Avec honnêteté, à l’image de Notre-Dame

Le même enjeu ecclésial détermine J. de Lestonnac à fonder un nouvel ordre religieux. Mais une motivation lui est personnelle. La fille de Richard de Lestonnac fait l’expérience, en famille, de la division entre protestants et catholiques. La première historienne de l’Ordre le relate ainsi :  «  La fille de Richard de l estonnac avait certainement reçu dans sa première enfance des impressions venant de sa mère, femme à la fois pénétrée d’humanisme et imbue de la doctrine calviniste » 535 . Ses relations familiales et mondaines lui permirent aussi d’apprécier l’influence que peuvent avoir les femmes sur leur entourage. «  Elle avait vu en effet les «  Dames réformées » disciples de Calvin, se dépenser avec flamme pour répandre leur doctrine (...). Tandis que les hommes renversaient ce qu’il y avait de plus sacré, les femmes tenoient des Conciles et s’érigeoient en Oracles sur tous les points controverse » 536 . Cette expérience, liée à une culture humaniste, la prédispose à entendre un besoin contemporain : «  créer une œuvre dans laquelle des femmes ne craindraient pas de prendre la parole et d’ouvrir les trésors de la connaissance à de futures mères de famille » 537 . L’enseignement des filles lui apparaît comme une œuvre prioritaire.

Un projet de fondation est alors élaboré en plusieurs étapes. Tout d’abord, J. de Lestonnac formule ce constat : « De même que Dieu a choisi des envoyés pour travailler à la santé spirituelle des hommes, aussi n’a-t-il pas négligé la santé spirituelle des femmes (...) il a envoyé jadis Sainte Scholastique, Sainte Claire, Sainte Catherine de Sienne ; et de notre temps la Saine mère Thérèse de Jésus (...).Or, on remarque qu’en plusieurs bonnes villes de ce Royaume de France et particulièrement dans Bordeaux, capitale de la Guyenne, plusieurs filles catholiques sont contraintes d’aller aux écoles des maîtresses hérétiques ». A cette carence, lourde de conséquences, il importe de remédier.

Le projet est ensuite communiqué au Cardinal de Sourdis, le 7 mars 1707, sous cet intitulé : « Abrégé ou forme de l’Institut des Filles religieuses de la Glorieuse Vierge Marie Notre-Dame ». Son urgence est justifiée : « ces jeunes âmes nées pour la vertu sont frustrées d’apprendre ce qu’elles doivent pratiquer le reste de leur vie pour arriver à la gloire et prendre enfin possession de l’héritage du ciel pour lequel elles ont été créées » 538 . Devant les résistances du prélat à souscrire à sa demande, J. de Lestonnac exprime les raisons d’être du futur Institut : « Monseigneur, la gloire de la Sainte Vierge, l’honneur de la vie religieuse et les avantages de la foi chrétienne entrent ensemble dans le dessein que le ciel m’a inspiré, et font toute ma vocation. Si je suis assez heureuse de la remplir, je verrai pour fruits de mes soins les commencements d’un Ordre (...) qui instruira les filles chrétiennes des vérités et des maximes de la foi contre les artifices des hérétiques »  539 . L’enjeu est ciblé, le but de l’Ordre défini  540 .

Dans ce projet, la vierge Marie reçoit une place centrale, celle d’une figure à contempler et à imiter  541 . Si le projet éducatifdes Chanoinesses de Saint-Augustin invite à imiter la discrétion agissante de Notre-Dame pour « annoncer » la miséricorde divine, celui de J. de Lestonnac centre davantage sur l’intériorité et la simplicité qui permettent de répondre de sa Foi avec assurance et de la transmettre. Pour cela, la formation du jugement est nécessaire, l’accès aux Belles Lettres, également. A cet effet, les Quatrains servent d’école de sagesse . En guise d’illustration, retenons celui-ci :

‘« En bonne part ce qu’on dit tu dois prendre,
et l’imparfaict du prochain supporter,
Couvrir sa faute, et ne la rapporter,
Prompt à louer et tardif à reprendre »  542 .’

Ces conseils de civilité préviennent contre l’esprit courtisan, les formes de corruption et d’hypocrisie, exhortent à la liberté dans l’amitié.

