Une espérance à communiquer, à toutes les nations

Cette ouverture inconditionnelle, trace de la présence active du Transcendant, est aussi le fondement de l’espérance et desa communicabilité. Telle est la troisième caractéristique de la relation éducative, vécue dans le dynamisme du charisme congrégationnel. D’elle relevait la capacité de la Dévotion au Sacré-Cœur «  à se propager ». Cette modalité missionnaire a maintes fois été précisée dans le cours de notre réflexion. L’expression qui l’évoque avec la saveur «  des commencements », est «  appartenir de nom et d’effet au Christ doux et humble ». Cette « appartenance » résulte d’une adhésion personnelle «   au mystère du Christ », adhésionqui conditionne la «  rencontre » 953 et dont la capacité d’effectivité est elle-même reçue.

Ce mode d’être et d’agir est constitutif du charisme confié à M-S Barat. Or, un don reçu est toujours un don-pour-les-autres. Dans la lettre de convocation au Chapitre général de juillet 1982, C. Camacho identifiait ainsi la mission de la Congrégation, en l’inscrivant sur le paradigme-source de la métaphore biblique. «  C’est à ce monde marqué de nos jours par tant de violence et d’injustices, que (le Christ Seigneur) veut donner la vie en abondance, et c’est pour cela qu’il nous envoie en nous associant à sa propre mission »  954 . Etre associées à cette « tâche » de communiquer l’espérance, eau vive pour notre temps, telle est donc la mission des religieuses du Sacré-Cœur. C’est pourquoi cette modalité s’exprime dans une manière spécifique d’être et d’agir dont les études précédentes ont identifié les invariants :

  • l’internationalité du champ éducatif ;
  • la visée ordonnatrice qui assure, quelles que soient les tâches et les situations historiques, l’unité du service ;
  • la finalité sociale, intrinsèquement liée à la visée spirituelle.

L’altérité ultime, à l’œuvre dans le charisme congrégationnel, fonctionne comme ouverture vers de nombreux espaces culturels. De là et comme par « connaturalité », relève la dimension universelle qui a toujours caractérisé le service éducatif de l’Institut, dans ses implantations comme dans le cursus académique. La dynamique missionnaire est intrinsèquement liée à ce premier invariant, l’internationalité. Toutefois, sa forme a subi une véritable mutation entre 1964 et 1982. En 1964, le schème de la rencontre induit un nouveau type de présence éducationnelle. Rappelons ce passage des Directives du Chapitre de 1964 «  La Société, tout en étant bien «  la Société », est devenue indienne, japonaise, africaine »  955 . Le Chapitre spécial de 1967 déploie les grands axes de la maquette du service éducatif, en soulignant l’esprit de service et le respect à avoir vis-à-vis des «  jeunes nations fières de leur indépendance »  956 . Et, en 1970, c’est par l’affirmation du caractère international de l’Institut que s’ouvre l’exposé du charisme se développant dans les «  cinq options ».

Les exigences incontournables que requiert l’internationalité sont souvent rappelées dans les textes officiels. Refuser de réduire l’autre au «  même », au «  semblable », pour accueillir la richesse culturelle des autres provinces, est un «  leitmotiv » du processus de refondation. Comme si «  re-naître à la manière d’aimer du Christ doux et humble » impliquait cette ouverture à la différence, voire à l’étrangeté. Les effets ne se font pas attendre dans la pratique éducative. Ils sont manifestes dans les deux secteurs prioritaires du service éducatif, l’éducation formelle et l’éducation populaire.

