II.1.2. Un appel commun toujours ancien et toujours nouveau

Le moment est venu d’expliciter ce que nous entendons par «  métaphore vive ». Pourquoi avoir attendu de le faire ? Pour éviter de réduire ce symbole fondateur à une simple image, un accessoire, favorisant la compréhension d’un raisonnement. Lorsqu’elle retrouve le terrain biblique qui lui a donné naissance, la métaphore est bien plus que cela. Son niveau d’expression n’est pas rhétorique mais performatif. Autrement dit, quand la métaphore se fait vive, elle effectue ce qu’elle exprime : la fondation  794 ou la re-fondation de l’Institut.

Certes, le terme « appartient, à l’origine, au vocabulaire technique de la rhétorique et désigne une « figure de signification » par laquelle un mot se trouve recevoir dans une phrase un sens différent de celui qu’il possède dans l’usage courant »   795 . Il « vient du grec metaphora, qui signifie « transport » - au sens matériel comme au sens abstrait ». Dans l’ordre discursif, la définition fait partie du raisonnement lui-même, facilite le dialogue, permet aux interlocuteurs de s’entendre sur la signification des concepts utilisés.Et en ce sens, il importe de se référer à l’étymologie du terme. « Pour Aristote  796 , rappelle J-Y Fouilloux, la métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce, ou d’après le rapport d’analogie ». Le mot « cœur » dans l’expression, aller au cœur des choses, relève bien de ce genre de « transport ». Il en est de même, bien évidemment, avec l’expression « Sacré-Cœur ». Mais les difficultés signalées par J-Y Fouilloux surgissent ici. Car le vocable peut être diversement utilisé, en spiritualité comme en politique. Dans ce cas, le transport est réellement de l’espèce à l’espèce, c’est-à-dire d’une appartenance religieuse à une appartenance politique. Et l’amalgame est alors possible. Ce phénomène a d’ailleurs eu lieu à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle, en France. L’image du Sacré-Cœur évoquait le mouvement royaliste de restauration politique. D’où l’impossibilité, en 1807, de proposer ce nom à l’approbation de Napoléon. L’appellation de « Dames de l’Instruction chrétienne » ne présentait pas cette équivoque. Elle fut donc utilisée dans le décret d’approbation de l’Institut naissant.

En 1967, la difficulté est d’un autre ordre : le rapport d’analogie ne fonctionne plus. L’image réaliste du blason des pensionnats est un signifiant qui occulte le signifié : l’amour miséricordieux de Dieu. Ainsi, l’écart inhérent à la structure métaphorique est colmaté. La contextualisation parodienne et le langage spirituel du 19ème siècle, qui l’accompagne, sont étrangers à la culture des lycéennes et des étudiantes. L’imaginaire n’est donc plus sollicité. La métaphore est morte. Une recontextualisation dans la symbolique biblique s’avère donc nécessaire.

Mais précisément, dans cet usage poétique, remarque J-Y Fouilloux, «  l’essentiel tient cette fois non à la définition formelle de la métaphore mais à son usage ». Ce registre est celui où évolue la métaphore vive. Et vouloir définir le symbole en acte, c’est-à-dire en train de se réaliser, équivaut ni plus ni moins, à le détruire. Il en est de même pour la métaphore en pleine activité dans le langage. En d’autres termes, «  la métaphore existe réellement au moment où on la découvre et non en soi »  797 . Il en est de même pour toute expérience symbolique qui fonde une appartenance. Son expression relève plus de la vie que de la conceptualisation. C’est la raison pour laquelle il importe davantage d’en découvrir l’élaboration dans le mouvement même de l’écriture que de la définir a priori.

Et tel a été notre choix. Car « la métaphore est tout autre chose qu’une figure de rhétorique ; elle est un moyen d’approcher et de retenir la sensation du réel, c’est-à-dire l’événement fugitif au cours duquel nous avons eu un instant le sentiment d’être vraiment au cœur des choses ». Or, c’est précisément à cette place de témoin que nous invite le texte des lettres-circulaires de C.Camacho. Suivre le processus de l’imaginaire dans sa démarche archéologique. Le rejoindre à ce moment précis où il est convoqué à revenir à la source d’une parole, d’une image, d’une intuition fondatrice. Et lorsque l’image rejoint le terreau biblique qui lui a donné naissance, percevoir comment la métaphore devient vive. Aux dires de J-Y Fouilloux, cet enjeu concerne bien le « faire mémoire ». Selon lui, en effet, « nous ne pouvons accéder à la réalité que par elle ; et par elle seule nous pouvons résister à l’oubli »  798 .

Cette élaboration de la métaphore vive est transmise, essentiellement, dans quatre lettres constituant trois ensembles (5 ; 26-37 ; 46), connotant trois moments d’une dynamique de refondation : 1970 à 1976 ; 1976 à 1980 ; 1980 à 1982. Nous focalisons sur cette démarche de recontextualisation biblique du symbole fondateur. La lecture se fera à brève distance du texte, voire minutieuse, pour ne pas laisser échapper ce mouvement à l’œuvre, au cœur de l’imaginaire.

Notes
794.

Cette contextualisation est présente dans les Constitutions de 1815. Voir, en particulier, "le plan abrégé" de la Société du Sacré-Cœur de Jésus.

795.

Encyclopedia Universalis, J-Y Fouilloux, Article : Métaphore, Corpus 15, Paris 1996, p.184-185.

796.

Aristote, la Poétique (1457b)

797.

Idem, p.186.

798.

Ibidem, p.186.