A vin nouveau, outres neuves

Cette espérance, don gratuit reçu du Côté ouvert, est aussi signifiée par le logo qui a remplacé le sceau de la tradition. En 1982, sous l’angle de la symbolique institutionnelle, une étape paraît être définitivement franchie. La refondation est réalisée. Elle s’accompagne d’une nouvelle configuration de l’image identitaire du groupe social. De 1815 à 1980, le symbole fondateur était représenté par l’image réaliste des deux Coeurs de Jésus et de Marie. Cette représentation était classique au 19ème siècle. Certes, des variations sensibles pouvaient signifier un accent relatif à une spiritualité particulière.

Voici la description, due à Agnès Bigo, de cette image utilisée dans le sceau Congrégationnel, comme dans le blason de certaines écoles du Sacré-Cœur. On y aperçoit, dit-elle, deux cœurs :

‘« Le Coeur de Jésus, dont on voit la blessure, entouré d’une couronne d’épines, la croix plantée dans ce Coeur, des flammes exprimant l’amour.
Le Coeur de Marie, un peu en retrait, ne faisant pour ainsi dire qu’un avec celui de Jésus, lui aussi percé par le glaive (prophétie de Siméon), et de lui aussi jaillissent les flammes de l’amour.
Au-dessus : l’hostie de l’Eucharistie, rayonnant de lumière exprime le lien étroit que Madeleine-Sophie Barat a toujours fait entre l’Eucharistie et le Sacré-Coeur.
Autour : des fleurs de lys, symbole de la pureté du coeur qui permet de s’unir à la Rédemption ».

L’interprétation suit. «  Cette image exprime que l’objet de l’adoration eucharistique, c’est Jésus donnant sa vie par amour pour nous ». La description a, en effet, centré sur l’amour. Aussi, comme en écho, nous revient la figure de Philippine «  conforme au Maître doux et humble, venu pour donner la vie », car «  l’amour était sa vie ».

Cette interprétation de l’image est dynamique. Elle suit le mouvement du don du Verbe de Dieu, son Incarnation. Car tel est « l’objet » de l’adoration. Mais constatons, une fois encore, que le paradoxe est ici à son comble. La réalité signifiée, «  le Seigneur de l’histoire », transcende toute limitation et toute particularité humaine. Or, le lieu de l’adoration est le sanctuaire du couvent, le tabernacle. Certes, cela est à resituer dans une «  symbolique du centre », selon l’expression de Mircea Eliade. Appartiennent à cette symbolique bien d’autres images religieuses, en particulier dans les traditions orientales. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant qu’apparaisse, avec un autre statut de la vie religieuse apostolique et un autre rapport au monde, un nouveau signifiant. La déconstruction des images passéistes avait préparé l’élaboration de la métaphore biblique du fleuve. De même, la perte d’un monde culturel révolu permet cette reconfiguration. Pour reprendre l’expression de Koyré, l’imagination à l’œuvre quitte «  un monde clos » pour s’ouvrir à «  un espace infini ». Vers 1980, un logo remplace l’ancien sceau de l’Institut.

Cette fois, l’image s’est complètement émancipée du contexte parodien victimaire : au centre s’esquisse un planisphère, entouré d’un cœur stylisé. «  Ce n’est plus seulement l’Eucharistie que l’on contemple pour adorer le Christ, mais le monde devient aussi objet de notre contemplation », remarque A. Bigo en comparant les deux images. Une petite croix, située à l’ouverture du cœur, fait figure de passage vers un au-delà du monde terrestre. La clôture de l’image, propre à toute représentation réaliste, est ainsi brisée par le symbole. L’ouverture, rendue maximale, donne accès à un Inconditionné. Le logo a cette esquisse : centré sur l’intériorité, il ouvre aux espaces infinis. Le cadre de la contemplation s’étend donc à ce qui est hors cadre, parce que, de fait, son objet ne peut être réduit à une représentation.

La vulnérabilité, signifiée par le tracé de la croix et de l’ouverture du cœur, est inhérente à la spiritualité de la Société du Sacré-Cœur. Comme le dit E. Lévinas, seul un être vulnérable peut aimer son prochain. Cette condition est en effet requise pour laisser jaillir de l’intime de l’être, une source, le charisme d’union et de conformité au Christ. L’image peut recevoir le signifiant de Paray-le-Monial, celui de l’Ecole sulpicienne, ou encore celui du bicentaire de l’Institut. Ces différents signifiants sont relatifs aux théologies sous-jacentes ou aux événements. L’essentiel ne relève donc pas des signifiants culturels, nécessairement pluriels et appelés à évoluer. Il tient à une manière d’être-au-monde qui rend possible l’ouverture à la différence, l’accueil et l’estime des différentes cultures. Cette ouverture permet aussi de recevoir les valeurs de ceux que l’on appelle «  les plus petits »  986 . Aussi comprenons-nous pourquoi l’Institut sélectionne, dans ses priorités éducatives, les populations qui portent le visage de la fragilité.

Par ailleurs, la vulnérabilité n’est-elle pas requise à la fois dans l’adoration du Dieu vivant et dans le combat pour la justice ? C’est du moinsce que signifiaient ces propos où, l’adoration et l’espérance étaient associées dans une même dynamique : «  la pauvreté est une même chose avec l’espérance »  987 . En d’autres termes, la visibilité des Dames du sacré-Cœur et de leurs œuvres, ne relève-t-elle pas moins du blason des pensionnats que de l’ouverture inconditionnelle à autrui, de la compassion vécue dans une solidarité engagée ? Car ces traits, exprimant une appartenance «  de nom et d’effet », ont, d’une manière ou d’une autre à faire signe. C’est alors que peut se réaliser «  l’accomplissement de l’image » :communiquer l’espérance «  à toutes les nations ».

Notes
986.

Ce à quoi invitent les Constitutions de 1982, en ces termes :

" ouvrir notre cœur aux pauvres :

nous mettre à leur service,

partager leurs aspirations à la dignité humaine et faire nôtre cette cause,

découvrir ce qu'ils nous annoncent de l'Evangile, reconnaître en eux le visage du Christ souffrant", p. 187-188.

987.

Société du Sacré-Cœur, Chapitre de 1970, Quelques paroles de Concepcion Camacho, à la séance de clôture du Chapitre, 28 novembre 1970, Rome, p. 59-61. Voir ci-dessus, P. 337.