Un mini-projet éducatif, format de poche

Trois ans après, en juin 1979, le message n’est pas plus optimiste. La 35ème circulaire se doit d’expliciter la visée éducative confirmée en janvier lors de l’assemblée des provinciales. «  Quelques unes se demandent, non sans angoisse, et avec le désir d’être fidèles aux directives de la Société, pourquoi la formulation que nous donnons aujourd’hui de notre mission est «  l’éducation pour la justice, dans la foi ». Les parasites culturels, apparus dix ans auparavant, sont toujours vivaces. Aussi, une fois de plus, la supérieure générale retrace le processus d’interprétation, vécu en interaction avec les réalités socio-politiques mondiales.

Elle part du charisme congrégationnel et en montre le nécessaire impact sur la pratique éducative. « Comme Congrégation, dit-elle, nous avons un don, un charisme d’union et de conformité avec le Cœur de Jésus ; c’est un don d’unification, d’intériorisation, de liberté ; et comme tout don que nous recevons, c’est un don pour les autres ». Or, comment celui-ci se manifeste-t-il ? « Nous le rendons visible dans notre manière d’éduquer ; nous le transmettons en éduquant, affirme C.Camacho ». Mais aujourd’hui, précise-t-elle, « nous réalisons cette tâche dans un temps et un monde marqués par l’injustice. L’Eglise nous le rappelle continuellement, et la situation est évidente pour ceux qui ont les yeux et le cœur ouverts. Donc, nous ne pouvons pas aujourd’hui éduquer dans la foi en l’amour de Dieu sans tenir compte de la situation du monde ». L’interpellation est vigoureuse. « La situation est évidente », le raisonnement, logique pour celles qui ont le sens de l’internationalité : pour être fidèle à sa marque d’origine, le service éducatif de la Société du Sacré-Cœur passe nécessairement, aujourd’hui, par un engagement pour la justice et la libération, en vue de permettre à chacun d’accéder à la conscience de son identité et de sa dignité.

Le raisonnement se poursuit en intégrant cette conviction : « la Société a quelque chose à dire au monde, à ce monde déchiré d’où les valeurs humaines sont comme absentes, bien que l’homme continue à les chercher ». Le message à transmettre est alors spécifié. « A ce monde, nous pouvons offrir, avec humilité, en collaboration avec d’autres, la guérison de ses blessures, l’éducation à l’amour et à la responsabilité, conscientes d’en avoir besoin, nous aussi. C’est cela notre mission dans l’Eglise, une éducation basée sur :

‘- la confiance et le respect de chaque homme, « unique et qui ne peut être répété » ;
- la communication humaine, fraternelle et solidaire ;
- la sensibilité envers le monde des pauvres ;
- le sens profond de la véritable adoration » 907 . ’

La qualité de synthèse de l’écriture a pour effet de brosser en quelques lignes, sur contexte international, un mini-projet éducatif, format de poche. Dans une seule phrase sont présentés, tour à tour, le regard à porter sur autrui, les implications que ces attitudes commandent, la finalité à laquelle elles sont ordonnées. Le troisième paramètre de l’acte éducatif, la méthodologie, est dessiné sous la forme d’un objectif : apprendre à communiquer de manière fraternelle et solidaire. Ilouvre ainsi à une pluralité de méthodologies particulières, adaptées aux tâches et aux situations internationales diversifiées. Cet objectif « croise » la visée éducative des origines, «  être capable de communiquer avec aisance et élégance ». Mais l’accent se trouve nettement déplacé. La compétence à acquérir concerne la réciprocité et la solidarité.Les modalités se sont substituées aux règles du genre oratoire. Elles sont d’ordre relationnel et éthique : «  la guérison (des) blessures, l’éducation à l’amour et à la responsabilité ». En langage simple, elles traduisent la visée du plan fondateur : «  former des réparatrices ».

Une manière de procéder vient d’être explicitée. Elle peut, ainsi, être schématisée :

Ce schéma reprend les trois paramètres de l’acte éducatif dont la spécificité est la résultante de l’interaction de ses trois éléments constitutifs : la représentation du sujet, les finalités théologiques et sociales, la méthodologie et les choix institutionnels. Ces derniers identifient les groupes auxquels s’adresse le service éducatif congrégationnel. Et sur ce point, un consensus semble établi. Par contre, les transformations apportées aux deux autres paramètres font encore difficulté. La finalité spirituelle, former au sens de l’adoration du Dieu vivant, reste un élément du patrimoine dont l’interprétation est parasitée par certaines références passéistes. Quant au regard porté sur autrui, il reste entâché de relent d’ethnocentrisme.

Cette dernière opacité n’est pas la moindre. Elle fait obstacle à certaines orientations de 1967 et de 1970, comme à l’adoption d’attitudes éducatives préconisées en 1976 908 .Et il faut attendre juin 1981 pour voir se lever, en même temps, ces deux difficultés. Trouver ou re-trouver «   le sens profond de la véritable adoration » est l’acte collectif par lequel s’opère la guérison de la mémoire. Recevoir l’orientation sociale du service éducatif de provinces autres que d’Europe occidentale devient alors possible.

Notes
907.

Lettre 35, 3.06.1979, ibid.,p.90-91.

908.

La deuxième "attitude en vue de la mission" engageait à "prendre conscience des situations d'injustice où nous sommes impliquées, et chercher la justice avec nos frères". La septième recommandait de se "laisser questionner et compléter par notre internationalité, dans la reconnaissance et le partage".