l'espace se retrouve au niveau de l’organigramme institutionnel. Elle régule la répartition des différents offices. Ainsi est-il stipulé à l'article 1 du chapitre I du règlement : «  il est nécessaire pour qu'elles s'en puissent bien acquitter ( des différentes tâches), & pour éviter le desordre & la confusion, que la multitude de personnes et d'occupations a coûtume d'apporter, que toutes choses soient bien ordonnées, & que les offices de celles qui y sont employées, soient reglez, en sorte que chacune, sans préjudicier à sa propre perfection, puisse procurer celle des filles qui luy sont commises »  533 .L’ordre est au service d’une éducation qui vise à rester fidèles à l’engagement baptismal. L’objectif éducatif prioritaire est de permettre une relative autonomie de pensée et d’action, dans les limites des responsabilités attribuées aux femmes  534 . Il apparaît comme le principe qui détermine les choix éducatifs :

  • l’enseignement catéchétique permet de fonder une pratique religieuse et de garder intègre l’engagement baptismal ;
  • les autres apprentissages scolaires également : l’accès à la lecture, l’écriture et le calcul donne une première indépendance d’action que parachève l’acquisition de techniques de couture, de coupe et de broderie. Alors, la jeune fille est en mesure de gagner sa vie « honnêtement ».

L’ensemble de la formation prépare à vivre, sans dépendance excessive, les responsabilités de future maîtresse de maison et de mère de famille. Elle vise à maintenir et à développer une certaine autonomie, au sens d’une intégrité de pensée et d’action. Telle est la « forme de vie » à laquelle est préparée une élève de Sainte-Ursule. Déterminée par l’enjeu d’une reconquête catholique, elle reçoit comme modèle la sainte dont l’Institut porte le nom. Comme il a été souligné, le nom d’un Institut porte son identité. Il en est de même pour la Compagnie de Notre-Dame fondée par J. de Lestonnac et pour la Congrégation Notre-Dame d’Alix Leclerc et de Pierre Fourier. Le modèle de vie proposée par ces éducatrices est sans équivoque la figure de Marie. Toutefois, des variations relèvent de l’anthropologie sous-jacente et de la visée éducative, l’une et l’autre induisant une manière de vivre et d’agir spécifique. A quelle manière d’être et d’agir spécifique prépare l’éducation dispensée dans les Maisons de Notre-Dame ?

Notes
527.

Constitutions, chap.I, p.15.

528.

La formulation en est : « vacquer à l’instruction des petites filles séculières », idem, chap.I, p.14. Notons que la Congrégation de Bordeaux ne prononçait pas ce 4ème voeu.

529.

Ibidem, p.39.

530.

Chap.I, art.1, p.12

531.

Ibidem, p.13

532.

Règlemens des Religieuses ursulines de la Congrégation de Paris, Livre premier, De ce qui concerne l’instruction des petites filles, Première partie, Des pensionnaires, IV, p.46.

533.

Idem, p.4.

534.

Limites que connotent avec évidence certains propos appelant une soumission sans l’exercice préalable d’un jugement personnel.