Lorsque la figure brise les images

Un an plus tard, une circulaire collective réintroduit la figure de cette pionnière. L’enjeu n’est pas moindre. Certains membres se sont engagés dans une double impasse : la fixation à un passé révolu d’une part, l’impatience inquiète d’autre part 637 . M-J Bultó commence sa lettre en soulignant l’importance des voyages en vue « d’une meilleure compréhension mutuelle et d’une plus réelle unité dans la diversité ». De cette manière, elle introduit le problème sans toutefois l’aborder de front. Opérant alors une sorte de détour, elle évoque une découverte, faite au cours de la visite du pensionnat de Saint-Charles-Missouri, à savoir «  l’actualité étonnante du message de la Mère Duchesne ». Orientant ainsi le regard des lectrices vers Philippine, elle focalise sur ce qui unissait l’intrépide missionnaire à la Supérieure générale : un même désir de « faire connaître l’amour du Cœur du Christ à n’importe quel prix », quels que soient les obstacles rencontrés. Avec art, l’écriture lie alors les deux vocations missionnaires. Philippine est située comme co-fondatrice au-delà des mers, réalisant ce que Madeleine-Sophie était empêchée de faire à cause «  des devoirs de sa charge ». Par ce retour à la période de fondation en terres nouvelles, sur le schème de l’ouverture sur des horizons inconnus, M-J Bultó fait de Philippine une figure proposée à toutes les religieuses de l’Institut, en cette période de crise sociétaire et ecclésiale.

Cette figure crève le modèle traditionnel, conventuel, où l’uniformité était signe d’unité. Une même mission est devenuele seul fondement de la nouvelle forme d’unité qui se fait jour, l’unité dans la diversité des formes et des lieux d’engagement. L’image de Philippine, «  la femme au coeur de chêne, la femme qui prie toujours, la femme qui s’est usée à être le prochain des autres », est située comme figure de proue. Sa manière d’être, exceptionnelle, est proposée à toutes. Elle indique la voie à suivre pour dépasser les représentations conflictuelles ou les problématiques divergentes, voire les «  incompréhensions qui pourraient conduire à des divisions » 638 . Ainsi, ce qui était en germe, lors de la fondation de l’Institut, brise les fausses images de la fidélité, entraîne par son pouvoir mobilisateur dans une synergie collective de rénovation et de refondation. Une fidélité dynamique  639 supplante une conception nostalgique ou répétitive du passé, pour laquelle l’innovation est perçue comme «  une menace, un danger » 640 . M-J Bultó guide ainsi l’ensemble de l’Institut vers la sortie d’un monde traditionnel, pour l’ouvrir à une modernité marquée par la pluralité, la participation et la co-responsabilité.

Notes
637.

"Chacune cherche le meilleur d’après ses vues : d’une part celles qui, par un vrai souci de fidélité à ce qu’elles identifient avec l’esprit de la Société, réagissant fortement contre toute innovation, y voyant une menace, un danger ; de l’autre, celles qui, pour une adaptation à l’esprit de Vatican II, s’inquiètent - et inquiètent - en voulant des changements violents. Les premières mettent leur amour pour la Société à la garder sous ses formes telle qu’elle a été jusqu’ici ; les secondes pressées par ce même amour et préoccupées de son avenir visent et cherchent à faire une Société dynamique, adaptée aux conditions et aux besoins du monde d’aujourd’hui. Des divergences de vue sont toujours possibles, elles ne doivent pas devenir oppositions" Lettre circulaire du 29.06.1969, ibidem, p.48.

638.

Supra, idem, p.48.

639.

Cette conception rejoint celle que Dom M-G Dubois, ancien père abbé de la Trappe, présente dans son ouvrage Le bonheur en Dieu, Souvenirs et réflexions du père abbé de La Trappe, Avec la collaboration de Michel Damien, Ed. Robert Laffont, Paris, 1995. Dans cet ouvrage, il affirme ceci : "le commencement n'est valide que si l'on accepte de le recommencer sans cesse. Et en ce sens, la vraie fidélité n'est pas relative au passé mais à l'avenir".

640.

Voir, ci-dessus, note 34, p. 226.