Quand rénover, c’est accomplir

Les études précédentes ont fait apparaître le paradigme sur lequel évolue la métaphore du fleuve, et qui est constitutif de la spécificité éducative de la Société du Sacré-Cœur. Cet ensemble associatif constitué de valeurs, de concepts et de stratégies est ordonné à la réalisation de l’inspiration évangélique de Léonor de Tournély et de Sophie Barat. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il apparaisse dans le texte des nouvelles Constitutions, au premier paragraphe  1014 de l’article sur le service éducatif. Il est suggéré par deux expressions : «  source de la croissance de la personne » et «  chemin vers la réconciliation entre tous ». Par la seconde, en particulier, ce référentiel congrégationnel du Cœur du Christ s’inscrit sur un horizon plus large, celui de l’Alliance du Christ et de l’humanité.

Cette unité textuelle, l’Alliance, est le paradigme-source de la culture institutionnelle, au sens où elle ne fait qu’un avec l’enjeu qui a suscité le projet de Léonor de Tournély et l’Idée primordiale de Sophie Barat. Autrement dit, la raison d’être de l’Institut ne fait qu’un avec sa visée : contribuer par l’éducation à cette «  restauration » de l’Alliance. Constitutif de la culture des fondateurs de la Société du Sacré-Cœur et de sa spécificité éducative, ce symbole de l’Alliance conceptualise le programme de Religion du premier plan d’études et lui donne forme. C’est un ensemble associatif sémantique dont le noyau est le symbole du Cœur ouvert du Christ. C’est ce que donne à voir la métaphore lorsqu’elle se fait vive.

Un fait textuel des Constitutions de 1982 le confirme. Une récurrence se repère entre deux articles : le premier, intitulé «  Fin et mission de la Société du Sacré-Cœur » et le cinquième, «  Notre consécration par les vœux ».Elle a pour objet la place attribuée à l’Eucharistie, dans la dynamique missionnaire. Le premier article commence ainsi : «  Dieu a fait resplendir sa miséricorde et sa fidélité dans le monde blessé par le péché. Il a envoyé son Fils Bien-Aimé qui est devenu l’un de nous et a livré sa vie pour nous libérer, nous recréer et tout rassembler en Lui à la Gloire du Père »  1015 . De cette mission du Christ découle celle de la «  Société du Sacré-Cœur de Jésus » : contribuer «  au progrès de la communion dans le Christ »  1016 . Le «  moyen » choisi pour «  poursuivre l’œuvre du Christ est le service de l’éducation »  1017 . Dans cette dynamique missionnaire, l’Eucharistie reçoit comme fonction spécifique  1018  de faire «  entrer dans le mystère du Côté ouvert de Jésus », de célébrer et d’actualiser «  sa mort et sa résurrection au cœur des souffrances et de l’espérance de nos frères et sœurs »  1019 . Or, comme nous l’avons signalé, ce vocable de «  Côté ouvert de Jésus » n’est utilisé qu’une seule fois dans l’ensemble du texte. Et ce à un endroit significatif : au portique de l’espace littéraire. L’espérance à partager concerne donc un mystère d’Alliance. Elle a pour nom une communion renouvelée, hautement signifiée par l’image bibliquedu «  fleuve qui traverse l’histoire ». L’on comprend alors pourquoi «  la pauvreté est une même chose avec l’espérance » 1020 . Cette communion est à la fois de l’ordre du « déjà-là » et du « pas-encore ». Elle appelle l’Action de grâce et l’engagement, tout à la fois.

