Chapitre deuxième : Quand la métaphore se fait vive

En un laps de temps relativement court, le service éducatif de la Société du Sacré-Cœur de Jésus a subi de fortes transformations. En amont, le rapport à la société globale, de centripète, est devenu centrifuge. «  Aller vers » a été le mot d’ordre de la période d’adaptation, avec un nouveau schème missionnaire, celui de la «  rencontre ». Devant «  le champ immense ouvert » et proposé, quels critères décisionnels utiliser ? L’imaginaire collectif est « brouillé ». Un ensemble complexe de facteurs y contribue : la perte de l’humanisme traditionnel, la mondialisation en train de poindre, la crise de civilisation et, en Europe, celle du système éducatif. De plus, le statut de l’enseignement privé est différent selon les pays. Et les contraintes administratives rectorales ou ministérielles entrent parfois en conflit avec les priorités éducatives traditionnelles de l’Institut. Face à ces différentes interpellations, «  la question de la validité » de certains établissements scolaires Congrégationnels est même posée.

Cette nouveauté des modalités institutionnelles et du rapport sociétaire n’est pas sans impact sur les représentations de la symbolique fondamentale. La réexpression de la visée éducative en est un indicateur. Or, cette finalité ordonnatrice n’est-elle pas un critère décisionnel privilégié, en cette étape de refondation de l’Institut ? Elle semble bien avoir fondé le choix des «  Objectifs et critères » de la «  trame » de projet institutionnel, à l’usage des écoles américaines. Aussi, la priorité ne porte-t-elle pas d’abord sur le sens à accorder, aujourd’hui, à «  l’idée primordiale de l’Institut », « former des adoratrices et réparatrices » ? Car la raison d’être de l’Institut, «  glorifier le Cœur du Christ », lui est associée.Mais un consensus est-il envisageable, vu la diversité des panoramas culturels, des modes de vie et des idéologies auxquels participent les religieuses des cinq continents ?Est-il possible d’opter, collectivement, pour une éthique éducationnelle qui puisse fonder les choix et les objectifs institutionnels, quels que soient le projet ou le public concerné ?

Tels sont les enjeux auxquels l’Institut semble confronté, en cette seconde étape de rénovation aboutissant à la réécriture de ses Constitutions. Or, certaines divergences de fond, déjà formulées en 1966, persistent. Et la supérieure générale doit attendre 1981, avant de pouvoir parler de «  guérison de la mémoire collective ». Auparavant, inlassablement, elle invite à «  revenir à la source », «  cette force qui jaillit de notre charisme ». Une telle démarche collective aboutit, au terme de l’étape de refondation, à l’expression biblique du symbole fondateur. Suivre l’évocation de cette pensée à l’œuvre dans les textes, c’est faire «  résonner la valeur des valeurs », entreprendre une démarche qui remonte, effectivement, à une source : la parole qui suscite commencement et recommencements, parce qu’elle est elle-même acte de commencement, seul capable de régénération, de vie vraiment «  nouvelle ».

Dans un premier moment, Vers le fleuve qui prend sa source à l’orient, l’étude des lettres-circulaires de Concepción Camacho montrera comment le dynamisme du charisme Congrégationnel s’exprime de manière privilégiée dans la recontextualisation biblique du symbole fondateur.L’enjeu est réel. Car les déplacements culturels se font au niveau des images, sur le registre de l’affectivité spirituelle où l’énergie individuelle et collective a son tremplin d’énergie vitale et son pouvoir de cohésion sociale. Ce tracé d’élaboration du symbole biblique suit les avancées et les blocages de la démarche collective. Faire voir les effets du libre jeu de la métaphore et de l’éthique, dans un contexte international aux particularités socio-politiques diversifiées, tel sera l’objectif des trois autres moments de notre réflexion.

La visée éducative choisie lors du Chapitre de 1967, former des femmes capables de dialogue et d’engagement en vue de plus de justice sociale, est précisée lors des Chapitres de 1970 et de 1976. Mais elle ne semble pas comprise ; du moins ne reçoit-elle pas l’unanimité.

Dans un second moment, Accomplir toute justice, un bon nombre de textes, situés entre 1970 et 1979, seront interrogés. Et les déplacements de la symbolique Congrégationnelle, aperçus dans l’étude précédente, seront réexaminés sous cet angle. La pertinence de l’interprétation collective prendra alors le nom de refondation.

Le troisième moment, Une guérison de la mémoire collective, accompagnera l’interprétation de la finalité ordonnatrice, liée à l’élaboration du symbole biblique. Lorsque tombe « le voile de l’oubli » s’opère «  la guérison de la mémoire collective ». L’élément du patrimoine qui était occulté, advient alors au jour. Les fondements de l’éthique éducationnelle sont identifiés. La manière de procéder et ses conditions de possibilité sont confirmées. Cela équivaut à réexprimer la raison d’être de l’agir Congrégationnel. De façon concomitante se dessine une nouvelle image identificatrice : le sceau institutionnel traditionnel fait place à un nouveau logo.

Le quatrième moment, A l’école du cœur du Christ, un nouvel «  ordo », montrera pourquoi et comment cette métaphore vive induit une éthique particulière, une certaine manière d’être et d’agir, et quelles en sont les conditions de possibilité.