En éducation formelle, l’internationalité de l’Institut est vécue de multiples manières. Elle représente un vivier de possibilités de jumelages entre lycéens, d’expériences linguistiques et culturelles pour des étudiants ou de formation pour les différentes équipes éducatives ou administratives. Un réseau s’est établi, à partir de 1980, entre les établissements du Sacré-Cœur, à échelle nationale, fédérale et internationale. Et ce, pour les élèves comme pour les directeurs d’établissement. Pour les élèves, cette « appartenance » s’inscrit dans une tradition. Autrefois, un document appelé «  passeport international d’une élève du Sacré-Cœur », était délivré à la sortie du pensionnat A ce titre, il permettait d’être reçue dans les Ecoles ou foyers universitaires de l’Institut des différents continents.Cette tradition a pris d’autres formes, aujourd’hui. Aux échanges linguistiques se sont ajoutées les compétitions sportives ou artistiques. En voici les objectifs :

  • prendre conscience d’appartenir à une réalité plus vaste que leur propre école ;
  • grandir en capacité relationnelle, dans un monde multi-culturel, multiracial ;
  • faire vivre le sens de l’émulation ;
  • favoriser les échanges entre pays, langues et cultures différentes ; en découvrir les particularités ;
  • développer le sens des enjeux mondiaux et de leur globalisation.

Les directeurs de ce réseau international, constitué de 200 Etablissements scolaires ou universitaires du Sacré-Cœur, se retrouvent régulièrement, par pays, par zone  957 ou par continent. Retenons deux exemples significatifs. En Amérique latine et en Caraïbe, les communautés éducatives de dix pays ont élaboré, par l’intermédiaire de déléguées, un projet éducatif commun, intitulé «  L’esprit éducatif du Sacré-Cœur dans les établissements d’Amérique latine et de Caraïbe »  958 . Pour cela, deux ateliers de travail ont eu lieu, le premier à Guadalajara, au Mexique, du 25.09 au 03.10.1995, le second en oct. 1998, à Lima, au Pérou.

Dernièrement, du 26 au 30 avril 2000, 89 directeurs d’Etablissements du Sacré-Cœur, des cinq continents, se sont retrouvés à Joigny. Les buts de cette réunion étaient de :

  1. Faire que le charisme et la mission de la Société du Sacré-Cœur soient accessibles à tous ;
  2. Fournir une expérience formative de la dimension internationale ;
  3. Renouveler et refonder l’éducation du Sacré-Cœur dans les établissements scolaires du Sacré-Cœur ;
  4. Bâtir le futur en s’appuyant sur les changements du passé et la dynamique du changement ;
  5. Préparer une contribution pour le Chapitre général de l’an 2000 sur le thème de la mission éducatrice de la Société.

« La rencontre a manifesté une grande énergie, un grand enthousiasme et un fort engagement pour le Charisme et la Mission de MS Barat », mentionne la synthèse envoyée au Conseil général. L’un des projets élaborés, au cours de cette réunion, est la création d’un « site Web central et d’un centre de communication pour unir les établissements du Sacré-Cœur du monde, (...) rendre possible la communication des différentes initiatives et des besoins des établissements (...), s’aider les uns les autres ». La communication et la concertation sont les objectifs prioritaires de ces réunions, en vue de mieux répondre à une responsabilité commune.

L’ouverture à l’universel prend d’autres formes, non moins prometteuses, en éducation populaire. Car, ici et là, il s’agit de construire des passerelles entre les cultures, les ethnies ou les races. Il s’agit de donner les moyens de franchir, avec générosité et lucidité, les frontières et de rejoindre, au cœur de ce qui est familier, ce qui est différent. C’est ainsi que, au Tchad, les actions de promotion féminine visent à donner les moyens de sortir d’un statut ancestral aux règles enfermantes. En guise d’illustration, relatons la création du « Centre Avenir de Guelengdeng » , à Bongor 959 , au Tchad, et dont voici les étapes : découverte de la réalité ; écoute des besoins réels des femmes ; constitution d’un premier groupe d’alphabétisation ; atelier pour les filles ; élaboration du plan cadre de formation féminine. La manière de procéder n’est pas sans évoquer l’intrépidité des pionnières des «  commencements » de l’Institut. Car la première étape, la découverte de la réalité et des besoins, s’est effectuée par immersion dans le milieu. En 1985, Marie-Thérèse Kabalu Kantshiama, de nationalité congolaise, est allée vivre pendant deux mois dans une famille Massa. Tout en apprenant les premiers rudiments de la langue, elle y a découvert le statut de la femme de cette tribu. Statut caractérisé par l’enfermement. Dans la vie quotidienne, la règle de séparation entre hommes et femmes cantonne celles-ci aux travaux ménagers, à la cuisine ou au transport du bois nécessaire à la cuisson des aliments. La récolte du mil suit cette loi de la séparation. Elle se fait soit dans le grenier collectif des hommes, soit dans celui des femmes et non pas dans un grenier familial commun. Or ne sachant ni compter, ni lire, ni écrire, les femmes doivent recourir à un homme pour comptabiliser leur grenier et, parfois, sont dupées. Pour éviter ce dommage, elles ont exprimé le désir d’apprendre à lire, compter et écrire. C’est ainsi que s’est constitué un premier groupe d’alphabétisation.