Cette œuvre du Christ, «  restaurer » l’Alliance de Dieu et de son peuple, est également évoquée au début  1021 et en finale de l’article sur la «  consécration par les vœux ». Le premier paragraphe brosse l’enjeu de la consécration religieuse, en ces termes : engager sa vie à la suite du Christ, « Verbe incarné » dans un monde en perte de sens 1022 . La finale relie les termes de témoignage, de rencontre et d’alliance, constitutifs du même paradigme  1023 . Le concept « d’Alliance de Dieu avec son peuple » assure l’unité de l’article. Ce qui, en soi, n’a rien d’étonnant lorsqu’il s’agit d’une consécration religieuse. Par contre, est significatif le phénomène de récurrence établi entre cet article et celui sur «  Fin et mission », à propos de la fonction de l’Eucharistie. Cette place spécifique de l’Eucharistie, exprimée de manière inédite au paragraphe 5, est reprise en ces termes : «  Par l’Eucharistie, le Christ renouvelle et approfondit cette alliance, signe de l’Alliance de Dieu avec son Eglise ». Cette fonction de l’Eucharistie est explicitée en termes de re-naissance, au dernier paragraphe de l’article sur la prière. «  Jour après jour, y est-il reconnu, L’Eucharistie nous fait devenir, plus profondément Corps du Christ livré pour que naisse une humanité nouvelle »  1024 .

Ce paradigme de l’Alliance de Dieu et de son peuple est celui de «  l’Histoire sainte » des anciens plans d’études, comme celui de l’ecclésiologie contemporaine. Et, en ce sens, il n’est pas spécifique à l’Institut car il constitue la trame de tout discours chrétien. Est propre à la culture de la Société du Sacré-Cœur le motif central autour duquel s’organise l’unité textuelle. Et, comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises, cette image est celle du «  Côté ouvert de Jésus », associée, dans un lien privilégié au symbole eucharistique. Cette association spécifique induit une dynamique spirituelle dont le double mouvement de contemplation et d’action libératrice modélise, selon la figure du Christ proposée, une forme de vie marquée par « l’adoration du Père » et «  le service des frères, spécialement celui des pauvres ».

C’est ce paradigme que déploie, sous forme de poème, un textedu Chapitre général de 1994. Y sont réunis les principaux signifiants rencontrés dans cette dernière étude. «  L’idée primordiale » de Sophie Barat s’y trouve interprétée de façon inédite. Un nouvel effet du libre jeu de la métaphore biblique et de la culture congrégationnelle se rend par là visible. Voyons comment.

Notes
1014.

" Nous sommes envoyées par l'Eglise pour communiquer l'Amour du Cœur de Jésus. En Lui est la source de la croissance de la personne et le chemin vers la réconciliation entre tous". Société du Sacré-Cœur de Jésus, Constitutions de 1982, 10., Rome, p.171.

1015.

Ibidem, p.167.

1016.

Autre expression de la raison d'être de l'Institut : "GLORIFIER LE CŒUR DE JÉSUS", en réponse à l'appel de "découvrir et manifester son Amour", Société du Sacré-Cœur, Constitutions de 1982, Fin et mission de la Société du Sacré-Cœur, 4., p.168.

1017.

Idem, 7., p. 169.

1018.

Textuellement, elle est aussi au centre de l'article : au cinquième des neuf paragraphes.

1019.

Ibidem, 5., p. 168.

1020.

Supra, p. 337.

1021.

"Dieu reçoit cette offrande faite dans l'Eglise et l'unit à celle de son Fils. Il nous consacre avec Lui et en Lui pour le Royaume. Par l'Eucharistie, le Christ renouvelle et approfondit cette alliance, signe de l'Alliance de Dieu avec son Eglise", ibidem, Notre consécration par les vœux, 43, p. 184.

1022.

"Le Christ nous invite à entrer dans les dispositions de son Cœur. Venu habiter dans le monde qui cherche le sens et la valeur de la vie, le Verbe incarné nous ouvre une voie nouvelle de force dans la faiblesse, de liberté dans le service, de vie à travers la mort. Nous sommes appelées à Le suivre dans une vie conformée à la sienne, comme le fut celle de Marie",ibidem, 41, p.183.

1023.

Cette finale est ainsi formulée : "Notre bonheur, notre paix, toute notre manière d'être témoigneront de Celui que nous avons rencontré et qui vient réaliser, jour après jour, l'Alliance de Dieu avec son peuple", ibidem, & 69, p.192.

1024.

Notre prière, 29, ibidem, p.178.