L’éthique de la relation, basée sur le respect de l’autre et de soi-même, a comme vertu centrale « l’honnêteté », moyen d’édification de la famille et de la société, garante, à long terme, de la paix sociale. «  Ainsi, parler d'honnêteté comme programme de vie ou d'éducation, c'était poursuivre un objectif à portée morale et sociale tout à la fois »  543 . Mais pour acquérir le sens de ce qui est « digne d’être honoré », acception que reçoit le terme « honnête » dans les documents d’origine, la formation du jugement est requise. Le fondement en est la conscience de la dignité humaine, qui suscite l’humilité et la fierté. Cette capacité à discerner doit se refléter dans le comportement extérieur, caractérisé par une certaine simplicité ou modestie. Les jeunes filles éduquées dans les Maisons de Notre-Dame sont donc invitées à retracer en elles l’image de la Vierge Marie, sous la forme de l’intégrité spirituelle et intellectuelle.

Consacrée aux Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie  544 , la Congrégation de Sainte-Clotilde choisit aussi la figure de Marie comme modèle à contempler et à imiter. L’accent est mis sur la vie intérieure, comme condition requise pour vivre et grandir dans l’union au Christ. Marie en est le guide et le chemin :  «  Vivre comme Marie de la vie de Jésus-Christ. C’est dans ce tabernacle du Fils de Dieu fait homme, qu’il nous faut aller étudier les vertus de Jésus-Christ, nous remplir de son Esprit, apprendre à vivre de sa vie afin de pouvoir dire avec Marie, ces paroles de l’apôtre : «  Je vis, non, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi (Galates, 2, 20) »  545 . Les vertus proposées sont la discrétion et l’attention, évoquées par ces paroles de l’Evangile de Jean : «  Faites tout ce qu’Il vous dira ». La patience dans le courage caractérise cet idéal évangélique.

A quels traits particuliers sont appelées les écolières de Lorraine sous le même patronage ?

Notes
535.

F. Soury-Lavergne, Chemin d’éducation sur les traces de Jeanne de Lestonnac, 1556-1640, C.L.D., Rome, 1984, p.77.

536.

Bouzonnie, supra, idem, H. I. O., p.8. Cité par F. Soury-Lavergne, idem, p.79.

537.

Ibid., p. 80.

538.

Documents d’Origine, p. 25. Ibidem, p. 136.

539.

Bouzonnie, ibidem, H. I. O., p.68. Cité par F. Soury-Lavergne, ibid, p. 136.

540.

La formule d’engagement des religieuses l’exprime en ces termes :

« se consacrer entierement au sainct service de Nostre Seigneur Iesus-Christ sous le nom, l’invocation, l’exemple & la protection de sa tres-chere & tres digne Mere la bien-heureuse Vierge Marie, pour au moyen de son aide & sacrée intercession instruire sans en demander salaire les petites filles à la piété & perfection de vie & bonnes mœurs, à lire & escrire, & à travailler à diverses sortes d’ouvrages honnestes ».

541.

En finale de son étude de l’institution, fondée à Bordeaux en 1608, F. Soury-Lavergne l’exprime en ces termes : « Il semble en effet que des finalités aux moindres actions éducatives, on retrouve la même vision de la personnalité féminine, la même volonté de la développer et de l’affermir dans sa mission religieuse et sociale. L’unité apparaît dans les structures qui sont complémentaires les unes des autres, dans les responsabilités coordonnées avec sagesse, comme dans la physionomie mariale d’un Institut qui se plaît à tout lire dans la globalité du mystère de Notre-Dame » , ibid., p. 255.

542.

Pibrac, Les Quatrains, traduit en français par Choquat, Paris, 1562, p. 23. Cité par F. Soury-Lavergne, ibid., p.228.

543.

Ibid., p. 62.

544.

La Société du Sacré-Cœur est aussi consacrée au Cœur de Marie, comme le stipule ainsi le Sommaire des Constitutions, rédigé par le Père Varin, en 1820 : « Le culte de Marie étant dans les desseins de Dieu et dans la pratique constante de l’Eglise inséparable de celui de son divin Fils, la Société du sacré-Cœur de Jésus sera donc aussi consacrée au sant Cour de Marie et à la propagation de son culte », Constitutions de la Société du Sacré-Cœur, Sommaire, première partie, Fin et esprit de la Société, idem, p. 139. Mais la finalité est la gloire du Cœur du Christ. La formation des élèves en découle (voir ci-après, p. 206 à 216.

545.

Constitutions primitives, De l’esprit de la Société, cité dans Congrégation de Sainte-Clotilde, Règle de vie, (extraits),p. 11.