La deuxième étape a été marquée par une action concertée entre les femmes, en vue de communiquer davantage entre elles, puis avec d’autres ethnies, et de sortir ainsi de leur enfermement, comme de la tutelle et de la soumission vis-à-vis des hommes, en bref d’avoir leur place dans leur propre milieu et d’y être à l’aise. Le point de départ des échanges a été la lecture d’un texte d’évangile (Matthieu 24). De ce partage évangélique, le groupe a reçu son nom, « Min Tuvuda » ( Mamans de charité ), et sa finalité. Des actions ont été engagées : visite des malades, entraide matérielle et morale, présence et participation à des divers événements familiaux. Ce premier groupe a éclaté et la même action a lieu dans d’autres villages, en pays Massa, puis en pays Marba, Toupouri, Mosey, etc... En trois ans, 300 femmes étaient, ainsi, concernées par le mouvement d’entraide et de communication entre les différents villages et ethnies.

La troisième étape a concerné la formation des jeunes filles, qui ont exprimé elles-mêmes le désir d’apprendre à coudre et à broder. Promouvoir le développement des femmes impliquait de passer par l’éducation des filles, la culture traditionnelle étant fondée sur la reproduction des comportements, l’imitation des aînés. C’est ainsi que, à l’atelier de Bongor, Centre Avenir de Guelengdeng , a commencé, en 1987, ce plan cadre de formation féminine.

Cette réalisation met en œuvre l’une des orientations du Chapitre général de 1988 : vivre la solidarité qui est « au cœur de notre charisme, avec la force et les possibilités que nous donne notre réalité internationale multiculturelle »  960 . De même, cette expérience, en pays Massa, illustre le constat selon lequel «  l’image de la femme est déformée par la culture traditionnelle. (...) La plupart du temps, la femme n’est pas reconnue dans sa dignité de personne créée à l’image de Dieu, ni, par conséquent, dans son rôle de partenaire à égalité avec l’homme, alors qu’elle est appelée comme lui à investir ses talents dans la construction du monde ». Et les capitulantes d’ajouter : « souvent aussi, elle se trouve en position d’infériorité et d’oppression dans sa vie familiale » 961 . C’est bien à cette promotion de la femme que vise l’atelier Centre Avenir de Guelengdeng, en créant des ponts entre les ethnies, en permettant d’accéder à la connaissance de sa propre langue et aux rudiments de calcul.

Il en est de même, en Inde. Le lycée polytechnique Sophia de Bombay est considéré comme un établissement « leader » dans l’enseignement technique au Maharashtra. Depuis 25 ans, il contribue à la promotion et à la valorisation de la femme, en la munissant d’une compétence professsionnelle, gage d’un pouvoir accru dans la vie économique du pays  962 . Des cours de sensibilisation à la discrimination féminine du système social indien et aux actions réalisées pour lutter contre, sont aussi dispensés au Collège d’enseignement général et à l’Université. A Jawhar, les religieuses du Sacré-Cœur mènent des projets-pilotes en faveur des femmes appartenant aux ethnies de Zilla Parishad, dans le secteur Nord-Est de Jawhar Taluka, projets subventionnés par l’Unesco. Quant au lycée Sainte-Thérèse de Haregaon , il s’adresse spécialement aux jeunes filles catholiques du secteur, affrontées aux discriminations de caste, encerclées dans les préjugés et la pauvreté. A l’école de Sdhana, au Numbai, un projet pionnier est mis en œuvre pour les enfants autistes, selon la méthode de Bérard 963 .

