II. 4. 1. Un espace, le regard où advient la rencontre

Certaines réalités échappent par la surabondance de leur origine, à toute tentative de conceptualisation. Ainsi, en est-il de ce qui est signifié par le charisme congrégationnel, «  l’union et la conformité au Cœur du Christ »  938 , source du regard contemplatifcomme de la «  rencontre ». Ce vocable, «  Cœur du Christ », est un universel sans conceptau sens où l’exprime E. Kant à propos de l’œuvre d’art, dans la Critique du jugement esthétique. Il en est de même pour l’invitation à «  demeurer dans son amour », évoquée dans la cinquième lettre  939 . Toutefois, ces deux expressions indiquent, à elles seules, une dynamique de comportement, des attitudes, des préférences et des priorités institutionnelles, bref, un « secret de famille » dont le paradoxe, comme le langage métaphorique, permet l’évocation.

Utiliser le terme de regard permet d’éviter deux dérives possibles : une conception intimiste de l’union au cœur du Christ et un usage immodéré de cette expression. Seule, bien sûr, l’union au Christ rend possible le regard contemplatif. Ce qui appelle à une certaine pudeur. Car une telle expérience ne fait pas nombre avec les autres. Elle s’en démarque, au contraire, grandement. Elle est de l’ordre de la visitation, comme la qualifie E. Lévinas ; elle est «  la merveille de la Présence venant des hauteurs ». L’exprimer ne peut donc se faire au moyen de mots « usés », ou compris trop affectivement, sans la réduire et donc sans la trahir. A ce propos, le théologien Karl Rahner recommandait d’utiliser le vocable de «  Cœur du Christ » avec discrétion, de «  n’y faire appel que lorsqu’il s’agit de lui faire désigner l’homme considéré dans la zone intime et secrète de son être, qu’il s’agisse de Jésus-Christ, à cause de son incommensurable plénitude, ou de nous-mêmes, en raison de cette dispersion qui fait notre vacuité ». Et il ajoutait : «  Cela n’arrive pas en toute occasion ; mais ce peut être parfois d’une grande importance. Voyez le Seigneur lui-même. C’est rarement, mais aux moments décisifs, qu’il parle de notre cœur et du sien »  940 .L’auto-expression de la métaphore du fleuve, dans les lettres étudiées ci-dessus, correspond bien à l’un de ces moments, celui de la refondation de la Congrégation par l’écriture de nouvelles Constitutions.

Notes
938.

La tradition spirituelle de l'Ecole française utilise l'expression "dispositions intérieures du Cœur du Christ" ou même "l'intérieur du Christ". Mais de telles appellations sont porteuses des mêmes difficultés.

939.

"Jésus, le Dieu fait homme qui assume et transforme toute vie humaine et qui nous a aimées le premier, nous invite à 'demeurer dans son amour' ", lettre 5, datée du 18.06.1971,supra, p.10. L'expression est reprise dans la lettre 16, du 21.06.1974 : C'est cette relation constante à Jésus-Christ - et non un nouveau perfectionnisme - que Madeleine-Sophie nous a offert comme but", idem, p. 39.

940.

K. Rahner, Mission et Grâce, vol.III, Mame, Paris, 1965, p.251 .