Quand pauvreté rime avec espérance

La nouvelle supérieure générale relit l’expérience collective à partir de ce passage de l’Evangile de Jean  899 .

‘« Jésus vit qu’une grande
foule venait à lui. Il dit à
Philippe : « Où pourrions -
nous acheter du pain pour
les faire manger ? » Il disait
cela pour le mettre à
l’épreuve, car lui-même savait
bien ce qu’il allait faire ».
Jn. 6. 5-6.

A la manière des disciples, «  conscients de leur pauvreté, mais avec élan », des décisions concrètes sont à prendre. La confiance ne semble pas faire défaut en cette période de renouveau où les éducatrices sont, elles aussi, mises à l’épreuve d’inventer, dans la concertation, les moyens qui permettront d’actualiser les «  cinq options ». En revanche, C. Camacho s’attarde sur un autre trait de famille : une attitude de pauvreté. Pour ceux et celles qui se sentent appelés à vivre le charisme d’union et de conformité aux dispositions du Christ, la pauvreté de cœur est estimée fondamentale. La supérieure générale en précise les formes actuelles : le sens de l’internationalité, l’entraide et la réciprocité.

Voici en quels termes elle formule cette recommandation : « La communauté nous donnera aussi l’ouverture au sens international ; c’est notre propre pauvreté qui doit nous ouvrir aux autres. Les communautés ne peuvent tomber dans le narcissisme ; les nations ne peuvent être enfermées en elles-mêmes et suffisantes ; elles ont besoin des autres. Le plus profond dépouillement, c’est celui de sa propre culture. Il faut arriver à cette pauvreté ; nous devons vivre ce sens international, avec le souci d’apprendre des autres et de nous entr’aider »  900 . Et la supérieure générale d’ajouter : « cette ouverture doit être aussi ouverture aux besoins du monde. Nous devons avoir le souci des pays qui souffrent »  901 .

En un nouveau langage vient d’être interprété ce passage du sommaire des Constitutions de 1815 : « quant à la pauvreté, si elles la considèrent dans le cœur de Jésus, elles n’auront pas de peine à s’y affectionner ; se souvenant qu’il a eu tant d’estime et d’amour pour elle qu’il a voulu naître, vivre et mourir en son sein... Que toutes soient intimement persuadées que le véritable esprit de pauvreté est si essentiel à la Société du sacré-Cœur de Jésus que, s’il venait à se perdre, Jésus-Christ ne la reconnaîtrait plus pour lui appartenir, et l’abandonnerait à elle-même, c’est-à-dire à sa ruine prochaine »  902 .

L’esprit de pauvreté est donc constitutif de la spiritualité de l’Institut  903 . Aussi comprenons-nous pourquoi la nouvelle supérieure générale souligne ce trait de famille. Mais elle lui adjoint, aussitôt, cette interprétation : «  car la pauvreté est une même chose avec l’espérance ». Et dans le même mouvement, elle indique où adorer le Dieu vivant : au cœur de la réalité sociale contemporaine. L’adoration et l’espérance se trouvent ainsi associées dans une même dynamique spirituelle. «  C’est à la communauté, dit-elle, à s’ouvrir religieusement à la sécularisation  904 comme à un phénomène qui peut nous amener à vivre davantage en présence de Dieu, et à le rencontrer partout ». Et elle ajoute : «  mais vivre devant la Face de Dieu exige de renoncer aux idoles ». Cette manière d’être implique donc une attitude de discernement.

Ces «  quelques paroles » exprimées par C. Camacho lors de «  la séance de clôture du Chapitre » de 1970, indiquent aussi que la nouvelle forme de vie religieuse est à -venir  905 . Le signe avant-coureur en sera une «  vraie pauvreté », visage de l’espérance. Une espérance qui est ouverture, à l’image du cœur ouvert, disponible et vulnérable comme celui des pauvres. Le sens de cette attitude de pauvreté est, en effet, bien spécifié : se laisser modeler par l’esprit du Christ pour être ouvert à l’appel des frères, être ceux et celles qui partageront le pain et les poissons, devenir ainsi «  des adorateurs en esprit et en vérité ». Une image relative à l’adoration semble déjà, timidement, se substituer à celle qu’évoquait «  l’Idée primordiale » de l’Institut.

De même, « vivre ce sens international, avec le souci d’apprendre des autres et de nous entr’aider » exigera de la patience, du temps, pour prendre corps. Le « processus, ce cheminement qui conduit à une attitude de pauvreté c’est-à-dire d’espérance » sera long. Car la transformation à opérer relève, à la fois, des comportements et de l’imaginaire collectif où les images de supériorité d’une nation sur l’autre ont de vieilles souches. Et, en 1976, le processus est loin d’être achevé. Dans l’évaluation présentée au début de ce Chapitre général, C. Camacho commence par souligner les réalisations faites. Mais « il reste, dit-elle, beaucoup de chemin à parcourir pour que

‘notre solidarité devienne adoration,
notre conversion, espérance,
notre dénonciation, annonce »  906 . ’

Notes
899.

Ce fait se situe, comme en écho, à cette recommandation de M-J Bulto, lors de sa conférence d'ouverture : "Nous devrons interpréter à la lumière de l'Evangile les situations diverses au fur et à mesure qu'eles se présenteront", ibid., p4.

900.

Ibid., p.60

901.

Ibid., p.61.

902.

Constitutions, Société du Sacré-Cœur de Jésus, Sommaire, 339. X., p. 143-144.

903.

Par rapport aux Constitutions de 1815, un déplacement se signale. L'accent est mis, aujourd'hui, sur le dépouillement et la vulnérabilité.

904.

Dans le texte du Chapitre de 1970, un paragraphe est réservé au "discernement des valeurs de la sécularisation". Nous y trouvons ceci : "Le phénomène de la sécularisation est un fait universel et un courant de civilisation qui se manifeste différemment selon les pays. Il entraîne une "désacralisation" progressive de certains aspects de notre vie (maison-habit) qu'on avait confondus parfois avec la réalité profonde de la vie religieuse et qui accentuaient la séparation d'avec le monde", p. 27.

905.

"Nous avons, dit C. Camacho, l'expérience d'une vie religieuse qui vient, elle aussi, à cause de notre renouveau dans une vraie espérance, vraie parce qu'elle est pauvreté", supra, idem, p.60.

906.

Société du Sacré-Cœur, Chapitre 1976, Rome, p.46.