Le deuxième invariant, propre à l’agir Congrégationnel, est la finalité missionnaire. Apparent dans l’expérience des « Min Tuvuda » de Bongor, il est aussi retracé dans «  le monde des jeunes » du livret du Chapitre général de 1998, au moyen de deux objectifs généraux et d’une stratégie 964 . Les objectifs sont ainsi formulés : «  présenter aux jeunes la force de l’Evangile, découvrir avec eux comment incarner l’Evangile dans tous les domaines de la vie ». La stratégie consiste à offrir les occasions de découvrir et de participer à la vie de communautés chrétiennes. C’est alors que « transformés par l’expérience de Dieu et la découverte de telles communautés, habités par un nouveau goût de vivre, ces jeunes pourront alors devenir évangélisateurs d’autres jeunes ». A leur tour, ils pourront devenir missionnaires, porteurs d’eau vive. Car il s’agit essentiellement pour jeunes et adultes, d’un seul et même but : à travers leurs engagements, annoncer l’amour miséricordieux de Dieu, capable de susciter «  un nouveau goût de vivre ». Cet enjeu est central dans les nouvelles Constitutions, à en juger par le choix de la figure du Christ, à un endroit sensible du texte. Le Christ, «  Verbe incarné », est «  venu habité dans le monde qui cherche le sens et la valeur de la vie »  965 .

Sur ce registre de l’éthique, sont également formulés, à l’article intitulé «  Notre service d’Eglise », les objectifs de l’agir éducatif.En référence à l’inspiration de la fondatrice, l’Institut fait sien le désir

«  que chaque personne
s’éveille à la vérité, à l’amour et à la liberté,
qu’elle découvre le sens de la vie et se donne aux autres,
qu’elle apporte sa part créative
dans la transformation du monde,
qu’elle puisse rencontrer l’amour de Jésus,
qu’elle s’engage dans une foi active »  966 .’

Aux paragraphes 13 et 15, est présenté le second volet d’un même diptyque :

‘« quelles que soient nos tâches,
elles seront toutes animées par l’amour du Cœur de Jésus
et le désir de le faire connaître, exprimés dans
- le souci de le la croissance intégrale de la personne,
- la soif de construire un monde de justice et de paix, en réponse au cri des pauvres,
- la passion d’annoncer l’Evangile ». ’

Les finalités éducatives y sont rassemblées en un seul faisceau. Transformer les situations concrètes passe par «  l’éducation pour la justice, dans la foi ». Le nouveau paramètre est celui de la paix. Car «  c’est à ce monde marqué de nos jours par tant de violence et d’injustices, que le Christ veut donner la vie en abondance, et c’est pour cela qu’il nous envoie en nous associant à sa propre mission »  967 , spécifiait l’une des circulaires précédant la rédaction de ces Constitutions.

Comme nous le constatons à nouveau, le troisième invariant, la visée sociale, ne peut être dissociée du second, la finalité spirituelle. «  Accomplir toute justice » les comprend l’un et l’autre. La refondation du service éducatif a uni en un seul les deux visées des «  commencements » de l’Institut, «  réparer » et «  brûler de zèle ».

Les «  attitudes en vue de la mission », spécifiées en 1976, dessinent cette dynamique missionnaire. Du schéma présenté ci-dessus  968 reprenons le module qui les concerne et qui suggère une manière d’être et d’agir spécifique. Le voici :

‘contempler la réalité
prendre conscience des situations d’injustice
chercher la justice avec nos frères
attitudes
préférer les pauvres, les opprimés, les marginaux
cheminer en Eglise > faire la communion
apprendre des autres le chemin des béatitudes
chercher la croissance de l’homme et sa libération
recevoir de l’internationalité > reconnaissance + partage’

