Le schème de la rencontre

Cette transformation d’un élément fondamental des représentations institutionnelles n’est pas unique ou isolée. Le fameux principe d’uniformité est, lui aussi, battu en brèche. « Quant aux règlements particuliers, le principe de l’unité de la société, fondée sur le Cor Unum, n’est pas l’uniformité, mais l’unité dans la diversité, affirme la vicairie de Washington » 618 . De même, le rapport institution-société subit un véritable renversement : de centripète il devient centrifuge. Il ne s’agit plus uniquement de faire venir les jeunes à l’intérieur du couvent mais il importe d’aller vers eux, d’être présentes à leur monde et à celui des déshérités. A ce sujet, un fait textuel est significatif : le terme de rencontre n’est utilisé que deux fois dans l’ensemble des synthèses constituant un document de 142 pages, au sujet des jeunes et de la misère du monde 619 . Et dans l’un et l’autre cas, c’est pour constater un dysfonctionnement institutionnel : la rencontre n’a pas lieu. «  NOUS NE CONNAISSONS PAS LE MONDE OU EVOLUENT LES JEUNES, nous parlons une langue différente de la leur, est-il déploré ; nous ne les rencontrons pas » 620 . Quant à «  la misère du monde : il ne suffit pas de la connaître abstraitement, il faut en étudier les causes ; il faut la rencontrer pratiquement », remarquent judicieusement plusieurs rapports (Chicago, Sarria, New York, St. Louis, Pologne, Mexique, Pérou...). Quelques moyens sont alors nommés : «  participer aux colonies de vacances, aux campagnes d’alphabétisation, aux campagnes de la FAO ; visites des quartiers pauvres, participation aux organisations sociales, etc... » La liste, tout en restant ouverte, situe nettement le lieu del’intervention éducative hors les murs du couvent. Le schème de la rencontre préside au nouveau rapport à établir avec les jeunes et les déshérités.

Avec l’élaboration de ces nouveaux schèmes missionnaires : rencontre - unité dans la diversité des tâches - dialectique de la proximité et de la distance, c’est tout un système de références qui est bousculé, déplacé, engagé dans une refondation, quinze ans avant même l’élaboration des nouvelles Constitutions. Quelques axes d’un nouveau système éducatif s’y profilent déjà :

  1. - « ouverture à la vie politique et à la vie internationale Sont cités les rapports des vicairies de "Pologne, Mexique, Chamartin, Belgique, Colombie", Synthèse n°III. Information sur la condition et la vie des hommes aujourd'hui,ibidem, p.2. ;
  2. - promotion de la femme Il est précisé : " reconnaître l'importance du rôle qu'elle est appelée à jouer aujourd'hui dans la vie professionnelle, publique et internationale." Sont cités les rapports des vicairies de "St.Louis, Chicago, Washington, Allemagne, Belgique",ibid., p.2. ;
  3. - socialisation : formation à la relation Sont cités les rapports des vicairies de "Argentine-Uruguay, Brésil, Chili, Pologne, Madrid, St.Louis, Chicago, Washington", ibid., p.2. ;
  4. - importance des sciences, de la technique et des arts »Sont cités les rapports des vicairies de "Washington, Chicago, Belgique, Grenoble, Argentine-Uruguay",ibid., p.2..

Ils sont portés par une conceptionconciliaire de la personnehumaine. Des valeurs sont sélectionnées : la dignité de la personne, la solidarité, la responsabilité, la compétence, la droiture et la justice, la loyauté, l’accueil et le dialogue  625 .

Comme l’y invite le document conciliaire Gaudium et Spes 626 , le respect de la dignité de la personne humaine doit s’exprimer à l’égard de tous, «  sans faire de distinction entre les classes sociales 627 . Cette proposition est unanime et touche les changements à apporter à la fois aux mentalités et aux choix institutionnels. Ces deux paramètres étant étroitement liés, ils sont inclus dans un même article intitulé : «  Elargir nos orientations apostoliques ».

A « l’ouverture à tous sans distinction, en renonçant résolument à tout particularisme », fait suite une demande massive exposée en ces termes :

  1. - « supprimer l’esprit de classe qui demeure encore dans plusieurs de nos Collèges un réel et douloureux contre-témoignage ;
  2. -  ouvrir les portes à tous les niveaux de classes sociales, renonçant à une certaine conscience « d’être de l’élite », aussi bien pour nous-mêmes que pour nos élèves ;
  3. - « faire disparaître tout triomphalisme. L’attitude suffisante de beaucoup de nos enfants et anciennes vis-à-vis de celles qui n’ont pas eu le « privilège» d’une éducation au Sacré-Cœur attire de tristes commentaires ;
  4. -  que soit supprimé de nos Constitutions tout ce qui sent la discrimination de classe ; que les pauvres ne soient pas considérés comme une catégorie à part ;
  5. - adapter la règle des Maîtresses des pauvres aux œuvres actuelles ».

L’esprit d’élite, inculqué dès l’époque de fondation, est bien vivace. L’étude des Instructions du Père Druilhet en a fait apparaître certaines raisons : cette mentalité est liée aux représentations missionnaires. Par quels moyens les éducatrices vont-elles réussir à s’en déprendre ou à s’en éloigner ?

Notes
618.

Le rapport ajoute ceci : " donc, éviter une formulation de règles là où cela ne semble pas nécessaire, et s'éloigner de l'idée de la vie religieuse conçue comme une structure qui serait la même dans tous les détails et en toute situation », VIII Discipline religieuse, Clôture, ibid., p.2.

619.

Information sur la condition et la vie des hommes aujourd'hui, Rapport n° III, ibid., p.1 et 3.

620.

La citation est prise dans le rapport de la vicairie de Paris-Egypte mais il est spécifié qu'elle rejoint les remarques de plusieurs vicairies. Rapport III, ibid., p.1.

625.

Sont cités les rapports des vicairies de "Grenoble, Pologne, Chamartin, St.Louis, Chicago, Washington, Sydney, Puerto Rico,, Belgique, Angleterre, Tokyo, Mexique". doc.cité, p.2.

626.

Gaudium et Spes, Ch.1.

627.

Rapport n° III, Information sur la condition et la vie des hommes aujourd'hui, p.2.