Le regard contemplatif porté sur la réalité, « dispose » donc à voir certaines injustices, à faire des choix en faveur de ceux qui présentent, comme nous l’avons vu, le visage de la fragilité et de la créativité. De telles attitudes rendent également possible un engagement en vue de plus de justice sociale. Aussi et par le fait même, elles «  permettent à Dieu de se rendre visible »  969 , au sens où elles font apparaître le fondement transcendant de leur effectivité. Là où la tradition parlait de simplicité, de foi vive et de zèle missionnaire, les textes actuels invitent à l’évangélisation, à la libération mutuelles. Le langage a changé mais le signifié reste le même. C’est celui d’une bonne nouvelle, une naissance à une autre manière d’exister. Agir avec gratuité pour permettre aux autres de retrouver une réelle estime d’eux-mêmes, s’apprécier dans les responsabilités assumées, est une manière de «  glorifier le Christ ». Laisser transparaître la force incommensurable de sa tendresse et de son pardon en est une autre.

La 12ème lettre-circulaire de C. Camacho identifiait cette action, en ces termes : « La mission, c’est l’appel de Jésus dans la puissance de l’Esprit. Le mystère de la mission est au cœur même du mystère de l’Incarnation. Jésus a reçu l’onction de l’Esprit pour aller porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue ; rendre la liberté aux opprimés ». Aussi, seul, le Christ « peut nous rendre sensibles à l’injustice et à l’oppression sous toutes ses formes, par son action dans notre vie de chaque jour. Lui seul donne la force d’être ouvert à l’Esprit qui permet de lutter contre cette injustice et qui fait toutes choses nouvelles »  970 . En écho, s’inscrit cette attestation : « Jour après jour, l’Eucharistie nous fait devenir, plus profondément, Corps du Christ livré pour que naisse une humanité nouvelle »  971 .

Cette grâce de régénération de toute réalité est un don gratuit reçu du côté ouvert du Christ. Or, le fait que ces nouvelles Constitutions l’inscrivent, à cet endroit précis de la célébration eucharistique, n’est pas anodin. Dans la théologie missionnaire paulinienne, la grâce est associée à l’eucharistie (rendre grâce) et à la justice (rendre effectif le don gratuit). C’est pourquoi, fondamentalement, la finalité sociale du service éducatif ne fait qu’un avec sa visée spirituelle. C’est aussi la raison pour laquelle cette visée éducative peut se décliner « indifféremment » en termes de compassion, de solidarité, de libération et de réconciliation. Si les signifiants varient selon les situations et les enjeux socio-politiques, le signifié est le même.

Cette imbrication des deux paramètres « grâce-justice », en une seule visée éducative, se repère d’ailleurs dans la trame du texte du projet éducatif d’Amérique latine et des Caraïbes. Il est décliné en une série de « motifs » sur un horizon missionnaire bien typé : une terre où la dignité humaine est trop souvent usurpée, bafouée. Le fléau à combattre est ce «  modèle de société déshumanisant et corrompu où c’est l’argent qui est la mesure de toutes choses, et non les personnes, où les plus faibles sont exclus ». Le paradigme de la « grâce associée à la justice » s’y déploie dans une constellation d’expressions : «  gratuité de la création », «  surabondance de la grâce », «  passage à la lumière », «  justice et don gratuit ». Son effectivité missionnaire se réalise d’une manière caractérisée par «  la réconciliation », par «  la force de libération d’un processus individuel et collectif », par «  la passion d’annoncer l’Evangile incarné dans la recherche d’un nouvel ordre social et éthique ». Les objectifs prioritaires en sont : «  le renforcement de l’identité féminine » et «  l’ouverture aux différentes cultures ». Philippine Duchesne est ici mentionnée, comme celle qui «  incarne ce trait et nous encourage à l’approfondir pour construire un monde plus humain où la richesse est partagée entre tous »  972 .

Cette visée se décline de diverses manières, selon les pays et les formes d’intervention éducative. La province du Pérou choisit de « s’appuyer sur l’internationalité de la Congrégation pour élargir les perspectives missionnaires et lutter pour un monde plus juste et sans discrimination, d’entrer dans un processus d’interculturalité de sorte que chaque culture soit valorisée ». Plus précisément, elle s’engage à « travailler à la revalorisation des cultures andines, amazonique et populaire et à la réconciliation de tous les péruviens ». Elle opte pour la collaboration et la participation, « dans un système néo-libéral qui détruit la solidarité, désarticule les organisations et établit des relations autoritaires » 973 .Ces objectifs prennent forme dans des projets tels que celui de Bambamarca, dans le département de Cajamarca. Ce plan de travail concerne les femmes de la campagne, en vue « d’affronter les graves problèmes qui les affectent : la pauvreté, l’analphabétisme, la marginalisation, etc .» 974 . Le Centre d’adultes « Alcides Vasquez  vise à préparer les futurs dirigeants des communautés paysannes, à «  entretenir et avaiver le sens critique et autocritique, à lutter pour la défense des intérêts des paysans et le progrès de leur organisation, à maintenir et défendre les coutumes rurales, les traditions et les richesses de la réalité andine » 975 . La province du Mexique prend une option semblable devant la détérioration du climat social qui atteint les campagnes et la pauvreté qui affecte spécialement les femmes et les enfants 976 . Elle vise à mettre en œuvre « un processus collectif dans lequel on favorise la formation de personnes conscientes et libres, capables de créer des communautés et de participer de manière active, critique et démocratique à la création et à la consolidation des organisations sociales alternatives qui construiront peu à peu une société différente » 977 . Les destinataires en sont les femmes, les enfants, les jeunes appartenant à des groupes marginaux de la campagne, indigènes et universitaires.

Il en est de même pour d’autres provinces, d’autres continents. En 1998-89, la province d’Espagne formule ainsi cette visée éducative : «  être batisseurs de paix », en réponse au besoin d’une éducation intégrale qui « ne consiste pas seulement à donner à l‘enfant et au jeune des connaissances, (...) des contenus conceptuels, mais un apprentissage pratique » 978 .Cette orientation prend forme dans des projets d’éducation populaire. Ainsi au Centre de Urbinaga à Biscaye, les apprentissages et les actions sont ordonnés à la création d’un «  un espace de convivence interculturelle, de dialogue et de solidarité », au développement du sens de la communauté, de la conscience de quartier en vue d’agir pour améliorer la qualité de vie  979 . Parmi les moyens, se trouve la structure internationale de l’Institut : «  promouvoir des activités d’échange à travers les différentes cultures ou groupes et créer des liens avec le premier monde, le tiers monde et le quart monde, en profitant de notre internationalité » 980 .Le projet éducatif du Collège Saint Julian, à Malte, propose des actions sociales qui apprennent « à lutter contre les injustices et à promouvoir les progrès écologiques », vise à « éduquer chrétiennement des citoyens du monde non-violents » 981 .

Le charisme évangélique de la Société du Sacré-Cœur induit donc un certain mode d’être-au-monde  982 où l’altérité divine est «  principe et fin »  983 . Le livre de l’Apocalypse l’exprime de manière inédite. «  Je suis l’Alpha et l’Omega, le Principe et la Fin ; celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie, gratuitement »  984 . A en juger par l’horizon référentiel, la «  Jérusalem nouvelle »  985 , sur lequel s’inscrivent les symboles bibliques du fleuve et de l’Arbre de vie, recevoir ce don, c’est entrer dans une vie nouvelle, naître à une nouvelle manière d’être-au-monde. Sur ce paradigme référentiel, s’inscrit le motif central du processus de rénovation institutionnelle : «  renaître à la manière d’aimer du Christ ».

Notes
953.

"Sans cette adhésion au mystère du Christ pauvre et obéissant dans sa relation au Père, la recherche par le dialogue ne peut être une rencontre" , Lettre 16, 21. 06. 74, idem, p. 38.

954.

Lettre 44, 25.12.1981, ibid., p.113.

955.

Directives de 1964, p. 50.

956.

Société du Sacré-Cœur, Chapitre spécial, Rome, 1967, p. 56.

957.

Les directeurs d’établissement du Sacré-Cœur d’Europe le réalisent depuis douze ans.

958.

"El espiritu educador del Sagrado Corazon en las instituciones de America latina y el Caraïbe", Lima, 1-8 octobre 1998. La composition du texte semble répondre à trois intentions : s'approprier une histoire ou une identité éducative ; écouter les interpellations et les défis contemporains à partir de la réalité latino-américaine ; élaborer une réponse significative.

959.

L'action éducative des RSCJ s'inscrit dans les orientations pour le développement (agriculture, santé, promotion féminine) prises par le diocèse de Pale, au cours des vingt dernières années.

960.

Société du Sacré-Cœur de Jésus, Chapitre général, 1988, Rome, p. 13-14.

961.

Idem, p. 19-20.

962.

L’établissement, fondé en 1970, a reçu plus de 20 000 jeunes adultes, majoritairement des femmes.

963.

Rapports annuels, 1994-1998, Province de l’Inde, Société du Sacré-Cœur de Jésus, Bombay.

964.

Orientation n° 5.

965.

Société du Sacré-Cœur, Constitutions de 1982, approuvées le 1.01.1987, Notre consécration par les vœux, 41., p.183.

966.

Notre service d'Eglise, 11., ibidem, p. 171.

967.

Lettre 44, du 2.12.1981, idem, p. 113.

968.

Supra, page 302.

969.

Lettre 23, 14.11.1976, idem, p.56.

970.

Lettre 12, datée du 15.12.1972, ibid., p.28-29.

971.

Supra, idem, Notre prière, 29, p.178.

972.

Idem, p.15.

973.

Orientations pour la marche des institutions éducatives du Sacré-Cœur au Pérou, A.S-C.PER., p.1.

974.

« Quand on regarde la réalité de la paysanne, à Bambamarca, on se rend compte que la pauvreté frappe avec plus de force les femmes et les enfants. Ce qu’apporte le mari ne couvre pas les nécessités de base ; c’est pourquoi les femmes, à l’intérieur de l’organisation, réalisent de petites activités productrices qui leur permettent d’apporter leur soutien au foyer. Cela entraîne d’ailleurs leur propre valorisation comme celle de leur époux et de leur communauté », Petit projet pour les femmes de la campagne de Bamabamarca, départemnt de Cajamarca, Pérou, A.S-C.PER., p.1-2.

975.

Expérience du Centre d’adultes « Alcides Vasquez » pour la formation des paysans, A.S-C.PER, p.1.

976.

« Nous optons pour la vie, les droits et la dignité de la majorité des Mexicains que le sysytème néo-libéral a paupérisé et exclu, dans le champ de l’éducation populaire et de l’Eglise des pauvres, avec les perspectives de justice, de paix et de promotion féménine », Province du Mexique, Apport de l’éducation populaire au projet apostolique commun, A.S-C.MXN., p.3.

977.

Idem, p.4.

978.

Plan de pastorale 1998-99, Sacré-Cœur, Bâtisseurs de paix, Introduction, A. S-C. ES., p. 1.

979.

Un projet de formation pour jeunes et adultes, Urbinaga, Biscaye, Espagne, A. S-C. ES., p. 1.

980.

Lignes caractéristiques de l’éducatin « informelle » à partir de notre insertion comme RSCJ, en zone populaire et parmi les marginaux, Cheminer ensemble : de l’expérience à la parole », Espagne, 1994, A.S-C.ES., p.3.

981.

Buts et engagements, Couvent du Sacré-Cœur de St. Julian à Malte, fondé en 1903, But 2, La responsabilité sociale, A.S-C.MAL., p.3.

982.

Est ici traduit, en termes d'une philosophie de l'action, ce que le langage spirituel du XIXe siècle exprimait par "être à la fois contemplatives et actives".

983.

Selon l'expression de "Principe et fondement", des Exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola.

984.

Apocalypse, 21, 6.

985.

Apocalypse, 22, 1.